Angle mort de la lutte contre le grand banditisme : le blanchiment d’argent. Auditionné ce jeudi 22 mai par la commission d’enquête du Sénat sur la lutte contre la délinquance financière, le garde des Sceaux, Gérald Darmanin, a alerté les élus sur les difficultés des enquêteurs et de la justice à mettre la main sur les actifs générés par les trafics. Chaque année, ce sont plusieurs milliards d’euros qui échappent ainsi aux autorités. « Si nous constatons le fonctionnement des réseaux criminels sur le narcotrafic, la prostitution, le trafic de migrants […] nous retrouvons, finalement, assez peu d’argent, et quasiment pas d’argent liquide », a reconnu le ministre.
« La volonté de suivre l’argent pour atteindre les structures et les sommes issues du trafic illicite et de la fraude pose toujours un problème », a pointé, en introduction de cette audition, le sénateur du Lot (RDSE) Raphaël Daubet, président de la commission d’enquête. Selon lui, les dernières évolutions législatives, notamment l’adoption d’une proposition de loi inspirée des travaux du Sénat sur le narcotrafic, « ne permettent pas de surmonter une difficulté structurelle, entre l’articulation du contentieux du blanchiment et celui de l’infraction principale ».
« Nous ne comprenons pas les réseaux de sortie de cet argent »
« Le sujet n’est pas tant le produit que ces criminels vendent mais l’argent », a martelé à plusieurs reprises Gérald Darmanin. « Ils ne travaillent pas chez Renault ou Peugeot, ils ne croient pas en la voiture qu’ils vendent à leurs clients. Ils cherchent des activités lucratives, aujourd’hui c’est la drogue, mais ça peut être tout un tas d’autres activités. Ce qui nous intéresse, c’est la criminalité organisée au sens large », a-t-il expliqué.
Alors que le rapport présenté en 2023 par le Sénat sur l’impact du trafic de drogue en France évalue le marché entre 3 et 6 milliards d’euros, « on ne saisit que quelques dizaines de milliers d’euros tout au plus », a indiqué Gérald Darmanin. « Et nous comprenons encore moins les réseaux de sortie de cet argent, qui ne passent plus par les établissements spécialisés d’hier, c’est-à-dire les notaires, les banques ou les assurances. »
Principale difficulté, le recours massif à de l’argent liquide. « À ceux qui me demandent comment arrêter la drogue dans nos quartiers, je dis que la fin de l’argent liquide signera la fin des points de deal », lâche-t-il. « Aujourd’hui, ce que nous devons comprendre, c’est où va cet argent liquide et comment est-il transformé, souvent en dehors de notre pays. »
« Nous avons reçu des témoignages surprenants sur l’ambleur du phénomène de blanchiment et la facilité pour les trafiquants de faire sortir leur argent de France », a encore relevé Raphaël Daubet.
Le « PNACO »
Mais Gérald Darmanin reconnaît aussi que « le sujet des cryptoactifs échappe très largement » aux compétences des services. Il évoque encore certaines pratiques de blanchiment. « On peut voir dans certains territoires, je pense à la Corse et aux outre-mer, une porosité entre le monde criminel et le monde économique classique. Je pense au tourisme, à la gestion des déchets, au BTP, voire aux salles de jeu et aux entreprises plus ou moins officielles. »
La création d’un Parquet national anticriminalité organisée (PNACO), votée par le Parlement le 29 avril, devrait, en renfort du Parquet national financier, permettre de lutter plus facilement contre ces phénomènes. « Ils n’ont pas vocation à prendre toutes les affaires mais les plus importantes, les plus complexes », a précisé Gérald Darmanin. De son côté, la rapporteure centriste Nathalie Goulet a promis au ministre que la commission d’enquête serait en mesure de faire « quelques propositions » en la matière, notamment pour renforcer la coopération au niveau international.