France : Seminaire gouvernemental a Matignon

Narcotrafic : les sénateurs de la commission d’enquête reçus par Didier Migaud

Ce lundi, le garde des Sceaux reçoit pour la première fois les deux sénateurs Etienne Blanc (LR) et Jérôme Durain (PS), auteurs d’une proposition de loi de lutte contre le narcotrafic.
Simon Barbarit

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« Le gouvernement considère que la question stups telle que portée par notre texte est essentielle », veut croire Etienne Blanc (LR) coauteur d’une proposition loi « visant à sortir la France du piège du narcotrafic ». Une déclinaison législative des 35 recommandations de la commission d’enquête du Sénat dont il était le rapporteur et Jérôme Durain (PS) le président. Tous les deux sont les premiers signataires de la proposition de loi.

Si les sénateurs n’ont pas eu besoin de convaincre le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, ancien patron de la droite sénatoriale, du bien-fondé de leurs travaux, il reste désormais à faire de même avec la Chancellerie principalement concernée par leurs propositions. Les deux élus sont reçus, pour la première fois, ce lundi en fin d’après-midi par le garde des Sceaux, Didier Migaud qui présentera avec Bruno Retailleau vendredi 8 novembre à Marseille, un plan de lutte contre le Narcotrafic.

« L’enjeu est assez simple. On a vingt articles dans notre proposition de loi sur lesquels on va essayer de connaître sa position », précise Etienne Blanc qui reconnaît que « pour le moment, les ministères sont accaparés par la préparation du budget ».

Leur rapport alerte sur la perspective de voir la France basculer « dans un narco Etat », Jérôme Durain y rappelle « l’urgence d’apporter une réponse publique au narcotrafic ». « La question centrale, c’est celle de l’asymétrie. Nous sommes face à des narcotrafiquants avec des moyens voire de la technologie supérieure. La question, c’est comment fait-on pour équilibrer le rapport de force ? ».

Une question à laquelle les élus apportent des réponses dans leur texte de loi. D’un point de vue organisationnel, ils veulent donner « à l’autorité judiciaire les moyens de la mobilisation contre le narcotrafic en créant un parquet national antistupéfiants (Pnast), l’équivalent judiciaire de l’Office antistupéfiants (Ofast), transformée sous leur plume en « DEA à la française » (l’agence américaine de lutte contre la drogue, ndlr). Avant son départ de la Chancellerie, Éric Dupond-Moretti avait lui planché sur un projet de loi et proposait un nouveau parquet national anticriminalité organisée (Pnaco). « C’est le rôle de l’exécutif de faire des arbitrages, ce qui compte c’est d’apporter une forme de verticalité avec un patron judiciaire », précise Jérôme Durain.

« Si tout ça se fait à moyens constants, c’est de la com »

Aurélien Martini, secrétaire général adjoint de l’Union Syndicale des Magistrats (USM), n’a « aucune opposition de principe » mais met en garde sur la difficulté de mise en œuvre. « On ne peut pas prendre comme modèle le parquet national antiterroriste, qui traite des infractions assez isolées du reste de la délinquance et de la criminalité. A la différence de la criminalité organisée qui, elle, a des ramifications avec la délinquance du quotidien. Ça pose un problème d’articulation avec les JIRS (juridictions interrégionales spécialisées dans la lutte contre la criminalité et la délinquance organisée). Il va falloir mettre un grand nombre d’acteurs dans la même boucle. Et si tout ça se fait à moyens constants, c’est de la com. La France à trois fois moins de procureurs que la moyenne européenne et deux fois moins de juges », rappelle-t-il.

