Votre étude menée auprès d’un échantillon de 1 000 personnes de plus de 15 ans avec l’institut de sondage Ipsos révèle que les Français ont moins lu depuis le début de la crise sanitaire il y a un an : comment l’expliquez-vous ?
Nous avons vécu une année 2020 très troublée et très atypique. En conséquence, le lectorat national a baissé de huit points en deux ans. Cela s’explique surtout par la généralisation du télétravail. La porosité entre le lieu du domicile et le lieu du travail a en effet fait disparaître les frontières entre la lecture professionnelle et la lecture plaisir qu’on pouvait avoir le soir en rentrant de sa journée de travail justement. Le télétravail a aussi réduit considérablement le temps passé dans les transports en commun que les Français utilisaient habituellement pour avancer sur la lecture de leur dernier roman du moment. Autre élément important toujours lié au télétravail : la charge de travail qui a considérablement augmenté n’a également pas incité les gens à prendre le temps de lire malheureusement. Il est vrai, et on peut les comprendre que certains Français se sont sentis las et fatigués, et la capacité de s’abandonner dans l’imaginaire d’un livre et de son auteur a du coup été beaucoup moins probante.
Cela vous inquiète ?
Non, je ne suis pas du tout alarmiste. Le lectorat baisse oui, mais c’est tendanciel depuis une dizaine d’années et la France reste une nation de lecture. Les Français sont très attachés à leurs livres papier et à leurs librairies. On le voit bien dans le sondage : 86 % des Français ont au moins lu un livre sur les 12 derniers mois et à la question : « si vous aviez une journée de libre à quoi la consacreriez-vous ? », les Français sondés répondent d’abord qu’ils aimeraient faire une sortie avec des amis, car avec les restrictions de liberté, ils ont pu moins le faire depuis un an, mais en seconde position, ils se prononcent en faveur de la lecture d’un livre. Ils associent d’ailleurs clairement la lecture à une notion de plaisir. 72 % d’entre eux nous disent que lire est un plaisir, 66 % que ça leur permet d’apprendre quelque chose et 49 % que ça leur permet d’être heureux et épanoui dans la vie.
Est-ce que la fermeture des librairies lors du premier confinement explique aussi la baisse du marché du livre en France ?
Il est vrai que la fermeture des librairies au printemps dernier a fait chuter le marché du livre : il a baissé de 3 % en France. Mais les libraires ont bien rectifié le tir en décembre dernier puisqu’ils ont réalisé 30 à 40 % de chiffre d’affaires supplémentaire par rapport à décembre 2019. On s’est rendu compte et les personnes interrogées dans ce sondage le disent : ils sont très attachés aux conseils de lecture de leurs libraires de quartier, et puis le click and collect leur a aussi permis ensuite de bien se relancer.
Vous dites que les Français sont encore très attachés au livre papier, mais est-ce que d’autres formats comme les liseuses numériques se sont davantage développées depuis le début de la crise ?
La lecture sur liseuses ne progresse pas à l’inverse du livre audio qui est un véritable outil de la démocratisation de la lecture. Nous allons d’ailleurs prochainement mener au CNL une étude de marché sur l’audio-book car il a tout de même progressé de 10 % en 2020 en France. Mais oui, je vous confirme que l’attachement au papier est encore très important et que le livre numérique ne représente entre 7 et 8 % du marché en France. On constate également que l’objet livre est probablement un objet d’attachement plus important par rapport à ce que peut-être pour la musique, le CD ou pour le cinéma, le DVD.
Ce sont les jeunes qui ont le plus décroché depuis un an : que comptez-vous faire pour les réconcilier avec la lecture ?
Nous souhaitons travailler sur les usages numériques des jeunes qui leur apportent beaucoup de choses, mais qui n’ont pas été en faveur de la lecture depuis un an. Youtube a représenté 15 % du trafic rien que lors du premier confinement et comme les usages numériques ne cessent de croître, la lecture en pâtit forcément. Mais nous savons qu’en étant présents sur tous ces médias et réseaux sociaux qui sont les leurs, il est possible d’attirer la jeunesse dans la lecture.
Vous avez des exemples d’actions concrètes que vous allez mener à l’endroit des jeunes justement ?
Oui, nous allons réaliser prochainement une étude sur les jeunes mais dès l’âge de 12 ans car c’est à partir de cet âge que l’on constate une baisse d’appétence. Mais nous allons surtout la parole à des auteurs grâce à la publication de capsules sur les réseaux sociaux. Nous voulons aussi interroger des Youtubeurs connus ou encore des chanteurs en vogue sur les derniers livres qu’ils ont lus et leurs rapports à la lecture. Nous souhaitons également rendre beaucoup plus visibles les clubs de lecteurs sur internet et développer considérablement les audio books. Les jeunes nous disent que la lecture reste pour eux un élément d’évasion, cela prouve que rien n’est perdu.