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Mise en examen de Pavel Durov : « Telegram a accepté de devenir la plateforme du crime organisé »

Ce jeudi, le Kremlin a averti que l'affaire judiciaire visant le patron franco-russe de Telegram, arrêté en France, ne devait pas « se transformer en persécution politique ». Inculpé par la justice française qui lui reproche de ne pas agir contre la diffusion de contenus criminels sur la messagerie, Pavel Durov s'est vu imposer un lourd contrôle judiciaire l'obligeant à rester en France. Pour Public Sénat, Michel Sejean, professeur de droit à l'Université Sorbonne Paris Nord, enseignant-chercheur en droit de la cybersécurité et directeur scientifique du Code de la cybersécurité aux éditions Dalloz, analyse une affaire qui pourrait se résumer à « une attaque contre l’impunité » et non contre la liberté d’expression.
Steve Jourdin

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Après quatre jours de garde à vue, Pavel Durov a été mis en examen mercredi soir et placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter la France. Est-ce que vous comprenez la décision du parquet ?

Je ne suis pas du tout surpris. Compte tenu des faits qui sont reprochés à Pavel Durov, cette démarche me semble tout à fait justifiée. Ce qui est surprenant c’est qu’il se soit aventuré à venir en France, alors qu’il vivait protégé aux Emirats arabes unis, un Etat qui a investi plusieurs millions d’euros dans la plateforme Telegram. Était-il au courant que les autorités françaises avaient émis un mandat de recherche à son encontre ? On peut se poser la question.

Il est accusé de ne pas agir contre la diffusion de contenus criminels. D’un point de vue technique et juridique, qu’est-ce qui lui est reproché ?

Il faut bien comprendre que Telegram a plusieurs fonctionnalités. La plateforme propose une messagerie chiffrée, qui permet d’échanger des messages de l’ordre de la correspondance privée, comme sur l’application Whatsapp.

Mais ce n’est pas sur ce volet que la plateforme est aujourd’hui attaquée. Ce qui lui est reproché relève d’une autre de ses fonctionnalités, qui consister à créer des chaînes de commerce illicite. A l’origine de ces chaînes on trouve une personne ou un groupe de personnes qui diffusent des messages de façon unilatérale et qui proposent à la vente de la drogue ou des contenus illicites, comme des images pédopornographiques ou de la drogue. Telegram permet par exemple de se géolocaliser pour trouver un dealer à proximité !

Pour sa défense, l’avocat de Pavel Durov dit qu’il est « totalement absurde de penser que le responsable d’un réseau social puisse être impliqué dans des faits criminels ». Quelle est la responsabilité en la matière ?

Instagram fonctionne comme un réseau social et doit donc à ce titre se plier aux exigences de modération comme le prévoit la loi française. La loi LCEN (loi pour la confiance dans l’économie numérique, ndlr.) adoptée en juin 2004, prévoit dans son article 6 une obligation d’information des autorités en matière de contenus illicites. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’on ne reproche pas aux plateformes comme Facebook ou Meta d’héberger du contenu illicite. Sur le principe ces plateformes ne sont en effet pas responsables du contenu que les utilisateurs choisissent de poster ou de diffuser.

En revanche, il existe une exception au principe général : si les autorités repèrent des choses illicites, les plateformes se doivent non seulement de les enlever mais aussi de fournir les informations qui permettront aux autorités de mener une enquête. Or, aujourd’hui, Telegram refuse de collaborer et de répondre aux réquisitions des autorités. C’est précisément pour cette raison que son patron a été interpellé, pour son refus obstiné de toute coopération.

Si je résume, la seule différence entre WhatsApp et Telegram est donc l’attitude de leurs patrons respectifs à l’égard des autorités ?

Telegram a fait de son refus de collaborer une marque de fabrique. En refusant de répondre au FSB, les services de renseignement russe, il y a quelques années, ils sont devenus les « héros » de la confidentialité. Techniquement, WhatsApp est une plateforme plus confidentielle, car les conversations sont « chiffrées de bout en bout », c’est-à-dire qu’il est matériellement impossible pour elle de connaitre le contenu des messages échangés.

En revanche, WhatsApp peut transmettre aux autorités les adresses IP et l’identité des utilisateurs, ce qu’elle accepte de faire lorsque des gouvernements l’exigent. De son côté, Telegram revendique de ne jamais collaborer avec aucun gouvernement et aucune agence de renseignement. Cela signifie qu’elle a accepté de devenir de fait la plateforme du crime organisé.

Que répondez-vous à ceux qui, comme Elon Musk, voient dans cette affaire Telegram une attaque contre la liberté d’expression ?

C’est une attaque contre l’impunité et non contre la liberté d’expression. Pavel Durov a déclaré qu’il « aimait la liberté au point de ne pas supporter qu’on lui donne des ordres ». Mais la liberté ce n’est pas ça ! En France, la liberté d’expression est contenue dans les limites de l’Etat de droit : il est interdit de tenir des propos racistes, antisémites ou misogynes.

Pavel Durov exige lui d’être déchargé de toute responsabilité. Cela n’est pas acceptable dans un pays comme le nôtre ! Il est difficile de savoir comment cette affaire va se terminer, mais les autorités ont décidé d’envoyer un message clair à l’ensemble des plateformes numérique.

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