Paris: C215 expo Parti Communiste
Portrait de Missak Manouchian. L'artiste de street art C215 a realise des portraits de resistants communistes a l'occasion du centenaire du parti communiste et sont exposes en plein air, sur le parvis de l'Espace Niemeyer, siege du parti communiste dans le 19e arrondissement de Paris, jusqu'au 31 decembre 2020. Les portraits rendent hommage a des resistantes et resistants communistes parmi lesquels Danielle Casanova, Elsa Triolet, Martha Desrumeaux, Missak Manouchian, Jean Pierre Timbaud, Gabriel Peri, Paulin Coutelas. Ils sont peints sur des numeros clandestins originaux de 1944 du journal l'Humanite. Paris, FRANCE - 07/12/2020 Portrait of Missak Manouchian. The street art artist C215 has produced portraits of communist resistance fighters on the occasion of the centenary of the Communist Party and are exhibited in the open air, on the forecourt of the Espace Niemeyer, the headquarters of the Communist Party in the 19th arrondissement of Paris, until December 31, 2020. The portraits pay tribute to resistant and resistant communists including Danielle Casanova, Elsa Triolet, Martha Desrumeaux, Missak Manouchian, Jean Pierre Timbaud, Gabriel Peri, Paulin Coutelas. They are painted on original clandestine numbers from 1944 of the newspaper l'Humanite. Paris, FRANCE - 12/07/2020//04HARSIN_EXPOC215PARTICOMMUNISTE005/2012072146/Credit:ISA HARSIN/SIPA/2012072148

Missak Manouchian au Panthéon : « Une certaine idée de la nation française et de notre histoire »

Missak Manouchian et sa femme Mélinée font leur entrée ce mercredi 21 février au Panthéon, 80 ans après avoir été fusillé au Mont-Valérien. De survivant au génocide arménien à symbole de la résistance étrangère, la panthéonisation de Manouchian est aussi le fruit d’un débat historique nourri partagé entre les défenseurs d’un attachement viscéral à l’Histoire et la reconnaissance d’un symbole au-delà d’une personne, d’un couple, d’une histoire.
Alexis Graillot

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Ce mercredi 21 février, 80 ans après « l’anniversaire » de son assassinat, fusillé au Mont-Valérien en compagnie de 21 de ses camarades, Missak Manouchian fait son entrée au Panthéon, accompagné de sa femme Mélinée. Symbole des résistants étrangers « morts pour la France », d’« une certaine idée de la nation française et de notre histoire » au carrefour du mythe et de la réalité en passant par la reconnaissance culturelle, Manouchian, c’est également un attachement profond pour la France, sa culture et ses valeurs, lui l’apatride, survivant du génocide arménien de 1915, lui le poète, lui l’auteur de cette dernière lettre déchirante à sa femme Mélinée dans laquelle il exprime son attachement pour le pays qui l’a accueilli et ses valeurs : « Je m’étais engagé dans l’Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous… »

 

Missak Manouchian : l’histoire d’un apatride devenu martyr

 

Né le 1er septembre 1906 à Adiyaman dans l’ancien Empire ottoman, aujourd’hui située dans le sud-est de la Turquie, il est issu d’une famille de paysans. Orphelin dès 9 ans à la suite du génocide des Arméniens perpétré par l’Empire ottoman en 1915 et qui fera près de 1.2 millions de morts, il est recueilli par des Kurdes avant d’être confié à un orphelinat au Liban, devenu protectorat français. Il apprend alors la langue française, s’initie à la littérature et se forme à la menuiserie. Il émigre à Marseille à l’âge de 18 ans et travaille aux côtés de son frère, sur les chantiers navals de La-Seyne-sur-Mer.

Engagé très tôt dans les luttes révolutionnaires, il adhère au Parti Communiste Français (PCF) à la suite des manifestations antiparlementaires sanglantes des ligues d’extrême-droite du 6 février 1934, mais également en raison du soutien massif du parti en faveur de l’intégration de la main d’œuvre étrangère. Il devient très vite délégué du parti et membre du Comité de secours à l’Arménie. Il rencontre dans le même temps Mélinée, qui deviendra sa compagne au sein du gala du Comité.

