160 000 enfants sont victimes de viols ou d’agressions sexuelles chaque année en France, d’après les chiffres de la Commission sur les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Face à ce constat, la sénatrice centriste Annick Billon a déposé une proposition de loi visant à assurer « la pleine reconnaissance » des crimes sexuels sur mineurs, et en particulier de l’inceste, qui concerne « trois enfants par classe ». « Les chiffres sont effrayants », s’alarme-t-elle. Son texte s’inscrit dans la continuité des travaux de la Ciivise, instaurée par Emmanuel Macron pour lutter contre la pédocriminalité, et reprend trois des 82 préconisations formulées par l’organisation en novembre 2023. En avril 2021 déjà, une loi portée par l’élue de Vendée inscrivait dans le Code pénal l’interdiction de toute relation sexuelle entre un adulte et un mineur de moins de quinze ans, qu’elle espérait initialement à treize ans.
« L’objectif, c’est de poser un interdit fort »
Première revendication : « Reconnaitre l’inceste comme un crime spécifique ». Pourquoi ? « Déjà parce qu’il y a une atteinte à l’intégrité des enfants, parce qu’il y a une stratégie de préméditation du prédateur, et parce que l’enfant est isolé, manipulé et réduit au silence », explique Annick Billon, « ce crime spécifique se passe dans le cadre spécifique à la famille, alors que la famille devrait être protectrice ». Et d’ajouter : « L’objectif, c’est de poser un interdit fort, avec un article spécifique dans la loi et de ne laisser aucun répit aux coupables. Pas d’impunité pour les agresseurs ! »
La sénatrice souhaite aussi « élargir aux cousins germains la définition juridique du viol et de l’agression sexuelle », alors qu’un mis en cause sur cinq est un cousin dans les cas d’inceste, signale l’association Face à l’inceste dans un communiqué.
« Ce n’est pas aux victimes de s’adapter au droit »
Autre mesure forte du texte, Annick Billon souhaite « rendre imprescriptibles les crimes sur mineurs », relevant de l’inceste ou non, « il n’y a pas d’échelle de l’horreur ». Depuis 2018, une victime ayant subi un viol alors qu’elle était mineure peut déposer plainte jusqu’à l’âge de 48 ans. La loi du 21 avril 2021 est venue instaurer une « prescription glissante » : en cas de viols multiples, si l’un d’entre eux n’est pas prescrit, l’accusation peut porter sur l’ensemble des crimes et des victimes. Mais les embûches entravant le parcours juridique restent nombreuses : « Le psychotraumatisme est extrêmement important dans le cadre de l’inceste, empêchant totalement la parole, avec les phénomènes d’amnésie dissociative, les mécanismes de honte et de peur, mais aussi le sentiment de culpabilité qui est parfois majoré si la victime a ressenti du plaisir, ce qui peut arriver, ou s’il y a eu une excitation sexuelle pendant l’acte », énumère la sénatrice de Vendée. « La prescription organise l’impunité des agresseurs. Ce n’est pas aux victimes de s’adapter au droit, mais au droit de s’adapter au rythme de leur reconstruction », soutient-elle. Certains pays se sont déjà engagés dans cette voie, comme la Suisse, les Pays-Bas, la Belgique ou encore le Danemark.
En droit français, le seul cas d’imprescriptibilité reconnu concerne les crimes contre l’humanité, héritage du procès de Nuremberg, inscrit dans une résolution des Nations Unis du 13 février 1946. Cette proposition, préconisée par la Ciivise, divise. Certains s’inquiètent d’une possible fragilisation du système judiciaire par l’introduction d’une incohérence dans la hiérarchie des infractions. Annick Billon balaie cette idée d’un revers de main : « Pour moi, l’inceste est une atteinte à la filiation. Et cette atteinte à la filiation est une atteinte à l’humanité ». L’occasion de rappeler que « l’imprescriptibilité est juridiquement possible et déjà soutenue par nos institutions. Le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État, le Conseil de l’Europe, et les jurisprudences européennes l’autorisent pour les crimes les plus graves ».
D’autres opposants mettent quant à eux l’accent sur la complexité à obtenir des preuves et des témoignages fiables, de nombreuses années après les faits, ce qui pourrait augmenter, selon eux, les chances d’aboutir à des classements sans suite des affaires ou à des acquittements. « On nous reproche le temps qui passe, mais la difficulté de la preuve réside dans la nature même de la preuve, elle est aussi difficile huit jours après que vingt ans plus tard », martèle l’élue centriste. Puis, « compte tenu du nombre de condamnations, qui constitue moins de 1 % des plaintes déposées, on part de très loin », conclut-elle.
La sénatrice espère que sa proposition de loi sera inscrite à l’ordre du jour du Palais du Luxembourg, ou que ses dispositions seront intégrées dans la loi-cadre contre les violences sexuelles promise par la ministre déléguée à l’Egalité. Celle-ci devrait voir le jour d’ici la fin du mois, ce à quoi s’est engagée Aurore Bergé le 28 octobre sur franceinfo, en réponse aux appels d’associations féministes.