« Mal choisi », « réactionnaire », « fascisant » : le « réarmement démographique » de Macron passe mal

Après avoir appelé à un « réarmement démographique » pour lutter contre l’infertilité, Emmanuel Macron se voit critiquer par les sénatrices de la délégation au droit des femmes du Sénat. Sa volonté de réformer le congé parental, pour le rendre plus court et mieux rémunéré, est en revanche plus largement saluée.
François Vignal

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La natalité recule. Le nombre de naissances a chuté en 2023 dans le pays. On compte 678.000 nouveaux bébés en France l’année dernière, soit 6,6 % de moins qu’en 2022, selon les chiffres de l’Insee, dévoilés mardi. Emmanuel Macron s’est saisit du sujet hier, lors de sa conférence de presse.

Avec pour objectif une « relance de la natalité », le chef de l’Etat met sur la table deux idées : lutter contre l’infertilité et une réforme du congé parental. « La natalité baisse parce que l’infertilité progresse. […] Les mœurs changent, on fait des enfants de plus en plus tard, l’infertilité masculine comme féminine a beaucoup progressé ces dernières années et fait souffrir beaucoup de couples. Un grand plan de lutte contre ce fléau sera engagé pour permettre justement ce réarmement démographique », a annoncé Emmanuel Macron (voir la vidéo).

Le président de la République croit par ailleurs « profondément que la mise en place d’un nouveau congé de naissance sera un élément utile dans une telle stratégie. Il viendra remplacer le congé parental actuel. Il sera mieux rémunéré et permettra aux deux parents d’être auprès de leur enfant pendant 6 mois, s’ils le souhaitent. Surtout, il sera plus court que le congé parental actuel, qui peut aller jusqu’aux 3 ans, et qui éloigne beaucoup de femmes du marché du travail […] et qui est extrêmement mal rémunéré ».

« C’est vrai que la France, qui a toujours été en tête en matière de démographie, a vu sa courbe s’inverser. Inciter les jeunes couples à avoir des enfants plus tôt, plus jeunes, et avoir plus d’enfants en France, c’est réarmer aussi la France dans ce domaine-là », a salué, sur Public Sénat, François Patriat, président du groupe RDPI (Renaissance) du Sénat.

« Cette expression de réarmement est à bannir »

Mais l’expression de « réarmement démographique » fait réagir un certain nombre de féministes. « Laissez nos utérus en paix », a lancé sur X (ex-Twitter) Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes. Du côté de la délégation au droit des femmes du Sénat, les mots du Président sont aussi plutôt mal passés. « Je trouve le terme mal choisi. Je crains qu’un jour, on doive parler de vrai réarmement face à toutes les agressions militaires que nous pourrions vivre. Ce n’est pas le terme que j’aurais préféré », réagit Dominique Verien, présidente centriste de la délégation.

La sénatrice du groupe Les Indépendant, Laure Darcos, autre membre de la délégation au droit des femmes, s’étonne aussi « d’une expression extrêmement forte par rapport à l’actualité. Ça aurait été mieux de parler d’engouement, ou d’une autre expression ».

Pour la sénatrice PS et ancienne ministre des Familles, Laurence Rossignol, « l’expression de réarmement démographique est très malheureuse, voire inquiétante. Dans un contexte géopolitique de montée des guerres et du nationalisme, les êtres humains ne sont pas des armes. Il y a un trauma de la guerre en France, en Europe, de la guerre 14-18, durant laquelle les êtres humains ont été sacrifiés. On parlait de chair à canon. Cette expression de réarmement est à bannir ». « L’obsession nataliste est une thématique des droites réactionnaires », attaque encore la socialiste, qui souligne que « tous les ans, la Hongrie accueille une conférence sur la natalité qui rassemble toute l’extrême droite européenne ».

« Ça fait penser à “travail, famille, patrie” », dénonce l’écologiste Mélanie Vogel

La plus dure sur le sujet est la sénatrice écologiste Mélanie Vogel. « C’est évident qu’utiliser le concept de réarmement démographique, c’est se placer sur cette question-là du côté autoritaire et réactionnaire. C’est exactement la même rhétorique qu’utilise Vladimir Poutine et Viktor Orbán. On est dans un imaginaire de la famille, qui fait penser à « La Servante écarlate ». Ça fait penser à « travail, famille, patrie ». Je ne dis pas ça car j’aime bien avoir des propos outranciers, mais c’est un imaginaire conceptuel fascisant. On met ensemble la question de la natalité et de la guerre. C’est une rhétorique guerrière. C’est vraiment une vision réactionnaire de ce qu’est la famille », dénonce la sénatrice EELV des Français établis hors de France.

Concernant la question de la fertilité elle-même, Dominique Vérien souligne qu’elle était apparue « lors de nos auditions sur la PMA pour toutes. Il y a un vrai sujet de stérilité, des deux côtés, lié probablement à l’âge, car les femmes et les hommes font leurs enfants plus tard. Ce n’est pas choquant qu’il veuille s’en occuper ». La sénatrice Laure Darcos, toujours membre des LR, bien qu’elle ait quitté le groupe, pense que le Président « veut répondre aux inquiétudes de nos jeunes, qui sont dans la décroissance en permanence, et à qui ont dit qu’il ne faut pas faire d’enfant. C’est une manière de s’adresser aux jeunes ».

« Il y a d’abord un enjeu de fertilité lié à la pollution, les perturbateurs endocriniens »

Mais pour Laurence Rossignol, le chef de l’Etat « mélange tout » en réalité. « La question de l’infertilité n’est pas une question démographique, c’est une question de santé publique, de santé sexuelle et reproductive. Rien ne nous dit que traiter l’infertilité aura un impact démographique. C’est avant tout une question de santé environnementale », avance la sénatrice PS du Val-de-Marne. Elle tient par ailleurs à relativiser la baisse de la natalité. « On a déjà eu un creux comme ça dans les années 90 », et « il faut dire que la France a toujours un des taux les plus hauts d’Europe. On garde de l’avance ».