Arrêté puis relâché à plusieurs reprises au début de la guerre, il rejoint les FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans – Main d’œuvre immigrée) en février 1943, sous la houlette de Boris Holban, communiste roumain d’origine juive, qui dirige le groupe depuis sa constitution, en avril 1942. Début août, il devient chef militaire du groupe. Dès lors, les actions armées du groupe à l’encontre de militaires nazis vont redoubler, avec comme point culminant, l’assassinat de Julius Ritter, responsable en France du Service du Travail Obligatoire (STO).

Repéré fin septembre par les Brigades spéciales de Renseignements généraux, spécialisées dans la traque des « ennemis intérieurs », il est arrêté le 16 novembre 1943, quelques semaines après l’arrestation du chef politique des FTP-MOI, Joseph Dawidowicz et en même temps que Joseph Epstein, responsable de la région parisienne. Sa femme, Mélinée, échappe à la rafle au cours de laquelle 68 membres sont arrêtés et se cache chez les Aznavourian (amis du couple et parents de Charles Aznavour), eux aussi résistants.

Présenté devant une cour militaire allemande, il est condamné à mort le 18 février 1944 à l’issue d’un simulacre de procès et fusillé 3 jours plus tard dans la clairière du Mont-Valérien en compagnie de 21 francs-tireurs, tandis qu’Olga Bancic, membre des « 23 » identifiés comme francs-tireurs, est torturée puis décapitée à la prison de Stuttgart (Allemagne) le 10 mai. Quant à Epstein, il est jugé dans un autre procès en tant que Français et aryen – du fait de son apparence physique, blond aux yeux bleus – alors que ce dernier est juif polonais. Il subit cependant lui aussi le même sort que ses camarades et est fusillé le 11 mars.

 

Manouchian, un « mythe » rentré dans l’Histoire

 

La fin de la guerre n’attend pas pour que le « mythe » du martyre de Manouchian naisse. Une semaine après son exécution, une vaste campagne de propagande antisémite est lancée sous le nom de « L’armée du crime », visant à présenter les Juifs comme responsables de nombreux attentats terroristes. A ce titre, dans une grande partie des villes et villages de France, une affiche est placardée avec les visages de 10 membres des FTP-MOI fusillés quelques jours plus tôt avec en tête de ceux-ci Missak Manouchian. Cette affiche est accompagnée par la suite de la diffusion d’un tract ainsi que d’une brochure, dénonçant « le rêve mondial du sadisme juif » et que « si des français pillent, volent, sabotent et tuent, ce sont toujours des étrangers qui les commandent (…), ce sont toujours des juifs qui les inspirent ». Si la campagne a pour but manifeste d’effrayer la population et influencer l’opinion publique en la faveur du régime nazi, l’effet inverse se produit, les visages des fusillés, apparaissant désormais comme des martyrs, Manouchian à leur tête.

Cette « publicité » donnée aux 23 fusillés pénètre ensuite dans le monde de la culture grâce à Louis Aragon qui publie en 1955 le poème Groupe Manouchian, très vite renommé Strophes pour se souvenir, popularisé par la suite par le chanteur Léo Ferré en 1961 sous le titre L’Affiche rouge du nom de l’affiche placardée partout en France, 17 années plus tôt. Pour l’historienne Annette Wieviorka, la contribution culturelle de la mémoire de L’Affiche Rouge est essentielle dans la construction du mythe : « L’histoire qui est racontée est celle du poème d’Aragon, phénomène assez unique dans l’Histoire ». A ce titre, elle se veut critique sur l’interprétation faite de l’affiche : « on perd l’essence de L’Affiche Rouge, une affiche qui stigmatise d’abord les Juifs, responsables de la guerre, du capitalisme et du bolchevisme et qui est tout à fait en congruence avec tout ce qu’a été le nazisme : la centralité de cet antisémitisme rédempteur ».

