Opérations « place nette XXL » contre la drogue : « Le but stratégique, c’est de couper les tentacules de la pieuvre », défend Darmanin

Devant la commission d’enquête du Sénat sur les narcotrafics, Gérald Darmanin a vanté le bilan des opérations antidrogues lancées ces derniers mois dans plusieurs villes de France. Le ministre de l’Intérieur assure qu’au-delà de « la guerre psychologique » menée contre les dealers, ce sont les réseaux dans leur ensemble qui sont impactés.
Romain David

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Le cycle d’auditions de la commission d’enquête sénatoriale sur les narcotrafics s’est achevé ce mercredi 10 avril, avec celle, particulièrement attendue, du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. L’occasion pour le locataire de la place Beauvau de dresser le bilan des opérations « place nette XXL », officiellement lancées en mars dernier après la visite surprise d’Emmanuel Macron à Marseille. L’objectif : dans plusieurs villes, lutter contre les trafics de drogue dans les quartiers difficiles avec un déploiement hors-norme de forces de l’ordre, une multiplication des interpellations et des opérations de harassement des trafiquants.

« Il est important d’être dans une guerre psychologique. Ces opérations permettent la mobilisation du ministère de l’Intérieur. Quand je suis arrivé, 2 % des policiers étaient concernés par la lutte contre la drogue », a fait valoir le ministre. Selon ses chiffres, les opérations « place nette XXL » ont permis la saisie 3,6 tonnes de cannabis, de 13 millions d’avoirs, « avec des saisies d’immeubles et de véhicules », mais aussi d’un millier d’armes. Auditionné la veille, le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti avait évoqué le défèrement de 365 personnes devant la justice, dont plus de la moitié en comparution immédiate.

« Est-ce que l’on touche les généraux ou seulement les fantassins ? »

Pour autant, ces opérations de nettoyage parviennent-elles à ébranler des trafics internationalisés, pilotés par de gros bonnets qui agissent souvent depuis l’étranger ? C’est l’un des enseignements tirés par la commission d’enquête : les réseaux se sont démultipliés ces dernières années, avec une organisation par tâche qui complique le travail des enquêteurs et de la justice, mais également des moyens financiers qui peuvent concurrencer ceux des Etats.

« Notre préoccupation, c’est de toucher le haut du spectre, les opérations ‘place nette’ ont fait l’objet d’une communication XXL… elle aussi. C’est de bonne guerre et c’est utile, cela permet de montrer que la République revient dans les quartiers. Mais derrière la communication gouvernementale, on veut des chiffres sur ce que cela produit. Est-ce que cela va réellement permettre de démanteler les réseaux ? », interroge le socialiste Jérôme Durain, qui préside la commission d’enquête. En clair : « Est-ce que l’on touche les généraux ou seulement les fantassins ? »

« Notre but, c’est de limiter la puissance des organisations criminelles. Bien sûr c’est d’empêcher les gens de consommer, d’arrêter des dealers, de démanteler des points de deal, mais le but stratégique, c’est de couper les tentacules de la pieuvre et, si possible, de réduire sa tête. Pour que la pieuvre ne remplace pas notre Etat », répond le ministre.

Déstabiliser les réseaux

« Je pense que le sujet qui nous intéresse c’est : comment j’embête les organisations criminelles qui sont en fait des organisations économiques, qui vendent un produit sale ? Comment je casse ce modèle économique ? », relève Gérald Darmanin. « Je crée de l’incertitude chez mon ennemi : son banquier l’appel, le logisticien est dérangé, les clients doivent trouver d’autres habitudes… »

« Quand vous occupez 24 heures sur 24 la Castellane à Marseille, qui produit 80 000 euros d’argent liquide par jour avec 5 points de deal, vous cassez un modèle économique très intéressant et vous créez une possibilité de discorde chez l’ennemi », assure le locataire de la place Beauvau.

Le cas marseillais

Gérald Darmanin évoque notamment la situation des quartiers nord de la cité phocéenne, dont le gouvernement a fait le fer de lance de sa politique de lutte contre les trafics. « Le quartier de La Paternelle était le plus haut point de drogue à Marseille. On y a fait une opération place nette sans le dire. On a mis des policiers tous les jours pendant 6 mois. Aujourd’hui, il n’y a plus de policiers toute la journée et il n’y a plus de point de deal non plus. Pourquoi ? Parce que l’on a cassé le modèle économique : on a expulsé les délinquants étrangers de leurs logements sociaux, on a retrouvé les nourrices [dans le jargon des trafiquants, personne chargée de stocker la marchandise, ndlr], on savait où ils planquaient leur drogue […], on a mis fin aux réseaux », détaille-t-il.

« Au bout d’un moment, la chimiothérapie est tellement forte qu’elle tue la tumeur. Mais comme dans tout cancer, il y a des moments où la chimiothérapie doit revenir », martèle Gérald Darmanin. « La Castellane, c’est possible. Il est certain qu’il faut des moyens disproportionnés. Une unité de CRS toute la journée… C’est beaucoup, mais l’on pense que c’est un démonstrateur »

« Il y a des endroits qu’on ne lâchera pas. On ne lâchera pas La Castellane », répète le ministre face aux sénateurs de la commission d’enquête, parmi lesquels plusieurs élus des Bouches-du-Rhône.

Lutter contre les trafics pendant les JO

À nouveau interrogé par Jérôme Durain sur le devenir de ces opérations pendant les Jeux olympiques et paralympiques de Paris, qui vont nécessiter un dispositif de sécurité inédit, Gérald Darmanin assure que cela ne se fera pas au détriment de la lutte contre le trafic de drogue. « Tout cela se complète. Avec 12 millions de spectateurs en France et un moment récréatif, arrivent aussi les moments de délinquance. Je pense à la prostitution, celle des mineurs notamment. Il y aura plus de prostitution, avec l’arrivée de personnes prostituées. Ce sera aussi le cas de la drogue, parce qu’il y aura des gens avec beaucoup de pouvoir d’achat, qui voudront pouvoir faire des soirées festives. Le travail que j’ai demandé aux forces de l’ordre, c’est de lutter contre le trafic de drogue en même temps que l’on sécurise les JO », indique Gérald Darmanin.

À Marseille, pour l’arrivée de la flamme olympique, il y aura 50 unités de forces mobiles. Il n’y aura jamais eu autant de policiers à Marseille. Et avec 50 unités de forces mobiles… il y en aura bien une pour La Castellane », précise-t-il.

« La drogue est la plus grande menace sécuritaire que notre pays connaît »

« Notre sujet, profondément, c’est que la France n’a pas choisi entre la tolérance et la prohibition. Moi je suis pour la prohibition, ce que je porte, c’est qu’il faut aller vers la prohibition », a encore déclaré Gérald Darmanin devant le Sénat. « La drogue est la plus grande menace sécuritaire que notre pays connaît », estime le premier flic de France. « On pourrait dire que le terrorisme est notre menace principale, bien sûr nous le combattons avec force, mais il fait moins de morts que la drogue. »

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