A national gendarmerie van entering the Paris courthouse

Meurtre de Matisse à Châteauroux : qu’est-ce que l’excuse de minorité, que le gouvernement souhaite réformer ?

Alors que de multiples faits divers concernant des mineurs font l’actualité ces dernières semaines, le dernier en date, le meurtre de Matisse, 15 ans, poignardé à mort, samedi dernier à Châteauroux, par un mineur afghan âgé lui aussi de 15 ans et placé sous contrôle judiciaire, cinq jours avant le meurtre, Gabriel Attal a annoncé, le 18 avril dernier, souhaiter « ouvrir le débat » sur l’excuse de minorité. Mais au fait, à quoi fait référence cette qualification pénale, qui revient régulièrement dans les discussions ?
Alexis Graillot

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Shaïna à Creil, Shamseddine à Viry-Châtillon, Zakaria à Romans-sur-Isère, Philippe à Grande-Synthe, ou encore ce samedi, Matisse à Châteauroux. Point commun de toutes ces meurtres ? Les mis en cause sont eux aussi des mineurs, bénéficiant de facto, de l’excuse de minorité, définie à l’article 122-8 du Code pénal, conjointement à certaines dispositions contenues dans le Code de la justice pénale des mineurs. Un principe juridique qui permet qu’un mineur soit sanctionné moins sévèrement qu’un majeur.

Que dit la loi ?

Consacré par une ordonnance de 1945 dans le droit pénal français, ce principe juridique, à valeur constitutionnelle, trouve sa source dans le droit pénal français, aux termes de l’article 122-8 du Code pénal : « Les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils ont été reconnus coupables, en tenant compte de l’atténuation de responsabilité dont ils bénéficient en raison de leur âge, dans des conditions fixées par le code de la justice pénale des mineurs », établissant ainsi le principe de l’excuse de minorité.

Ce principe, applicable aux mineurs âgés de 13 à 17 ans, impose au tribunal pour enfants et à la Cour d’assises des mineurs, de ne pas « prononcer une peine privative de liberté supérieure à la moitié de la peine encourue », divisant ainsi leur peine par deux. En revanche, « si la peine encourue est la réclusion criminelle ou la détention criminelle à perpétuité, elle ne peut être supérieure à vingt ans de réclusion criminelle ou de détention criminelle », principes fixés par l’article L121-5 du Code de la justice pénale des mineurs (CJPM), créé par l’ordonnance du 11 septembre 2019.

En-deçà de cet âge de 13 ans, le CJPM estime que le mineur doit être déclaré « irresponsable » pénalement.

Est-il possible de lever l’excuse de minorité ?

Dans l’affaire du meurtre de Matisse, le mineur mis en cause étant âgé de 15 ans, l’excuse de minorité ne peut être levée, cette possibilité incombant seulement aux mineurs âgés de 16 et 17 ans, comme le confirme l’article L121-7 du CJPM, et ce « à titre exceptionnel et compte tenu des circonstances de l’espèce et de la personnalité du mineur ainsi que de sa situation », précisant qu’une telle décision doit être « spécialement motivée ». En outre, si la peine prononcée est celle de la réclusion criminelle à perpétuité, la peine maximale encourue est de 30 ans.

Au vu de ces exceptions théoriques très strictes, la levée de l’excuse de minorité en pratique est rarissime, puisqu’elle n’a été levée que deux fois depuis 1945, la dernière en date en 2013, lorsque dans l’affaire Agnès Marin, Mathieu M., a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour le viol et le meurtre de la collégienne âgée de 13 ans, dont le corps avait été retrouvé calciné, dans une forêt, près de l’internat où elle étudiait. Violeur récidiviste, la Cour d’assises avait alors décidé d’écarter l’excuse de minorité, au motif de la personnalité « ultra-dangereuse » du suspect.

La précédente fois, une telle condamnation avait été prononcée à l’encontre de Patrick Dils, le 27 janvier 1989, inculpé du meurtre de deux garçons, tués à coup de pierre, pendant le mois de septembre 1986. Agé de 16 ans au moment des faits, la justice avait décidé d’écarter pour la première fois, l’excuse de minorité, au regard de l’indignation générale soulevée par l’affaire. Après quinze années passées en prison, son innocence avait été reconnue le 24 avril 2002, en faisant l’une des erreurs judiciaires les plus célèbres dans l’histoire de la justice pénale française.