Même constat sur le plan environnemental par Mélanie Vogel : « On sait qu’il y a d’abord un enjeu de fertilité lié à la pollution, les perturbateurs endocriniens. Il faut regarder ça. Ça fait très longtemps que les écologistes le disent », rappelle la sénatrice des Ecologistes.

Dominique Verien remarque de son côté qu’Emmanuel Macron « a juste oublié un tout « petit » élément : une des raisons pour laquelle les parents ne font pas autant d’enfants qu’ils souhaitent, c’est qu’on a encore un problème de garde d’enfants. Dans l’Yonne, on a regardé qui était au RSA et les problèmes de retour à l’emploi. On s’est rendu compte que la grande majorité, c’était des femmes seules avec leur enfant qui n’avaient pas de solution de garde ». La présidente de la délégation au droit des femmes souligne que « 82 % des cheffes de familles monoparentales sont des femmes, et 41 % des enfants en famille monoparentale vivent sous le seuil de pauvreté, contre 16 % des enfants dont les parents sont en couple. Donc s’il veut qu’on ait plus facilement des enfants, il faut prévoir des accompagnements à la hauteur ». Elle ajoute :

 Plus de solutions de garde, c’est plus de femmes qui travaillent, de meilleurs revenus pour tout le monde, et plus d’enfants. C’est une spirale vertueuse. 

Dominique Verien, présidente de la délégation au droit des femmes du Sénat.

« Un “congé de naissance” beaucoup plus court va aggraver la pénurie des modes de garde », dénonce Bruno Retailleau

L’autre proposition mise sur la table par Emmanuel Macron, la réforme du congé parental, n’est en réalité pas nouvelle. Aurore Bergé, alors ministre des Solidarités, avait déjà évoqué en juillet 2023 un « congé parental plus court mais mieux indemnisé ». En novembre, elle parlait d’un « congé familial ».

Au Sénat, le président du groupe LR, Bruno Retailleau, a réagi vertement sur X à l’annonce du Président. « Il supprime le congé parental, très apprécié, au profit d’un “congé de naissance” beaucoup plus court et qui va aggraver la pénurie des modes de garde pour les enfants. C’est se moquer du monde. Comme d’habitude, Emmanuel Macron va faire l’inverse de ce qu’il promet », dénonce le sénateur de Vendée.

Congé parental : un rapport du Sénat préconisait déjà une hausse de l’indemnité

Mais en réalité, le sujet semble faire assez consensus chez une bonne partie des sénateurs. Et pour cause. Le Sénat a publié en juin dernier un rapport, signé du sénateur centriste Olivier Henno et de la sénatrice PS Annie Le Houerou, intitulé « réformer l’indemnisation des congés parentaux pour donner un vrai choix à la famille ». Il préconisait clairement une hausse de l’indemnité. « L’indemnisation est le problème clef du recours au congé parental qui s’est effondré depuis la réforme de 2014, c’est ce que nous identifions dans notre rapport », soulignait Olivier Henno à publicsenat.fr, en juillet dernier. « Le minimum du minimum, j’en fais une question de dignité, c’est de porter l’indemnisation au niveau du RSA, mais même à ce niveau c’est insuffisant. Il faut tendre vers le SMIC, rapidement », demandait le sénateur du Nord.

On ne sera pas surpris de voir Dominique Verien, membre du groupe Union centriste comme Olivier Henno, saluer une annonce « plutôt positive. Un congé parental plus court mais mieux payé, pour que tout le monde puisse le prendre plus facilement, pourquoi pas ».

Réforme du congé parental, « une proposition intéressante » pour la socialiste Laurence Rossignol

« Banco », lance pour sa part Laurence Rossignol, « favorable à la réforme du congé parental. Le point de vue est partagé. Il y a eu un rapport du Sénat », rappelle la sénatrice PS. Pour l’ancienne ministre, « l’idéal serait un congé rémunéré à 80 % du salaire, avec un plafond par exemple de deux smic. J’ai toujours considéré que c’était une proposition intéressante. Il faudra mettre les moyens. Mais je rappelle que la branche famille est excédentaire ».

La sénatrice LR Laure Darcos salue également « une avancée très forte. Ça peut permettre, notamment à des femmes qui renonçaient à avoir plusieurs enfants, de pouvoir continuer leur carrière, et d’envisager d’en faire un autre. Car il faut un partage des tâches. La jeune génération est prête, du côté des hommes, à partager entièrement ce droit de congé parental, et de permettre à des hommes de s’occuper des enfants. J’ai des exemples, dans des familles nombreuses, où la femme a pu continuer sa carrière car c’est l’homme qui est à la maison. C’est un rééquilibrage qui va dans le bon sens ».

Mélanie Vogel veut rendre « obligatoire » pour l’homme et la femme le congé parental

Mais pour l’écologiste Mélanie Vogel, il faut aller encore plus loin pour être efficace. « Si on veut lutter contre les inégalités, si on veut que les femmes ne perçoivent pas le fait d’avoir un enfant comme mécaniquement un frein à leur carrière, on doit avoir des mécanismes qui poussent à l’égalité. Pour ça, il faut que le congé soit de même durée pour les deux parents, de même rémunération et que pour les deux, il soit obligatoire. Si vous laissez aux hommes le choix de prendre ou pas le congé, forcément, ça incite les couples inégalitaires à le rester ».

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