Numérique : le Sénat vote la restriction d’accès aux sites porno pour les mineurs

Le Sénat a voté ce mardi la possibilité pour l’Arcom de bloquer et déréférencer les sites pornographiques qui ne mettraient pas en place une vérification d’âge suffisante, ainsi que de prononcer des amendes significatives. Certaines sénatrices de la délégation aux droits des femmes ont alerté sur l’efficacité du « référentiel » que devrait produire l’Arcom sur ce sujet, et qui pourrait laisser une trop grande marge aux plateformes.
Louis Mollier-Sabet

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« Je suis un peu étonné de ces amendements, ce référentiel est repris d’une recommandation du rapport de la délégation aux droits des femmes », s’interroge le rapporteur du projet de loi, Loïc Hervé (UC). En reprenant 9 des 23 recommandations du rapport « Porno : l’enfer du décor », le gouvernement pensait peut-être que le début de l’examen du projet de loi de sécurisation de l’espace numérique serait une formalité. Mais les sénatrices Laurence Rossignol (PS) et Laurence Cohen (PCF) ont tout de même souhaité attirer l’attention des parlementaires et de l’exécutif sur les risques opérationnels que portait le dispositif proposé par Jean-Noël Barrot, ministre chargé de la Transition numérique.

>> Pour tout savoir des modifications du texte adoptées en commission, voir : Porno, harcèlement, arnaques… le Sénat entame l’examen du projet de loi sur le numérique

« On se laisse un peu embrouiller par l’industrie du porno »

Afin d’obliger les sites pornographiques à contrôler effectivement l’âge de leurs utilisateurs, alors que 2,3 millions de mineurs visitent ces sites chaque mois, le texte prévoit en effet de donner le pouvoir à l’Arcom de bloquer et déréférencer les sites qui ne proposeraient pas de vérification assez solide et opérationnelle. Le tout par une procédure administrative et pas judiciaire, afin de réduire les délais et faciliter les sanctions, sur le modèle de l’Autorité nationale des jeux en ce qui concerne les jeux d’argent. L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, une autorité indépendante, pourrait aussi prononcer des amendes « dissuasives », allant jusqu’à 1 % du chiffre d’affaires mondial hors taxe réalisé par l’entreprise concernée à 2 % en cas de réitération des manquements.

Sur ce point, un consensus s’est dégagé sans problème au sein de l’hémicycle, et la sénatrice socialiste Laurence Rossignol, l’une des auteures du rapport publié il y a un peu moins d’un an avec Annick Billon (UC), Alexandra Borchio-Fontimp (LR) et Laurence Cohen (PCF), a « salué l’intention du gouvernement de faire un pas en avant en ce qui concerne la lutte contre la toxicité de l’industrie pornographique. » Mais elle a immédiatement ajouté qu’en l’état actuel du projet de loi, « on se laissait un peu embrouiller par le lobby du porno. » Parce que si l’ensemble des sénatrices et sénateurs ont pu se mettre d’accord sur la nécessité des sanctions, c’est sur la procédure qui permettrait de définir quel site contrevient à ses obligations ou pas que les sénatrices Laurence Rossignol et Laurence Cohen ont interpellé le gouvernement.

« Les sites pourraient se contenter de satisfaire au référentiel »

Le texte du gouvernement prévoit en effet – en reprenant une proposition du rapport de la délégation aux droits des femmes sur le porno – que l’Arcom devra établir ultérieurement un « référentiel » déterminant les « exigences techniques auxquelles devront répondre les systèmes de vérification d’âge. » Une rédaction qui présente le risque de « créer une obligation minimale » pour les sites pornographiques, a estimé Laurence Rossignol, qui pourraient « se contenter de satisfaire au référentiel. » Laurence Cohen a, elle, réitéré l’importance « d’envoyer un message fort aux plateformes pornographiques », qui doivent « jouer une part active » dans la prévention.

« C’est à eux d’apporter la preuve qu’ils ont tout mis en œuvre pour contrôler la fréquentation de leurs sites par des mineurs, et ce dans l’état de l’art et en prenant en compte les évolutions technologiques », a ajouté Laurence Rossignol, pour justifier ce changement de pied par rapport au rapport de la délégation aux droits des femmes. « Entre-temps, l’état de l’art a évolué et un certain nombre de discussions avec des spécialistes m’amènent à penser qu’il y a un risque fort que ce référentiel ne soit qu’une obligation de moyen. Il ne faut pas qu’il devienne le seul point de référence, surtout si l’on prend trois ans pour l’établir alors que les outils évoluent… » a détaillé la sénatrice socialiste.

Des arguments qui n’ont pas convaincu Jean-Noël Barrot. « En réalité, si nous n’avons pas de référentiel, ce n’est pas sur les plateformes que nous rejetons la responsabilité, mais bien sûr le juge », a maintenu le ministre, en expliquant que ce serait à la charge du juge de décider si la protection mise en place était fiable ou non, et ce sans référence commune. « Finalement, le référentiel vient sécuriser la capacité juridique de l’Arcom : il faut que l’on puisse a minima fixer des conditions dans lesquelles on considère que le blocage et le déréférencement peuvent être décidés », a poursuivi Jean-Noël Barrot.

« Mettre la teneur du référentiel dans la loi me paraît aller trop loin »

En proposant d’inscrire dans la loi qu’avant la fameuse vérification d’identité, la page d’accueil des sites pornographiques devrait être un « écran noir », et non des images floutées, Laurence Cohen a permis un débat pour préciser sur le statut de ce futur « référentiel. » Tant le rapporteur que les ministres ont exprimé leur accord avec les objectifs poursuivis par Laurence Cohen, mais ils ne tenaient pas à inscrire la mesure dans la loi, et ont appelé les sénatrices de la délégation aux droits des femmes à s’en remettre au référentiel qui sera produit par l’Arcom, tout en s’engageant à pousser pour que cette nécessité d’un « écran noir » y figure.

« Je vous donne acte de votre bonne volonté. Mais ici nous sommes des législateurs », lui a rétorqué Laurence Rossignol. « Le meilleur moyen de se garantir que cette mesure soit appliquée, ça reste encore de voter l’amendement. On n’aura alors plus besoin de pousser l’Arcom », a-t-elle ajouté. Une mauvaise solution, a estimé la secrétaire d’Etat chargée de l’Enfance, Charlotte Caubel : « Pour donner des pouvoirs à l’Arcom il fallait donner une base légale au référentiel, mais mettre la teneur du référentiel dans la loi me paraît aller trop loin, parce que cela voudrait dire revenir devant le législateur à chaque évolution technologique. Il y a un engagement du gouvernement sur les délais et complétude de ce référentiel. Mais attention à ne pas alourdir par la loi son contenu, qui doit rester souple et adaptable aux évolutions technologiques. »

Hormis quelques modifications rédactionnelles, les articles régulant l’accès aux sites pornographiques ont été votés en l’état, et ce sera donc bien à l’Arcom de produire un référentiel auquel devront se conformer les plateformes. Le Sénat reprendra l’examen du texte dans la soirée pour aborder le bannissement des réseaux sociaux pour les personnes condamnées pour cyberharcèlement, et devrait à cette occasion aborder la question du rôle des réseaux sociaux dans les mouvements sociaux et les émeutes, en lien avec la situation de cette dernière semaine.

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