« Mouvement de foule », « accident » et même risque d’attentat : pourquoi l’article 25 du texte sécurité globale inquiète les festivals

« Mouvement de foule », « accident » et même risque d’attentat : pourquoi l’article 25 du texte sécurité globale inquiète les festivals

Le texte prévoit que les policiers pourront entrer dans les lieux recevant du public avec leur arme de service. Pour les responsables de festivals, c’est « l’inquiétude la plus totale ». L’introduction d’une arme risque de créer des « mouvements de panique » et pose un gros problème pour vérifier les cartes de police ou de gendarme. Les sénateurs PS veulent supprimer la mesure.
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Dans le cadre de la proposition de loi sur la sécurité globale, l’article 24 ou l’article 22, sur les drones, focalisent l’attention. Mais un autre article mérite qu’on s’y penche. C’est l’article 25. Une fois adopté, il permettra à un policier ou un gendarme qui est hors service, d’entrer dans les établissements recevant du public (ERP), comme une salle de concert ou un festival, avec son arme de service. Après les attentats de 2015, la loi avait déjà évolué. Depuis 2016, les forces de l’ordre peuvent conserver sur eux leur arme après leur service et même rentrer dans un ERP. Mais les établissements peuvent leur refuser l’entrée. Avec cette nouvelle disposition, ce ne sera plus possible.

« Comportements qui vont dégénérer »

Une idée qui passe très mal dans les milieux culturels, à commencer par les salles de concert et festivals. « Je suis complètement contre » prévient Jérôme Tréhorel, directeur général des Vieilles Charrues, interrogé par publicsenat.fr. Sa crainte : que l’introduction d’une arme soit à l’origine d’un « accident ». « Si l’arme tombe à un moment, ou si le policier lève les mains pour applaudir et qu’on voit l’arme, ça peut créer des mouvements de foule terribles, des mouvements de panique », craint le patron du festival breton, qui reçoit en temps normal près de 300.000 personnes sur quatre jours, à Carhaix. « Ou s’il y a une bagarre, va-t-il prendre l’initiative personnelle d’intervenir ? », demande encore Jérôme Tréhorel.

Même opposition du côté du festival des Trans Musicales de Rennes. « On est dans l’inquiétude la plus totale. Il est possible que l’arme soit découverte par les autres spectateurs, et que cela les mette dans une situation de crainte, avec des comportements qui vont dégénérer », met en garde Béatrice Macé, directrice des Trans Musicales. « Il suffit que le policier enlève son manteau, et que son arme soit visible. Le public va s’inquiéter. Et le contexte depuis les attentats de 2015 est très particulier » continue la responsable du festival rennais.

C’est justement l’attentat du Bataclan qui est pris en exemple, à l’Assemblée, par le député LREM Jean-Michel Fauvergue, ancien patron du Raid, pour justifier la nécessité de cet article 25. Parmi les spectateurs présents ce soir-là, « il y avait trois policiers », qui « n’ont pas pu intervenir » car « l’entrée avec l’arme de service était interdite, car il y avait une fouille », a-t-il souligné au Palais Bourbon.

« Entrer avec une fausse carte de police pour faire ce qu’on a connu au Bataclan »

Mais parfois, l’enfer n’est-il pas pavé de bonnes intentions ? Car selon les professionnels du secteur, l’article 25 ne sera pas une réponse face aux tentatives d’attentats, mais au contraire un risque. La difficulté vient de la capacité de vérifier la carte de police qui sera présentée à l’entrée, par le policier ou le gendarme en civile qui souhaiterait se rendre sur un festival avec son arme. « Est-ce qu’on ne sera pas en présence de personnes qui vont présenter de faux papiers ? », se demande Béatrice Macé. « Ce type de loi peut surtout permettre à des personnes mal intentionnées d’entrer avec une fausse carte de police pour faire ce qu’on a connu au Bataclan », alerte aussi Jérôme Tréhorel, qui ne veut « pas porter la responsabilité de contrôler une carte de police ». L’article 25 ferait ainsi plus de mal que de bien.

