Paris Yellow Vests protest

« Méfiance », « illégitimité », « élus corrompus »… Une enquête révèle le profond malaise des Français vis-à-vis du monde politique

L’édition 2025 du baromètre de la confiance politique du Cevipof illustre l’érosion très importante du crédit qu’accordent les Français à leurs responsables politiques. La dégradation des différents indicateurs de confiance au cours de l’année écoulée est notamment imputable à la dissolution et à l’instabilité politique qui en a découlé. Au point de nourrir une forme de désintérêt pour la démocratie. Désormais, 73% des Français réclament « un vrai chef en France pour remettre de l’ordre ».
Romain David

Temps de lecture :

9 min

Publié le

Mis à jour le

« Méfiance », « lassitude » et « morosité ». Voilà les termes qui dominent lorsque l’on interroge les Français sur leur état d’esprit actuel. Ce ressenti a progressé de 4 à 7 % au cours de l’année écoulée, selon le baromètre annuel de la confiance politique, réalisé par l’institut OpinionWay pour le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), et publié ce mardi 11 février. L’originalité de cette enquête est de comparer le ressenti des Français à celui de leurs voisins allemands et italiens. Pour la première fois cette année, des données récoltées aux Pays-Bas ont également été intégrées à cette étude et permettent d’élargir la comparaison.

Il en ressort un net « désarroi démocratique » exprimé par les Français, selon la formule du Cevipof. Au terme d’une année de crise politique et budgétaire inédite, la France se distingue par un pessimisme très marqué au regard des autres pays européens testés dans ce baromètre. « Cette enquête annuelle de référence révèle un profond malaise au sein de l’opinion publique française vis-à-vis de la politique et de ses représentants. Avec un niveau de confiance au plus bas, les chiffres mettent en évidence une crise de légitimité et une désaffection marquée à l’égard des institutions démocratiques », indique le Cevipof.

Le sentiment de méfiance domine désormais chez 45 % des Français, contre 38 % il y a un an, alors qu’il n’a progressé que d’un point en Allemagne (25 %), et baissé de deux points en Italie (31 %). Il n’est que de 16 % aux Pays-Bas. Le sentiment de lassitude, à 40 % en France (+ 4 points), chute à 31 % en Italie (-5 points) et 15 % en Allemagne (-1 point). Il ne dépasse pas les 13 % chez les Néerlandais. « A contrario, seuls 15 % des Français ressentent du bien-être, 14 % de la sérénité, et 13 % de la confiance. Ces chiffres contrastent avec ceux de l’Italie et de l’Allemagne, où la sérénité est respectivement ressentie par 26 % et 33 % des citoyens », note le Centre de recherches politiques de Sciences Po.

La situation politique actuelle, issue de la dissolution, est principalement génératrice d’inquiétude (80 % des sondés), de colère (68 %) et de confusion (67 %).

Une crise de la confiance

74 % des Français interrogés indiquent ne pas avoir confiance dans la politique (+ 4 points). Là encore, l’écart se creuse avec nos voisins : 61 % des Italiens ne croient pas en la politique (-5 points) contre 57 % des Néerlandais et 53 % des Allemands (-2 points). Les termes « méfiances » et « dégoût » l’emportent lorsque l’on interroge les personnes sondées sur leur rapport à la politique (respectivement à 37 % et 26 %). Inversement, seuls 3 % des Français parlent de « respect » et 1 % « d’enthousiasme ». Ils sont 83 % à considérer que les responsables politiques, en général, ne tiennent pas compte de leur avis.

« Cette crise de confiance est très profonde. Elle vient d’un pays qui s’interroge sur lui-même. La France a du mal à regarder vers l’avenir, à se projeter sur ce qu’elle sera dans 20 ou 50 ans. Ce pays, tiraillé par des fractures, des questionnements profonds, identitaires, n’a plus confiance en ces responsables politiques pour gérer la situation et proposer des solutions », réagit auprès de Public Sénat le sénateur de Paris Bernard Jomier (Place publique).

74 % des personnes interrogées estiment que le personnel politique est corrompu, un chiffre qui a progressé de 6 points en une année. L’écart avec l’Allemagne est particulièrement marqué : seuls 49 % des Allemands (-2 points) remettent en cause la probité de leur personnel politique.

