PARIS – MANIFESTATION ULTRA DROITE
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Meurtre raciste dans le Var : « Le qualificatif de terrorisme aurait déjà dû être relevé pour d’autres attaques de l’extrême droite »

Après l’attaque commise dans le Var samedi dernier, qui a coûté la vie à un Tunisien et blessé un homme d’origine turque, la justice antiterroriste s’est saisie de l’affaire. C’est la première fois que le qualificatif de terrorisme est retenu pour un crime relevant d’une idéologie d’extrême droite.
Marius Texier

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Aux alentours de 22 heures samedi dernier, dans la commune de Puget-sur-Argens (Var), un homme de 53 ans, posté dans son 4X4, tire à plusieurs reprises sur deux de ses voisins. Un homme de nationalité tunisienne et âgé de 35 ans décède des suites de cinq impacts de balles. Un autre homme, âgé de 25 ans et de nationalité turque, est lui blessé.

Dans une vidéo diffusée juste avant le passage à l’acte, l’auteur a appelé les Français à « se révolter » et « tirer » sur les personnes d’origines étrangères, notamment maghrébine. Il a indiqué inscrire ses crimes dans une idéologie ultranationaliste et xénophobe. Hier dans l’après-midi, le parquet national antiterroriste (PNAT) a annoncé se saisir de l’affaire : une première pour un crime adossé à l’idéologie d’extrême droite. En fin d’après-midi, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a réagi qualifiant le crime de « prémédité et raciste » avec une « dimension terroriste ». Il a ajouté que le racisme en France est un « poison qui tue ». « Chaque acte raciste est un acte anti-français ».

« La violence de l’extrême droite commence à être prise au sérieux »

« Cette réaction est nouvelle, on a le sentiment que la violence de l’extrême droite commence à être prise au sérieux », salue le sociologue Emmanuel Casajus, auteur de l’ouvrage, « Style et violence dans l’extrême droite radicale », aux Editions du Cerf. Son confrère sociologue et spécialiste de l’extrême droite, Erwan Lecoeur, reconnaît lui aussi un changement : « C’est à la fois inédit, mais également étonnant que ce soit la première fois », souligne-t-il. « Le qualificatif de terrorisme aurait déjà dû être relevé pour d’autres attaques de l’extrême droite. Le problème c’est que les services de sécurité ont largement tardé à rendre compte de cette menace ».

Le crime qui a eu lieu dans le Var n’est pas sans rappeler l’assassinat islamophobe d’Aboubakar Cissé qui a eu lieu dans une mosquée du Gard le 9 mai dernier. En raison d’un probable motif « psychopathique » de l’auteur, le parquet antiterroriste ne s’est pas saisi de l’affaire. « Ce qui est sûr c’est que l’assassinat de samedi ressemble beaucoup à des attaques qui se sont passées ces dernières années et qui sont liées à des motifs d’extrême droite », souligne Emmanuel Casajus.

Des assassinats en plein Paris

En 2022, un conspirationniste d’extrême droite et adorateur d’Adolf Hitler, Martial Lanoir a reconnu avoir abattu un jeune d’origine maghrébine en plein Paris, d’une balle dans la tête. La même année, William Malet, un ancien sympathisant du Front national a assassiné dans le 10e arrondissement de Paris trois membres d’un centre culturel kurde.

D’autres crimes de militants d’extrême droite ont également eu lieu sans que le motif raciste soit invoqué notamment en 2013 lorsque le militant antifasciste, Clément Méric, a succombé sous les coups de skinheads d’extrême droite nationaliste après une rixe. Plus récemment en 2022, le rugbyman Federico Martín Aramburú a été tué, après une altercation dans un bar, de plusieurs balles dans le dos. Les deux principaux suspects sont des militants ancrés à l’extrême droite.

« Les attaques ont lieu sur fond d’une guerre ethnique »

Cette recrudescence de crimes imputables à l’extrême droite tend à s’intensifier ces dernières années. En 2021, 29 personnes ont été arrêtées pour des faits de terrorisme liés à l’ultra droite contre 5 en 2020 et 7 en 2019. Après le meurtre du jeune Thomas à Crépol en 2023 et l’expédition punitive de groupuscules d’extrême droite qui a suivi à Romans-sur-Isère, Gérald Darmanin avait indiqué que 13 attentats, pouvant se lier avec la mouvance de l’ultra droite, avaient été déjoués depuis 2017. « A l’image de ce qui s’est passé à Crépol, les attaques ont lieu sur fond d’une guerre ethnique qui va être déclarée prochainement », souligne Erwan Lecoeur. « Il s’agit d’un suprémacisme blanc face à ce que l’on qualifie de grand remplacement, il y a cette idée qu’une guerre doit être déclenchée. De plus en plus de gens baignent dans cet imaginaire ».

Une radicalisation sur les réseaux sociaux

Et ce passage à l’acte commence généralement sur le Net. Dans un article publié ce mardi, Libération a épluché le compte Facebook de l’auteur de l’attaque dans le Var. Entre blagues à caractères xénophobes, antisémites et islamophobes et publications de soutien au Rassemblement national, l’accusé ne cachait pas son idéologie et ce, dès 2016. Pour le sociologue Emmanuel Casajus, le « climat social » qui règne sur les réseaux sociaux contribue grandement à la politisation des sympathisants. « Il y a des groupes Facebook qui sont très élaborés et qui s’adressent généralement à un public de plus de cinquante ans. Il y est raconté que l’on nous a volé le pays, que c’était mieux avant etc. Il y a aussi des incitations au meurtre des populations étrangères ». En 2020, sous une publication de 20 minutes qui annonçait la « libération de 450 détenus radicalisés », l’auteur de l’attaque de samedi commentait : « Il y a intérêt de bien graisser les fusils ».

« C’est une ambiance générale qui règne »

« Il n’y a même plus besoin d’être sur un réseau social spécifique désormais puisque l’idéologie d’extrême droite est accessible à tout le monde », reconnaît Erwan Lecoeur. « Il suffit de suivre des personnalités publiques sur X ou même de regarder certaines chaînes d’infos pour être abreuvé d’une vision du monde qui mène à une guerre ethnique ou religieuse. C’est une ambiance générale qui règne et qui ne nécessite pas d’appartenir à un groupuscule pour passer à l’acte ».

La preuve en est que les crimes racistes commis ces dernières années sont généralement le fait d’individus isolés. « Les groupuscules qui souhaitent commettre des actes terroristes sont assez rapidement repérés par la sécurité intérieure puisqu’ils sont plus facilement identifiables », explique Erwan Lecoeur.

320 groupuscules d’extrême droite actifs en France

Si les groupuscules ne participent pas toujours directement à des actes criminels, ils contribuent à véhiculer l’idéologie d’extrême droite grâce à un maillage important sur le territoire national. Le média d’enquête StreetPress, a recensé en tout 320 sections locales ou groupuscules d’extrême droite actifs en France dans plus de 130 villes. On dénombre en France quelques milliers de membres au sein de ces organisations. Selon Emmanuel Casajus, ce chiffre est stable depuis une vingtaine d’années même s’il observe une hausse de la radicalité en leur sein.

« S’ils ne font pas partie d’un groupuscule, des sympathisants agissent sur un coup de sang ou par influence de ces groupuscules, de la même manière que pour le djihadisme », lance Erwan Lecoeur. « Il y a beaucoup de similitudes entre ces deux formes de terrorisme, ils se regardent les uns les autres avec un même objectif : la guerre civile ».

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