Sa dernière lettre à sa femme Mélinée contribue également à forger sa légende du fait du message de paix et d’attachement aux valeurs républicaines défendues qu’elle représente. Pour l’historien et sénateur du Parti Communiste, Pierre Ouzoulias, qui a défendu l’entrée de Manouchian au Panthéon, l’entrée de ce dernier revêt de multiples symboles : « Manouchian sort du lot car c’est un arménien qui a survécu au génocide, mais également un poète, épris de la culture française, qui meurt en tant que français ». Selon lui, la signature en bas de la lettre est un symbole de cet attachement. En effet, cette dernière lettre se termine par la mention « Signé Michée », diminutif de Michel, prénom « français » de Missak Manoukian. Pour l’élu, cette signature revêt d’un « puissant instrument d’estimation » car elle renforce l’idée que Manouchian est « mort pour la France », statut réservé aux militaires français décédés en fonction, mais qu’Emmanuel Macron accordera aux 22 fusillés du Mont Valérien (Olga Bancic étant assassinée en Allemagne).

 

Une entrée « sans » les « 23 » au Panthéon : « Lorsque la légende dépasse la réalité, imprime-t-on la légende » ?

 

Dans une interview donnée ce lundi 19 février au journal L’Humanité, le chef de l’Etat avait justifié la panthéonisation de Missak Manoukian (et de Mélinée, sa femme), souhaitée par un comité de soutien lancée le 19 décembre 2021, estimant que « c’est une façon de faire entrer toutes les formes de la Résistance intérieure, dont certaines trop souvent oubliées ».

Pourtant, loin de faire l’unanimité, cette décision a suscité l’ire de plusieurs intellectuels ainsi que de la part de certains descendants des FTP-MOI assassinés au Mont-Valérien, qui ont, dans une lettre ouverte dans Le Monde, critiqué ce choix, soutenant que « Missak Manouchian doit entrer au Panthéon avec tous ses camarades ». Parmi eux, l’historienne Annette Wieviorka, qui a récemment publié Anatomie de l’Affiche rouge, retraçant le destin de l’affiche éponyme, écrit au 4e de couverture de l’ouvrage : « L’histoire des Arméniens mérite d’être connue et reconnue. Missak, le militant, le résistant, est une figure digne d’être honorée. Mais je suis saisie par un double sentiment, celui d’une injustice à l’égard des 21 autres résistants étrangers fusillés en même temps que lui par les nazis et d’Olga Bancic guillotinée ; celui d’un malaise devant un récit historique qui distord les faits pour construire une légende » Argument balayé par Pierre Ouzoulias, lui-même petit-fils de résistant, dont Missak Manouchian a sauvé la vie : « Annette Wieviorka ne veut pas admettre la réalité. Derrière Manouchian, c’est tout le groupe qui rentre », ajoutant que le « groupe des 23 » est ici reconstitué de manière symbolique. En effet, le président de la République avait, en réponse à ces critiques, décidé d’apposer sur le caveau, une plaque commémorative listant le nom de ses 22 compagnons d’armes.

Néanmoins, si elle comprend la position du sénateur communiste, Annette Wieviorka, invitée La Grande Librairie de France 5 la semaine dernière, estime que « la recherche de la vérité est une valeur notamment éducative » : « avec l’entrée du seul Missak Manouchian accompagné de son épouse, on peut se demander si la légende et le mythe n’ont pas triomphé de l’Histoire », ajoutant qu’« en héroïsant Manouchian, on en fait une figure tellement éloignée de ce que quelqu’un peut vivre, que je ne suis pas sure que cela puisse servir de modèle ».

 

Missak Manouchian et sa femme Mélinée reposeront aux côtés de Maurice Genevoix et Joséphine Baker, tous deux entrés au Panthéon sur décision d’Emmanuel Macron.

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