Maltraitance dans les Ehpad : un an après le scandale Orpea, « le compte n’y est pas »

Maltraitance dans les Ehpad : un an après le scandale Orpea, « le compte n’y est pas »

Un an après, Victor Castanet à l’origine des révélations sur le scandale Orpea, publie une version augmentée de son ouvrage « Les fossoyeurs ». De son côté, la Défenseure des droits, Claire Hédon, a détaillé le 16 janvier le suivi des mesures mises en place dans les Ehpad. Les deux rapporteurs de la commission d’enquête sénatoriale sur le sujet, le LR Bernard Bonne et la socialiste Michelle Meunier, abondent dans le sens de Claire Hédon : malgré quelques efforts, « le compte n’y est pas. »
Louis Mollier-Sabet

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Après les révélations du journaliste Victor Castanet sur le groupe Orpea dans son livre « Les Fossoyeurs » (Editions Fayard), dont il publie une version augmentée, de nombreuses institutions s’étaient saisies du sujet des Ehpad. L’Inspection générale des Affaires sociales (IGAS) et l’Inspection générale des Finances (IGF) avaient diligenté une enquête, qui avait débouché sur un rapport au vitriol sur le groupe Orpea. Le Sénat avait aussi lancé une mission d‘information qui s’était transformée en commission d’enquête pour tenter d’élargir la focale sur la gestion des Ehpad en France, notamment pour améliorer le contrôle par les différentes administrations.

Six mois plus tard, la Défenseure des droits, Claire Hédon, publie ce lundi un suivi de son rapport de mai 2021 sur « Les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad », qui estime notamment qu’après l’alerte lancée il y a un an, « la réponse des pouvoirs publics n’est pas à la hauteur. » Un constat partagé par les rapporteurs de la commission d’enquête sénatoriale, le sénateur LR Bernard Bonne, et la sénatrice socialiste Michelle Meunier, malgré la défense de l’action de l’exécutif par le ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées. « Je partage l’impatience de la Défenseure des Droits, […] on ne va jamais assez vite quand il s’agit de protéger les plus fragiles », a en effet indiqué Jean-Christophe Combe ce matin sur Twitter.

« 3 000 postes cela fait une demi-personne supplémentaire par établissement »

« Ce que dit la Défenseure des droits rejoint tout à fait nos conclusions », explique ainsi la rapporteure de la commission d’enquête. Bernard Bonne la rejoint, notamment sur le premier « point d’alerte » soulevé par Claire Hédon : « Elle insiste surtout sur le fait qu’il n’y a pas assez de personnels dans les établissements. C’est une recommandation de longue date. On est à un peu plus de 6 encadrants pour 10 résidents, il faudrait passer à 8 et idéalement à 10. Mais l’Etat ne met pas les moyens. »

Pour Michelle Meunier aussi, « le compte n’y est pas » sur les taux d’encadrement, et ce malgré les 3 000 créations de postes. « Ce n’est pas une surprise, parce que certains disent qu’il faudrait 20 ou 25 000 encadrants supplémentaires pour rentrer dans les clous. » Le sénateur LR de la Loire abonde : « 3 000 postes cela fait une demi-personne supplémentaire par établissement. L’Etat annonce des chiffres au niveau national, mais sur le terrain, on ne les voit pas arriver. Les effectifs augmentent un peu cette année, mais ce n’est pas suffisant. »

« Je ne crois pas qu’il y ait plus de cas de maltraitance, mais il y a plus de signalements »

La Défenseure des droits préconise aussi de « clarifier et renforcer la politique nationale des contrôles » des Ehpad. Là-dessus, « le projet de loi de financement de la Sécurité sociale a apporté quelques satisfactions », concède Michelle Meunier. Le dernier budget de la Sécu a en effet entériné un renforcement des contrôles des groupes qui gèrent les Ehpad, notamment sur le volet financier. Mais la sénatrice socialiste rappelle la nécessité de contrôles plus réguliers « in situ, sur deux jours » en plus des contrôles financiers « sur pièce » : « Sur les contrôles, le compte n’y est pas non plus, comme le rappelle Claire Hédon. Si on veut se rendre compte de la bienveillance dans un établissement, il faut faire comme on le fait dans le médico-social, avec des contrôles inopinés. »

