Maltraitances dans les crèches : des sénateurs pointent « le manque de personnel » et la baisse d’attractivité du secteur

Maltraitances dans les crèches : des sénateurs pointent « le manque de personnel » et la baisse d’attractivité du secteur

L’Igas alerte sur la situation des établissements d’accueil des jeunes enfants : la dégradation des services, liée principalement au manque de personnels et de places, favorise les situations de maltraitance. Auprès de Public Sénat, les deux sénateurs qui ont travaillé sur la maltraitance dans les Ehpad relèvent les mêmes travers « systémiques ».
Romain David

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Après les Ehpad, les crèches. Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), publié ce mardi 11 avril, alerte sur le risque de maltraitance dans les établissements d’accueil des jeunes enfants. Ce document appelle à toute une série de réformes, et notamment une remise à plat des financements, pour améliorer sensiblement la qualité d’accueil et d’encadrement des enfants. Cette mission d’évaluation du secteur avait été lancée par le ministre des Solidarité, Jean-Christophe Combe, en réponse à la mort d’une fillette de 11 mois dans une crèche de Lyon, le 22 juin dernier, après qu’une professionnelle lui avait fait ingérer de la soude caustique. L’Igas a enquêté pendant plusieurs mois, auditionné des professionnels du secteur, visité plus d’une trentaine d’établissements d’accueil et adressé des questionnaires aux directeurs d’établissements, aux professionnels assurant l’accueil des enfants et aux parents.

« À l’issue de ses investigations, la mission dresse le constat d’une qualité d’accueil particulièrement hétérogène dans les établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE), le secteur présentant des établissements de grande qualité, portés par une réflexion pédagogique approfondie, comme des établissements de qualité très dégradée », lit-on dans ce document. L’inspection s’alarme de fortes disparités, d’un territoire à l’autre, concernant la qualité des bâtiments et des aménagements, le taux d’encadrement des enfants ou encore le niveau de formation des personnels.

Mais de manière plus globale, elle pointe la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur : des niveaux de rémunération trop bas, une mauvaise qualité de vie au travail et des emplois du temps qui ne permettent pas toujours d’accorder aux enfants le temps d’encadrement nécessaire sont autant de facteurs d’une « maltraitance institutionnelle », qui peut elle-même générer des cas de « maltraitance individuelle ». « L’accueil collectif des jeunes enfants est un secteur qui tend à être idéalisé, et dont on ne reconnaît ni la pénibilité ni les risques, au détriment des enfants comme des professionnels », indique encore le rapport. Ainsi, l’Igas va même jusqu’à dresser un lien avec la gestion des Ehpad, qui ont fait l’objet d’une série d’investigations en 2022, suite à la vive émotion suscitée par la publication du livre-enquête de Victor Castanet, Les Fossoyeurs.

« La maltraitance n’est pas organisée par l’établissement, mais par le manque de personnels et de temps »

« On pourrait parler de maltraitance systémique. Les professionnelles elles-mêmes ne cherchent pas à malmener les enfants. Ce sont des situations déjà pointées dans le secteur des personnes âgées », observe auprès de Public Sénat la sénatrice socialiste Michelle Meunier, co-auteur du rapport de la Chambre haute sur le contrôle des Ehpad, également en pointe sur les questions liées à la petite enfance. Son co-rapporteur, le LR Bernard Bonne, abonde : « Quelle que soit la structure, c’est souvent le même problème. La maltraitance n’est pas organisée par l’établissement mais par le manque de personnels et de temps. La maltraitance d’une personne envers une autre reste rarissime. Ce sont souvent des gestes inconscients, une forme de négligence liée à la multiplication des tâches et au manque d’accompagnement. »

Le rapport fait pourtant état de cas de fessées, de douches froides, de forçage alimentaire, d’enfant attachés sur des chaises ou à des radiateurs et d’autres pratiques de contention pour les obliger à dormir. L’Igas formule 38 recommandations pour redresser la situation. L’inspection estime notamment que les normes en termes de taux d’encadrement (1 professionnel pour 5 enfants qui ne marchent pas ou 8 enfants qui marchent) doivent être considérées comme un seuil minimal et non comme un objectif à atteindre, et invite à relever le niveau général de qualification des personnels à travers la formation continue.