« Si on arrivait à récupérer ne serait-ce que 20 % du narcotrafic, le problème des moyens est réglé », répète régulièrement Etienne Blanc en soulignant que le trafic de stups génère un chiffre d’affaires de 6 milliards d’euros par an. C’est pourquoi la proposition de loi instaure une procédure d’injonction pour richesse inexpliquée en amont de la procédure judiciaire pour obliger les personnes suspectées de trafic de stupéfiants ou de complicité à s’expliquer sur tout écart manifeste entre leurs revenus et leur train de vie. La procédure de gel judiciaire des avoirs des narcotrafiquants (article 5) est envisagée comme un « mécanisme d’urgence en cas de risque de dissolution ou de transfert des avoirs d’un narcotrafiquant à l’international ». « C’est sur les confiscations qu’il faut avancer », plaide Aurélien Martini qui rappelle que seule la confiscation prononcée après un jugement définitif permet à la puissance publique de récupérer le produit de la vente des biens obtenus par l’argent du narcotrafic. « Il suffirait, par exemple de créer un support informatique qui éviterait au magistrat de chercher dans les centaines de côtes du dossier, la référence cadastrale concernée par le gel ».

Le magistrat a été entendu par les sénateurs qui proposent d’autoriser la confiscation sans condamnation pénale et d’affecter davantage de biens confisqués aux services d’enquête et aux juridictions.

Dans leur volonté de « changer de paradigme » dans la lutte contre le narcotrafic, les élus proposent « des mesures qui décoiffent », selon les termes d’Etienne Blanc. Entendez par là qui pourrait être censurées par le Conseil constitutionnel. « Le statut du repenti, par exemple, répond actuellement à des conditions très strictes, inscrites dans le décret d’application de la loi dite « Perben II » sur la criminalité. Résultat, il n’a été utilisé qu’une vingtaine de fois en 10 ans. Le texte du Sénat compte faire sauter les « verrous » du statut de repenti pour en faire un outil puissant de lutte contre le narcotrafic (lire notre article). Eh bien, on pourrait nous dire que c’est de la dénonciation et que c’est contraire aux droits de l’Homme », expliquait-il la semaine dernière à publicsenat.fr.

Même inquiétude pour les informateurs que le Sénat souhaiterait transformer en infiltrés civils (à distinguer des policiers ou gendarmes infiltrés) en contrepartie d’une complète immunité pénale sous réserve de respecter des conditions strictes. « Les policiers pourraient être accusés de laisser perdurer l’infraction, d’être complices, coauteurs voire d’inciter à la commission de l’infraction », appuie Etienne Blanc.

Surtout, la proposition de créer « un dossier coffre » a hérissé le Conseil national des Barreaux qui dans un communiqué a dénoncé « une atteinte au principe du contradictoire, pilier du procès équitable, qui pourrait fragiliser les droits de la défense ». Le dossier coffre sous le contrôle d’une collégialité de magistrats, a, en effet, pour but de soustraire au contradictoire certains éléments de procédure pour les techniques spéciales d’enquête les plus sensibles, comme le recours à des technologies de pointe, d’écoutes ou de balisages.

« Des avocats utilisent des stratagèmes déloyaux pour faire tomber les procédures »

Auditionnés par la commission d’enquête du Sénat, les magistrats marseillais avaient insisté sur le besoin d’instruire leurs dossiers « sans remise en cause permanente et dilatoire des actes accomplis, des nullités de procédures provoquées par une certaine défense qui n’est pas constructive ». « Des avocats utilisent des stratagèmes déloyaux pour faire tomber les procédures », reconnaît Aurélien Martini « Vous avez des détenus qui envoient des dossiers de plus de 150 pages au magistrat instructeur. A l’intérieur, il y a une phrase où il demande sa remise en liberté. Si on ne la voit pas et donc on n’y répond pas dans les délais, le détenu sort », explique-t-il avant de conclure : « Il faut regarder la réalité en face, si on ne change pas de braquet on perdra la bataille contre le narcotrafic ».

Des propos similaires avaient été tenus par les magistrats marseillais devant la commission d’enquête du Sénat ce qui leur avait valu un recadrage de la part d’Éric Dupond-Moretti. Signe que l’approche a changé au sein de l’exécutif, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau n’hésite plus à parler de « mexicanisation du pays ».

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