La fronde est largement partagée. Dans un communiqué commun, plusieurs syndicats ou associations, comme le SMA, Technopol ou Syndeac, demandent le retrait de l’article. Le texte étant déjà adopté par les députés, ils se tournent maintenant vers les sénateurs. « Nous enjoignons nos représentantes et représentants élu·e·s au Sénat à voter contre cet article » demandent les signataires. Le texte est examiné la semaine prochaine en commission, puis la suivante en séance.

« C’est extrêmement dangereux » selon la socialiste Sylvie Robert

Appel entendu par les sénateurs socialistes. Ils ont déposé un amendement de suppression de l’article. « Comme les professionnels, en tant que responsable politique, je trouve ça extrêmement dangereux de permettre ça. Les professionnels du secteur sont vent debout », soutient la sénatrice PS Sylvie Robert, cosignataire de l’amendement, et qui suit de près la situation des festivals. La sénatrice d’Ille-et-Vilaine poursuit :

Il faudrait plus de concertation avec les professionnels. Et plus encadrer la mesure, si le gouvernement est toujours enclin à l’autoriser.

Ses craintes sont les mêmes : « Ils ne sont pas habilités, ni compétents pour vérifier une carte professionnelle », « ça peut créer un mouvement de panique » et « rien n’interdit au policier ou gendarme de boire de l’alcool sur place, alors qu’il aura une arme. Ça pose question ».

Le rapporteur Loïc Hervé a « hésité » mais il préfère garder la mesure

La majorité sénatoriale LR-UDI va-t-elle entendre ces arguments ? « Pour tout vous dire, j’ai hésité » reconnaît le sénateur UDI Loïc Hervé, corapporteur du texte et chargé de cet article. « Je suis sensible à cette question-là. Je suis assez proche des milieux culturels. Pour autant, au stade de l’examen en commission, je n’ai pas souhaité proposer la suppression. Il faut que le débat ait lieu en commission et en séance », soutient le sénateur de la Haute-Savoie. Il ajoute :

Même si je suis sensible aux arguments des festivals, je n’oublie pas qu’au Bataclan ou au musée du Prado, à Tunis, il y a quand même eu des attentats dans des lieux culturels.

Au final, Loïc Hervé « penche plutôt pour la rédaction de l’Assemblée », c’est-à-dire le maintien de l’article tel qu’il est sorti du Palais Bourbon. Selon le centriste, « il y a plus d’inconvénients que d’avantages à supprimer cette disposition ».

« On n’est plus en capacité de maîtriser, alors que c’est ce qu’on nous demande »

Sylvie Robert souligne de son côté que « depuis 2015 et les attentats, il y a une collaboration extrêmement intelligente entre la police et les directeurs de salles pour garantir la sécurité du public. Et il n’y a aucun problème ». Les festivals sont en effet rodés sur ce plan. « La sécurité et l’accueil du public, c’est l’une de nos priorités. On a 750 agents de sûreté aux Vieilles Charrues. Et depuis 2015, on a fait un gros travail avec le préfet, avec une gestion des extérieurs par les forces de l’ordre, avec entre 200 et 300 gendarmes, et l’intérieur par nos agents », détaille Jérôme Tréhorel. Il raconte avoir « déjà eu le cas deux fois, où un gendarme voulait entrer avec son arme. Mais on a échangé avec la gendarmerie, et on a refusé », ce que permet le droit actuel.

Les échanges avec les autorités peuvent aller plus loin. Jean-Paul Roland, directeur du festival des Eurockéennes, souligne que des policiers sont déjà entrés avec leur arme. « Ça existait déjà pour nous, mais c’était une décision du procureur. On était averti et la personne était identifiée » raconte-t-il. Mais il s’agissait ici de cas exceptionnels.

Au final, selon Béatrice Macé, cet article 25 « paraît revenir complètement sur la notion de responsabilité des organisateurs. Il contrevient à notre obligation de sécuriser entièrement le périmètre dont nous sommes responsables. On n’est plus en capacité de maîtriser, alors que c’est ce qu’on nous demande ». Pour la directrice des Trans, « les lieux culturels doivent être des lieux d’accueil, où les personnes se sentent à l’aise. L’introduction d’une arme contrevient totalement à cet objectif ».

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