Renforcer le contrôle et les effectifs

Le rapport évoque également la nécessité d’une remise à plat des modes de financement, à la faveur de contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens. « Cette modalité de financement devra permettre de financer sur des objectifs de qualité, en accordant une meilleure visibilité budgétaire aux établissements, de renforcer la transparence entre le financeur et les gestionnaires, et de conserver des capacités de réajustement budgétaire en fonction de l’activité », explique le rapport. Il est également question d’élargir les missions de contrôle, trop centrées sur l’hygiène et la sécurité, pas assez sur la qualité de l’accueil. « Les contrôles, notamment sur les règles de sécurité, existent et sont généralement faits au moment de l’ouverture des locaux. Ils se font plus rares par la suite. Mais il y a sans doute un travail à faire au niveau des PMI (la protection maternelle et infantile, une mission confiée aux départements, ndlr) pour que les inspections soient plus régulières », commente le sénateur Bernard Bonne.

Dans un communiqué, le ministre Jean-Christophe Combe fait savoir qu’il « entend se saisir des conclusions de ce rapport pour agir rapidement sur l’amélioration de la qualité d’accueil du jeune enfant ». « Le ministre a demandé à ses services d’instruire l’ensemble des recommandations en vue de leur mise en œuvre aussi complète et rapide que possible dans le cadre du projet de service public de la petite enfance », fait savoir le ministère.

En 2019, il manquait 230 000 places de crèche en France, en plus des 450 000 existantes selon le baromètre économique de la petite enfance publié par la Fédération française des entreprises de crèche. Entre 2016 et 2026, 164 000 assistantes maternelles partiront en retraite sur un contingent de 304 000, toujours selon cette étude. Début 2022, en ouverture du Congrès de la Fédération des acteurs de la solidarité, Emmanuel Macron évoquait la création d’un « droit à la garde d’enfant » et l’ouverture « progressive » de 200 000 places supplémentaires d’accueil. « D’autres avant le président de la République ont déjà fait ce type de déclarations. Derrière les chiffres annoncés, ce n’est pas l’Etat qui subventionne mais la mairie ou le Conseil départemental. Dans la pratique, l’objectif affiché est généralement divisé par quatre », cingle Michelle Meunier.

Ayant elle-même reçu une formation d’éducatrice de jeunes enfants, la sénatrice cible d’abord la baisse d’attractivité du métier. « Dans mon département de Loire-Atlantique, la CAF m’a fait savoir en novembre 2022 que 150 berceaux budgétisés étaient restés vacants dans les centres d’accueil, faute de personnels. Le problème est similaire à celui des lits d’hôpital et au manque de soignants. Le travail est rythmé par un quotidien exigeant. C’est routinier, répétitif, parfois physique, avec une charge mentale importante. Dans ces conditions, les gens ne peuvent pas être rémunérés au Smic », déplore-t-elle. « En parallèle, il faut sensibiliser les jeunes à ces métiers, au fil des années, ils ont été complètement invisibilisés ».

« Nous traversons une pénurie des métiers du social et du médico-social », admet le sénateur Renaissance Xavier Iacovelli. « La volonté d’ouvrir des postes est là, mais sans revalorisation du métier, ils ne seront pas pourvus. Contrairement à ce que l’on peut entendre, il ne s’agit pas que d’une question financière. Il faut aussi travailler sur l’image que reflètent ces métiers. »

Vers un service public de la petite enfance

Au-delà des annonces faites par Emmanuel Macron, des concertations territoriales autour de la petite enfance ont été lancées en début d’année dans le cadre du Conseil national de la refondation (CNR). Ces travaux devraient s’achever courant avril, avant un CNR conclusif à Nancy, au cours duquel doivent être dévoilés les contours d’un Fonds d’innovation pour la petite enfance. Il pourrait s’agir d’un premier jalon pour la mise en place d’une branche petite enfance de la Sécurité sociale. « L’idée d’un service public de la petite enfance est une idée qui m’est chère. On en a beaucoup parlé en 2012, lorsque la gauche est arrivée au pouvoir, mais elle ne s’est pas concrétisée. Depuis, c’est devenu une Arlésienne, la petite sœur de cette branche vieillesse que l’on attend toujours… », soupire Michelle Meunier.

« Il y aura des annonces dans les jours à venir », assure Xavier Iacovelli. En décembre dernier, il avait échoué à faire voter par ses collègues la création d’une délégation sénatoriale aux droits de l’enfant. « J’ai écrit à Gérard Larcher, pour que cette décision soit prise par le Bureau du Sénat. J’attends sa réponse. »

« Il y aurait peut-être un premier travail à faire en termes de pilotage », nuance Bernard Bonne. « Au sein du gouvernement, les questions liées à l’enfance sont éparpillées entre plusieurs ministères : Charlotte Caubel est la secrétaire d’Etat chargée de l’enfance, rattachée à la Première ministre, mais les questions d’accueil, par exemple, sont gérées par Jean-Christophe Combes, au titre du ministère des Solidarités », observe l’élu de la Loire. « On gagnerait certainement en efficacité et en clarté à regrouper tout cela sous le même portefeuille. »

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