Paris, Marseille, Lyon, Nantes, Rennes, Strasbourg… Partout en France, plusieurs centaines de milliers de salariés – plus d’un million de personnes selon la CGT – ont défilé dans les rues à l’occasion d’une journée de mobilisation intersyndicale ce jeudi 18 septembre. Le mot d’ordre de cette nouvelle contestation ? La lutte contre les mesures budgétaires présentées par le précédent gouvernement de François Bayrou, qui tablait sur un effort de 44 milliards d’euros. Si le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu a écarté la suppression de deux jours fériés prévue dans ce projet, il n’a pas encore clarifié ses intentions pour le reste des propositions.
Face à cette situation floue, les syndicats affichent donc leur cohésion. L’ensemble des organisations déjà unies lors du mouvement de lutte contre la réforme des retraites de 2023 – la CFDT, la CGT, FO, la CFTC, la CFE-CGC, la FSU, Solidaires et l’Unsa – ont ainsi appelé conjointement à manifester et à faire grève ce jeudi. « Cette manifestation est déjà une réussite », se félicitait à la mi-journée le président de la CFE-CGC, François Hommeril. « Ça crée les conditions d’un rapport rénové entre les organisations syndicales et le pouvoir. »
Intersyndicale, épisode 2
Le retour d’une union syndicale pour exprimer des revendications communes n’était pourtant pas écrit d’avance. L’échec de la mobilisation conjointe contre la loi Borne, il y a deux ans et demi, aurait pu sonner le glas de l’harmonie alors tout juste retrouvée entre les différentes organisations représentatives des salariés. Celles-ci avaient acté la fin de la mobilisation en juin 2023, trois mois après l’adoption de la réforme controversée grâce à l’article 49-3 activé par le gouvernement. « Nous continuerons à contester cette réforme des retraites et à nous battre pour la justice sociale », avaient toutefois promis les membres de l’intersyndicale.
L’ampleur de la grogne contre le départ à la retraite à l’âge de 64 ans avait été massive. La plus importante journée de manifestations avait réuni jusqu’à 1,28 million de personnes dans la rue, selon le ministère de l’Intérieur, voire 3,5 millions de participants d’après le comptage de la CGT. Néanmoins, le mouvement social avait faibli face à la détermination du gouvernement à inscrire dans la loi la réforme-phare du second quinquennat Macron. CGT et CFDT avaient notamment affiché leurs divergences sur les suites à donner à la mobilisation après la promulgation de la loi.
L’épisode n’avait pas empêché les différents responsables syndicaux de continuer à dialoguer les mois suivants. En octobre 2023, l’intersyndicale avait tenté de relancer une mobilisation au sujet des salaires. Mais le rendez-vous n’attire alors que moins de 92.500 personnes en France selon la police et environ 200.000 personnes d’après la CGT. Un nouvel échec – sur le plan de la mobilisation cette fois.
L’intersyndicale, « un bel outil »
Deux mois plus tard, une nouvelle « phase » de l’union est décidée par les huit partenaires syndicaux. « Ça n’existe pas des intersyndicales permanentes, quand on en fait une, c’est sur un sujet précis », justifie à l’époque la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet. Le contact n’est cependant pas rompu : les organisations conviennent de poursuivre des échanges réguliers et « définir quelques lignes rouges communes et (…) revendications communes ». « L’intersyndicale de mobilisation est un bel outil, mais pour l’instant, le bel outil, on le range dans la caisse à outils », résumait à l’époque le secrétaire général de Force ouvrière, Frédéric Souillot, auprès de l’AFP.
Près de deux ans plus tard, revoilà donc l’alliance syndicale de nouveau rassemblée pour une nouvelle journée de mobilisation. « Une des critiques souvent faites aux syndicats, c’est d’être divisés, d’être animés par une espèce d’esprit de boutique », explique à Public Sénat Dominique Andolfatto, professeur de sciences politiques à l’université Bourgogne-Europe et spécialiste du syndicalisme. « Il y a une demande d’unité syndicale. D’autant plus que comme il n’y a plus vraiment de culture syndicale dans notre pays, la plupart des salariés ne comprennent pas l’émiettement du paysage syndical. »
La crise politique, un levier de mobilisation ?
Pour ces structures, l’intersyndicale demeure aussi un moyen « efficace » pour mobiliser davantage, précise l’expert. En effet, le nombre de travailleurs syndiqués a considérablement diminué depuis les années 90. Aujourd’hui, seul environ un salarié sur dix est adhérent syndical en France. Dans ce contexte, la mobilisation commune d’un maximum d’instances représentatives de salariés est donc un atout de taille pour peser dans le débat social. « De notre point de vue, la question de l’unité syndicale est statutaire, identitaire même », confirmait Sophie Binet en avril dernier, lors d’un entretien accordé avec sa collègue de la CFDT Marylise Léon à Alternatives économiques.
L’instabilité gouvernementale créée par la dissolution de l’Assemblée nationale, en juin 2024, puis les élections législatives anticipées, ouvre aussi des opportunités pour l’intersyndicale. Selon le dernier baromètre du dialogue social réalisé par Ipsos pour le Cevipof et le think tank Dialogues et publié en novembre 2024, 42% des salariés du privé et du public (hors fonctionnaires) interrogés déclaraient faire confiance aux syndicats. Un chiffre encore faible, mais en hausse de six points et surtout bien supérieur à la confiance accordée aux partis politiques (13%).
La crise politique peut-elle finalement être bénéfique aux organisations de salariés si elles continuent d’afficher leur unité ? « Les syndicats essaient d’apparaître comme des recours », analyse Dominique Andolfatto. « Je pense que les salariés leur savent gré d’essayer de faire quelque chose, de se mobiliser, de porter une revendication qu’ils trouvent légitime pour l’essentiel. Mais il demeure quand même aussi une confiance limitée dans les syndicats. » Le spécialiste note ainsi que pour certaines catégories de la population, notamment chez les plus jeunes, une tendance à « l’asyndicalisme » se développe.
À l’heure où ces lignes sont publiées, le bilan définitif de la mobilisation des manifestations et grèves de ce jeudi 18 septembre doit encore être fixé. « Nos organisations restent en contact, conviennent de se revoir après cette journée de mobilisation et de grève et se réservent la possibilité de prendre toute initiative nécessaire », avaient indiqué les huit syndicats dans leur communiqué commun destiné à appeler les salariés à descendre à la rue.