Ces contrôles pourraient par exemple intervenir après des signalements, qui se sont multipliés depuis le scandale Orpea. La Défenseure des droits a en effet annoncé que si 900 signalements avaient été faits sur les six années précédant 2021, 821 avaient été portés à sa connaissance depuis, soit presque autant. Sur ces 821 signalements, 43 % portaient sur des faits de maltraitance. « Je ne crois pas qu’il y ait plus de cas de maltraitance, mais il y a plus de signalements », analyse Bernard Bonne, rejoignant l’analyse de Claire Hédon qui y voit une forme de « libération de la parole. »

Augmentation des contrôles : « C’est impossible d’aller à la vitesse qu’ils avaient prévue »

En revanche, le rapporteur de la commission d’enquête s’interroge sur la possibilité, pour les pouvoirs publics, de réaliser ces contrôles dans de bonnes conditions : « Je ne crois pas que l’Etat ait pu embaucher les 120 à 150 personnes supplémentaires prévues pour augmenter le rythme des contrôles. C’est impossible d’aller à la vitesse qu’ils avaient prévue. Ils tablaient sur 1200 contrôles la première année, on est à peine à 700, loin des 7500 par an. C’était illusoire. »

D’après lui, « ça prend du temps d’embaucher ces personnes, qui ont des compétences particulières » et alors que « ce n’était pas la priorité des ARS de faire du contrôle les établissements médico-sociaux » : « Ils s’y mettent aujourd’hui, mais il manque des gens formés. »

Michelle Meunier y voit aussi le « manque d’attractivité » bien identifié dans les secteurs du médico-social. « Il y a la question salariale, mais pas seulement. Il y a aussi la question de l’image de ces métiers que l’on véhicule. Il faudrait une grande campagne de communication, comme on l’a fait pour les armées, où l’Etat a eu une communication très pertinente. Mais pour les métiers auprès des personnes âgées, des personnes handicapées, ou des enfants, il n’y a pas non plus une grande volonté politique de les rendre attractifs. Les postes en développement de produits dans les startups sont plus vantés. »

Grand âge : « Il nous faut une grande loi »

Pour s’attaquer à ce volet du problème, la Défenseure des droits appelle à « changer le regard » sur ces métiers, tout en « restaurant la confiance des résidents et de leurs familles. » Claire Hédon en appelle ainsi à « un plan d’action sur la place des personnes âgées vulnérables au sein de notre société » et « sur les ressources qui doivent être mobilisées. » Les parlementaires spécialistes du sujet y voient la nécessité d’une grande loi, qui permettrait d’aborder tous les aspects de la problématique, contrairement aux mesures portées chaque année dans le budget de la Sécurité sociale.

« Il nous faut une grande loi qui parle des personnes âgées, du financement, des personnes qui s’en occupent, des familles et des aidants autour de l’autonomie », martèle Michelle Meunier, tout en ayant conscience que la fameuse « loi grand âge » est en passe « de devenir une arlésienne », tant elle est unanimement demandée, mais jamais mise à l’agenda. Jean Castex avait annoncé un « plan pour l’autonomie des personnes âgées » en septembre 2021, mais les sénateurs avaient déjà regretté le « manque d’ambition » d’une « cinquième branche » de la Sécurité sociale dotée d’un financement « modeste. »

« Il suffit d’une décision politique »

« Il nous faut un plan sur 5 ou 10 ans », estime Bernard Bonne, qui insiste sur la nécessité d’une réflexion globale, qui doit dépasser le seul cas des Ehpad. « Nous avions par exemple insisté sur les efforts à faire sur le maintien à domicile et le ‘virage domiciliaire’dans notre rapport de juillet 2022. Il faut une réflexion qui dépasse les Ehpad. »

D’après ce spécialiste du sujet, l’absence de planification est d’autant plus problématique que le travail de réflexion sur le fond a déjà été fait : « Beaucoup réfléchissent sur la dépendance, mais à aucun moment on s’est mis autour d’une table pour parler d’un financement pérenne. On avait compté sur le règlement de la dette de la Sécu mais ce n’est plus d’actualité avec le covid. La réflexion autour de la loi Grand âge a déjà été faite par des acteurs institutionnels, des associations. Ce qu’il manque c’est la réflexion au niveau des moyens, il suffit d’avoir une décision politique. »

Victor Castanet, qui avait déjà réussi à mettre le sujet à l’agenda il y a un an, devrait prochainement sortir une nouvelle édition de son enquête augmentée d’une dizaine de chapitres. Bernard Bonne veut espérer que cela sera l’occasion d’à nouveau parler du sujet de la dépendance et du grand âge. « On n’a pas fini d’en parler », espère-t-il.

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