« Nous avons fait de la politique une guerre entre écuries. Dans les autres pays d’Europe, les élections sont moins personnalisées », observe le sénateur des Pyrénées-Atlantiques Max Brisson (LR). « Quand je regarde les résultats en Espagne, voisine de mon département, je peux vous dire que les visages des parlementaires élus n’apparaissent jamais à la télévision le soir, seulement les partis et le nombre d’élus. Ce sont d’abord les idées, les convictions des uns et des autres qui sont prises en compte, pas les personnalités. Nous avons trop personnifié la vie politique française et quand on personnifie, on présente des hommes et des femmes avec leurs défauts. Il est grand temps de revenir aux idées. C’est peut-être un vœu pieux, mais je pense que c’est la solution. »

La représentativité remise en cause

La défiance s’observe tout particulièrement vis-à-vis des organes de la démocratie représentative : 78 % des personnes interrogées remettent en cause la légitimité des représentants politiques, y compris ceux qui ont été élus. La confiance en l’Assemblée nationale, désormais paralysée par le tripartisme, s’érode, passant en un an de 29 à 24 %. Seuls 32 % des sondés disent faire confiance au Sénat. Mais surtout, 76 % des Français indiquent ne pas faire confiance au gouvernement, soit une chute de 5 points alors que trois chefs de gouvernement se sont succédé depuis le dernier baromètre. Là encore, la France assure un écart moyen d’environ 15 points par rapport aux trois voisins cités plus hauts.

Alors que le gouvernement actuel est né d’un rapprochement entre quatre grandes forces politiques, avec d’un côté les soutiens historiques au président de la République, et de l’autre Les Républicains, 32 % des Français estiment qu’une coalition faite de compromis ne fait pas un bon gouvernement. D’ailleurs, 68 % des Français pensent que le gouvernement de François Bayrou est illégitime.

« Ce gouvernement répond à une réalité politique : l’absence de majorité, qu’elle soit absolue ou relative. Pour que notre pays puisse continuer à fonctionner la solution a été de trouver ce socle commun, dont on peut penser qu’il ne répond pas à toutes les préoccupations de nos concitoyens, mais c’était la seule façon d’avoir un pays qui continue de fonctionner », observe la sénatrice des Alpes-Maritimes Dominique Estrosi Sassone (LR). Pour autant, le fait majoritaire n’est pas particulièrement plébiscité : seulement 39 % des Français disent préférer un gouvernement engagé, toujours selon les indicateurs du baromètre du Cevipof.

Le président de la République cristallise les critiques

Le niveau de confiance vis-à-vis du président de la République s’effondre à 23 % (- 6 points). Il est à 27 % (- 8 points) pour son chef de gouvernement. 67 % des Français se disent mécontents de l’action d’Emmanuel Macron (20 % de satisfaction), pour une note globale de satisfaction estimée à 2,8 sur dix. 56 % le considèrent comme le premier responsable de la crise politique actuelle.

Le locataire de l’Elysée accuse, après huit ans au pouvoir, une usure plus marquée que celle de ses homologues européens, élus plus récemment. Outre-Rhin, la cote du chancelier Olaf Scholz progresse sensiblement, passant de 22 à 28 % de satisfaction. Deux ans après son arrivée au pouvoir, l’Italienne Giorgia Meloni est à 47 %, en hausse de 4 points.

« Le président Macron a voulu enjamber sa réélection. Il n’y a pas eu de débats pendant la présidentielle, le contrat avec la population n’a pas été renoué. C’est une erreur qui lui est imputable », analyse le sénateur Max Brisson. « Cela n’en fait pas un président illégitime ou illégal, je respecte les institutions, mais l’on peut dire haut et fort qu’il y a eu une erreur politique qui explique la situation dans laquelle nous sommes, la dissolution venant parachever l’ensemble. »

