Michelle Perrot observe un retour du masculinisme qui « risque de s’imposer dans toute la société »

Alors que le masculinisme prospère sur les réseaux sociaux, Michelle Perrot, figure du féminisme, alerte sur les droits des femmes qui restent fragiles. Si elle salue le combat des féministes aujourd’hui, elle dit aussi comprendre le désarroi de certains hommes. Cette semaine, Rebecca Fitoussi reçoit l’historienne au Dôme Tournon du Sénat dans l’émission « Un monde un regard ».
Lauralie Margalejo

Temps de lecture :

4 min

Publié le

Mis à jour le

« Les femmes ont-elles une histoire ? ». S’il y a 50 ans elle se posait la question dans l’une de ses premières conférences à l’université, aujourd’hui, elle est affirmative : « les femmes ont bien une histoire ». Dans les années 1970, l’Histoire des femmes était largement invisibilisée, oubliée des manuels. Elle explique : « Le mouvement de libération des femmes a été pour moi un moment très important, c’est à ce moment-là que je me suis dit, c’est bien joli de manifester mais qu’est-ce que je raconte sur les femmes dans mes cours ? Rien. Et ça a été comme mon chemin de Damas ». Pour pallier ce manque, les contributions de Michelle Perrot s’enchaînent alors. Elle publie successivement : Histoire des femmes en Occident, Les femmes ou les silences de l’Histoire, Le temps des féminismes, des ouvrages de référence traduits en plusieurs langues. Venue au féminisme sur le tard, elle en devient rapidement une icône. Avec le recul, elle déclare que son « féminisme était ancien, mais pas manifeste » : née à Paris dans une famille bourgeoise, elle évolue dans « un milieu privilégié » avec des « hommes égalitaires ».

« Me Too est un événement important »

Pour Michèle Perrot, le mouvement Me Too est un « événement important » qui s’inscrit dans une « continuité » historique. Elle fait notamment référence à la légalisation de l’IVG, en 1974, qu’elle qualifie de « révolution copernicienne », dans le sens où cela a permis de séparer la « procréation » de la « sexualité ». Aujourd’hui, elle estime que « Me Too déplace la frontière. C’est le droit véritablement accordé aux femmes de disposer de leur intimité. Avant c’était « un enfant, si je veux, quand je veux, comme je veux ». Maintenant c’est « l’amour, la sexualité, si je veux, quand je veux, comme je veux ». Si elle soutient le combat des féministes d’aujourd’hui en affirmant qu’ « elles vont plus loin, osent davantage dans leur parole et dans leurs actes », elle comprend les réactions de certains hommes, tout en dénonçant ceux qui se tournent vers le masculinisme.

« Ce n’est pas si simple d’être un homme aujourd’hui »

Loin de céder aux simplifications, Michelle Perrot regarde avec ses lunettes d’historienne le retour d’une forme de masculinisme : « je prends conscience que même en France, il y a des résurgences masculinistes, je les analyse, je pense que ce n’est pas si simple d’être un homme aujourd’hui ». Si « certains se posent des questions, d’autres adhèrent à un virilisme, à la compétition, à la domination, au pouvoir, à l’argent ». Ces éléments nourrissent des « positions masculinistes qui risquent de s’imposer dans toute la société », explique Michelle Perrot. C’est pourquoi elle salue l’inscription de l’IVG dans la Constitution en mars 2024 : « je pense que sans que nous nous en rendions compte, il y avait une certaine urgence ». A la question « êtes-vous rassurée pour les droits des femmes aujourd’hui en France et en Europe ? », elle répond : « Non. Je ne suis pas complètement rassurée. Les acquis des femmes et les droits des femmes sont fragiles. Ce n’est pas étonnant car ce qu’on appelle la domination masculine est un système. (…) C’est quelque chose de longue durée. Il y a un socle très difficile à dissiper, donc ça peut toujours se rejouer ».

« On ne naît pas féministe, on le devient »

« Pendant très longtemps, au fond, je n’étais pas tellement féministe » déclare Michelle Perrot. Elle l’était d’une certaine façon car elle « admirait » Simone de Beauvoir et son « grand texte féministe » : Le Deuxième Sexe. Sans jamais déroger à sa ligne directrice : la « rigueur historique », Michelle Perrot s’est engagée pour la cause des femmes. Si elle devait choisir l’une des quatre vertus incarnées par les statues du Dôme Tournon : la sagesse, la prudence, la justice et l’éloquence, elle choisirait cette dernière : « L’éloquence ça veut dire espace public. Revendiquer une parole dans l’espace public a toujours été difficile pour les femmes, donc je soutiendrais cette ambition ».

L’intégralité de l’émission est disponible en replay.

Dans la même thématique

Dans le budget 2025, le gouvernement prévoit de réduire les moyens alloués à MaPrimeRénov, une aide de l’Etat destinée aux travaux de rénovation thermique des logements.
3min

Société

Logement : une proposition de loi communiste pour encadrer le prix du foncier

Pour répondre à la crise du logement, le groupe communiste du Sénat propose d’encadrer les prix du foncier, afin de favoriser la construction de logements sociaux et l’accession à la propriété. Le dispositif serait calqué sur l’encadrement des loyers, déjà en vigueur dans une dizaine de métropoles.

Le

Michelle Perrot observe un retour du masculinisme qui « risque de s’imposer dans toute la société »
3min

Société

Faire payer aux détenus une partie de leurs frais d’incarcération, comme le veut Gérald Darmanin ? « Une idée à la noix », fustige Jérôme Durain

Le ministre de la Justice Gérald Darmanin a annoncé lundi sa volonté de « modifier la loi » pour faire « contribuer » les détenus à une partie de leurs frais d’incarcération. « On est dans la démagogie la plus caricaturale », réagit sur Public Sénat le sénateur socialiste Jérôme Durain, co-rapporteur de la proposition de loi sur le narcotrafic qui devrait être définitivement adoptée par l’Assemblée nationale ce mardi. L’élu dénonce une « surenchère sécuritaire ».

Le

Illustration: justice tibunal,administration penitenciaire.
6min

Société

Qu’est-ce que le « contrôle coercitif », cette notion au cœur des débats sur la proposition de loi contre les violences sexuelles ?

L’intégration dans le Code pénal de cette notion, développée dans les années 1970 pour décrire certains aspects des violences conjugales, a nourri de vifs débats au Sénat jeudi 3 avril. Les élus ont renoncé à la faire entrer strico-sensu dans la loi, mais ils s’en sont inspirés pour revoir la définition pénale du harcèlement sur conjoint.

Le

European Union defence : ‘rearming Europe’ project
6min

Société

Kit de survie : « Quand une population est préparée, elle n’est pas en mode panique », salue le sénateur Olivier Cadic

Pour que les populations soient préparées en cas de crise, la Commission européenne conseille aux citoyens d’avoir un « sac de résilience » avec tout ce qu’il faut pour tenir, en cas de catastrophe naturelle… ou de guerre. « Le but n’est pas de faire peur aux gens », soutient le sénateur LR Cédric Perrin, mais « d’anticiper les situations ». La France prépare un livret de survie, sur le modèle suédois.

Le