Mères isolées, mères sans domicile : au Sénat, le Secours catholique alerte sur « une féminisation de la pauvreté »

La délégation aux droits des femmes lance ses travaux sur la situation des familles monoparentales, et en particulier des mères isolées. À cette occasion, les sénateurs auditionnaient ce 14 décembre deux membres du Secours catholique. L’association consacre son rapport annuel à la précarité des femmes, majoritaires parmi leurs bénéficiaires.
Rose Amélie Becel

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Le constat du rapport annuel du Secours catholique sur l’état de la pauvreté en France est sans appel : les femmes sont aujourd’hui davantage exposées à la précarité que les hommes. Un phénomène sur lequel la délégation sénatoriale aux droits des femmes a décidé de se pencher, dans le cadre de travaux sur deux thématiques. La première porte sur les familles monoparentales et les mères isolées, conduit par les sénatrices Colombe Brossel (socialiste) et Béatrice Gosselin (LR), et l’autre sur la problématique des femmes dans la rue.

Ce 14 décembre, la délégation débutait ses travaux – sur lesquels elle rendra des conclusions à la fin du premier trimestre 2024 – avec l’audition de Raphaël Badaoui, co-auteur du rapport du Secours catholique, et Sophie Rigard, chargée de projet « accès digne aux revenus » au sein de l’association. En 2022, les femmes représentaient près de 58 % des personnes accueillies au Secours catholique, contre 50 % il y a trente ans. Les mères isolées représentent environ 40 % des ménages aujourd’hui rencontrés par l’association.

Des mères isolées majoritairement en activité

Parmi les familles monoparentales accompagnées par le Secours catholique, les femmes sont surreprésentées, à l’image de la population générale où elles représentent 82 % des adultes à la tête de ces ménages. Une situation familiale qui accroît le risque de vivre sous le seuil d’extrême pauvreté (807 euros par mois pour 2022), alerte Raphaël Badaoui : « Vivre seule avec des enfants semble limiter le fait de ne percevoir aucune ressource, peut être parce qu’on est mieux repéré par les services sociaux, mais avoir des enfants à charge fait qu’on n’atteint pas un niveau de vie suffisant pour avoir des conditions de vie dignes. »

Ce panorama du Secours catholique met en avant une autre donnée frappante : la majorité des mères isolées accueillies par l’association, travaillent ou sont en recherche active d’un emploi, c’est d’ailleurs parmi cette catégorie de population que l’association compte le plus de bénéficiaires actifs.

« Même avec un emploi, quand on est seule avec un enfant on ne s’en sort pas forcément et on est obligé de faire appel à une association caritative », constate ainsi Raphaël Badaoui. Une situation de grande précarité qui s’explique aussi, comme dans la population générale, par le fait que les femmes occupent davantage les emplois à temps partiel.

Besoin de répit et d’accompagnement dans les démarches administratives

Lors de leur audition, les représentants du Secours catholique ont aussi souhaité alerter les sénateurs sur l’importance du « besoin de répit » des mères isolées. « Pour ces parents qui vivent dans la précarité, pour qui c’est un combat quotidien, la charge mentale et matérielle des enfants nécessite d’autant plus des moments où ils peuvent souffler, et savoir que leurs enfants sont pris en charge dans des accueils de jour », insiste Sophie Rigard. Du temps pour soi, souvent occupé à effectuer des tâches administratives ou à la recherche d’emploi.

Dans ces démarches administratives, les mères isolées sont aussi pénalisées. Il y a dix jours, une enquête du Monde révélait que la Caisse d’allocations familiales (CAF) utilisait depuis 2010 un algorithme pour orienter ses contrôles pour fraude, accusé de discriminer les plus précaires. Les mères isolées feraient partie des cibles privilégiées.

Pour éviter les fausses déclarations, Sophie Richard estime que ce public aurait au contraire besoin d’un accompagnement spécifique, face à des démarches complexes, qui doivent parfois être gérées dans l’urgence : « Lorsqu’elles se séparent d’un conjoint, cela veut dire changer de logement, potentiellement passer d’un temps plein à un temps partiel… C’est le moment où elles ont besoin d’un accompagnement, pour éviter que ces fragilités ne se transforment en bascule dans la précarité ».

L’hébergement d’urgence en situation critique

Enfin, une large partie de cette audition a aussi été consacrée à la situation des femmes seules avec enfant dans la rue. Peu de chiffres existent pour mesurer cette réalité, mais le constat du baromètre des enfants à la rue, publié en août dernier par l’Unicef et la Fédération des acteurs de la solidarité, est édifiant : en un an, le nombre de femmes seules avec enfant et sans solution d’hébergement a augmenté de 46 %.

« On est à un tel point de saturation des services d’hébergement que les travailleurs du 115 orientent aussi vers des réseaux citoyens d’hébergement, qui incluent les squats. On est tellement dans la débrouille pour trouver des solutions à ces femmes et ces enfants qu’on en est là aujourd’hui », déplore Sophie Richard. En raison de cette pénurie, les préfets d’Île-de-France ont par exemple demandé aux associations de mettre en place des critères de priorité dans l’accès à l’hébergement d’urgence, les enfants n’étant pas considérés comme prioritaires au même niveau selon leur âge. « On en vient à dire qu’un enfant à la rue n’est peut-être pas suffisamment vulnérable pour être hébergé », s’indigne Sophie Richard.

Pour répondre à cette urgence, le Secours catholique demande ainsi l’ouverture de « 20 000 places d’hébergement généraliste supplémentaires en 2024 » et d’au moins « 15 000 places d’hébergement dédiées aux femmes victimes de violences ». Le 27 octobre, onze maires de grandes villes ont interpellé la Première ministre sur le manque de places d’hébergement d’urgence, dans une lettre ouverte. Début décembre au Sénat, le volet du budget 2024 consacré au logement a par ailleurs été largement rejeté par les sénateurs. Dans le rapport qu’il a consacré à cette partie du budget, Jean-Baptiste Blanc (LR) reproche à l’Etat de « systématiquement sous-évaluer » les crédits consacrés à l’hébergement d’urgence.

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