Quelles pistes de réformes ?

En visite à Viry-Châtillon, le mercredi 17 avril dernier, à l’occasion de ses 100 jours à Matignon, mais aussi (et surtout) à la suite de la mort de Shamseddine, 15 ans, battu à mort à la sortie de son collège, Gabriel Attal avait alors précisé que « dans le respect vigilant de nos principes constitutionnels (…), nous sommes prêts (…) à ouvrir ce débat d’atténuation à l’excuse de minorité, si c’est possible et si c’est souhaitable », ajoutant que « le ministre [de la Justice, Éric Dupond-Moretti] y travaillera et y réfléchira dans les prochaines semaines avec les parties prenantes ». De plus, le Premier ministre s’est montré favorable à la mise en place d’« une comparution immédiate devant le tribunal pour les jeunes à partir de 16 ans, de sorte qu’ils aient à répondre de leurs actes immédiatement, comme les majeurs et qu’ils soient sanctionnés immédiatement, comme des majeurs ».

Parmi les pistes de travail sur la table de l’exécutif, la possibilité de descendre la majorité pénale de 18 à 16 ans, supprimant de facto l’excuse de minorité pour les mineurs âgés entre 16 et 18 ans. Autre hypothèse, faire de l’excuse de minorité, l’exception et non plus la règle, inversant ainsi le principe. Concrètement, dans ce cas de figure, il reviendrait au tribunal de décréter ce principe au regard des circonstances particulières de l’affaire, au lieu que celle-ci soit d’emblée établie.

Le monde juridique dubitatif

Une évolution de la loi qui n’a pas franchement convaincu les différentes professions du monde du droit. A ce titre, l’Union syndicale des magistrats (USM), a pointé un discours qui « omet de parler des difficultés structurelles de la profession », estimant que « c’est un chemin toujours difficile de rappeler les principes fondamentaux de notre République dans une société de la communication où l’immédiateté et l’hyper réactivité sont élevées au rang de vertus cardinales ». Même son de cloche du côté de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), qui a annoncé sa « surprise » à la suite de ces annonces, précisant que « renoncer à l’atténuation de peine pour minorité, notamment pour les plus jeunes, de 13 à 15 ans, c’est nier qu’une personne adolescente n’est pas encore arrivée à pleine maturité ».

Du côté du Barreau de Paris et du Conseil national des barreaux, on s’indigne également de ces annonces, remettant en cause l’explosion supposée de la violence des mineurs : « Soutenir que les jeunes seraient de plus en plus violents est un postulat qu’aucun chiffre ne vient étayer. Au contraire, d’après les statistiques du ministère de la justice, une baisse de 24 % du nombre de mineurs mis en cause a été observée entre 2019 et 2022, et, si la proportion de poursuites est restée stable sur cette période, le nombre de mineurs jugés devant les tribunaux a baissé de plus de 30 % », précise le communiqué du 25 avril, signé par de nombreux syndicats et professionnels du monde de la justice. « Atténuer l’excuse de minorité ou appliquer la procédure de comparution immédiate aux mineurs revient à nier la spécificité propre à la justice pénale des mineurs, alors que la distinction entre mineurs et majeurs est justifiée par la capacité de discernement et la maturité moindre des enfants », s’étranglent-ils, ajoutant que « revenir sur l’excuse de minorité amènerait la France à rompre avec ses engagements internationaux et en particulier la Convention internationale des droits de l’enfant ».

De son côté, le garde des Sceaux et ancien avocat pénaliste, s’est montré relativement prudent sur le sujet : « Ma boussole est constitutionnelle et principielle. J’estime qu’on ne peut pas traiter un adolescent comme un adulte », avance-t-il, ce dimanche 28 avril, chez nos confrères de BFMTV. Preuve s’il en fallait, que même au sein du gouvernement, on préfère avancer à tâtons plutôt qu’à grandes enjambées. Le meurtre de Matisse ce samedi, devrait en tout cas, raviver une nouvelle fois le débat, alors que la droite et l’extrême-droite, ainsi que certains élus locaux (dont la maire de Romans-sur-Isère et le maire de Châteauroux, tous deux divers droite), ont appelé à « revoir » ce principe.

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