« Dans un pays en crise, qui s’interroge sur lui-même, qui ne sait pas où il va, le fait que le chef de l’Etat ait ajouté du chaos au chaos au lieu d’apporter de la stabilité a probablement pesé et transformé ce sentiment latent de confusion en défiance accrue », avance Bernard Jomier. « Il le paye cher aujourd’hui, puisque toutes les enquêtes d’opinion disent que les Français n’ont plus confiance en lui pour mener le pays. »

À rebours, de l’autre côté du spectre, le maire est la personnalité politique qui s’en tire le mieux : 61 % des Français lui font confiance (+ 1 point), loin devant les députés (40 %, + 1 point). « Fort heureusement, au niveau local, les maires continuent à avoir une cote de confiance importante. Tout simplement parce que les Français savent que ces maires sont au travail, dans la proximité et l’écoute. Il est très important de maintenir ce socle de la démocratie locale au regard de ce qu’il se passe au niveau parlementaire et national », insiste Dominique Estrosi Sassone.

73 % des Français réclament « un vrai chef en France pour remettre de l’ordre »

71 % des personnes sondées estiment que la démocratie fonctionne mal, soit une progression de 3 points par rapport au dernier pointage. Ils ne sont que 48 % à avoir ce sentiment en Allemagne (+ 1 point) et 62 % en Italie (-1point). 45 % des Français estiment que de nouvelles élections ne suffiront pas à débloquer la situation. D’ailleurs, 48 % des sondés pensent que « dans une démocratie rien n’avance, et qu’il vaudrait mieux moins de démocratie mais plus d’efficacité ».

Le Cevipof observe ainsi la montée d’une tendance pour le moins inquiétante chez les Français : « L’attrait pour un pouvoir plus autoritaire ». 73 % réclament « un vrai chef en France pour remettre de l’ordre », contre 60 % en Allemagne et en Italie. Pour 41 %, « un homme fort n’a pas à se préoccuper des élections ou du Parlement », une assertion en progression de 7 points par rapport à février 2024. Notons toutefois que 71 % des personnes interrogées dans cette enquête estiment que « la démocratie fonctionnerait mieux en France si les citoyens étaient associés de manière directe (pétitions, tirage au sort) à toutes les grandes décisions politiques », un pourcentage qui reste stable.

Dans la même thématique

« Méfiance », « illégitimité », « élus corrompus »… Une enquête révèle le profond malaise des Français vis-à-vis du monde politique
3min

Société

Reconversion : « Pour trouver les aides, c’est un vrai parcours du combattant » lâche cet ex-ouvrier

Si aujourd’hui Laurent Maillet pose tout sourire devant sa crêperie familiale, il n’oublie pas pour autant le chemin parcouru et les difficultés rencontrées avant de pouvoir accueillir ses premiers clients. Licencié fin 2023 suite à un plan social, ce quinquagénaire décide de tenter l’aventure de la reconversion. Un an plus tard, il savoure sa réussite, accompagné par sa femme et son fils. Une histoire de reconversion racontée dans l’émission Dialogue citoyen.

Le

« Méfiance », « illégitimité », « élus corrompus »… Une enquête révèle le profond malaise des Français vis-à-vis du monde politique
3min

Société

Parité aux municipales pour les petites communes : « C’est dramatique de devoir passer par la loi, mais c’est nécessaire », estime Loïc Hervé

Invité de la matinale de Public Sénat, le sénateur (Union centriste) et vice-président de la Chambre haute Loïc Hervé « se réjouit » du vote, mardi 11 mars, de la généralisation du scrutin de liste aux élections municipales, imposant ainsi la parité, et ce malgré des débats houleux dans l'hémicycle.

Le

Dans son bilan de l’année 2024, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) observe ainsi une hausse de 15 % des signalements et incidents par rapport à 2023.
6min

Société

Cybersécurité : face à une menace grandissante, les parlementaires sont-ils bien protégés ?

Dans son bilan annuel, l’ANSSI pointe une hausse des cyberattaques en 2024, notamment des « tentatives de déstabilisation ». S’ils ne sont pas les seuls à être ciblés, certains sénateurs ont déjà fait l’objet d’attaques, ce qui pousse le Sénat à sensibiliser sur les bonnes pratiques. Un travail qui doit encore être amélioré, pointent certains élus.

Le