L’affaire Perrier continue de déborder. À Vergèze, dans le Gard, plus de quatre millions de bouteilles de Perrier restent immobilisées. Un chiffre qui résume l’ampleur d’une crise sanitaire devenue éminemment politique. Dans les prochains jours, le préfet doit statuer sur le renouvellement de l’autorisation d’exploitation de Nestlé Waters, indispensable pour maintenir l’appellation « eau minérale naturelle ». Malgré la succession d’incidents, l’agence régionale de santé (ARS) Occitanie a, de son côté, estimé possible de renouveler l’autorisation d’exploitation, en émettant toutefois un avis favorable assorti de strictes réserves. Une décision sous haute pression, alors que l’entreprise enchaîne les signaux d’alerte depuis deux ans.
« L’eau subit des pollutions répétées. »
Depuis 2024, révélations médiatiques, contrôles sanitaires, décisions de justice et commission d’enquête sénatoriale se succèdent. L’affaire Perrier illustre les difficultés de l’État à imposer des règles strictes à un acteur industriel majeur. Après les révélations du Monde et de Radio France sur les traitements interdits utilisés par Nestlé Waters, les contaminations se sont multipliées.
Depuis mai, 27 épisodes de non-conformités ont été relevés : pseudomonas aeruginosa, coliformes, entérobactéries. Autant d’indicateurs de pollutions fécales dans une eau censée être « naturellement pure ». Plusieurs contaminations ont été confirmées par l’ARS Occitanie, entraînant la destruction de millions de bouteilles. « On ne peut pas continuer à minimiser des contaminations attestées par l’ARS, rappelle aujourd’hui la sénatrice écologiste Antoinette Guhl, ancienne rapporteure de la mission d’information sur les politiques de contrôle des eaux en bouteille. Les faits sont là : l’eau subit des pollutions répétées, et cela dure depuis des années. »
Quatre millions de bouteilles immobilisées
Dernier épisode en date, le 23 novembre, les deux puits encore en fonction ont été suspendus, l’un après la détection de pseudomonas aeruginosa, une bactérie dangereuse qui provoque des infections pulmonaires et l’autre en raison d’une panne de courant. « Une explication peu crédible pour une multinationale milliardaire », juge aujourd’hui Antoinette Guhl, sénatrice écologiste. La production n’a repris que le 28 novembre, « sous contrôle de l’ARS ». « Vous pensez que sur une marque milliardaire, on a cinq jours d’arrêt à cause d’une panne ? », interroge la sénatrice.
Après des mois d’analyses contradictoires, 2 415 palettes, près de quatre millions de bouteilles restent bloquées sur le site. Nestlé waters assure pourtant que l’eau est « consommable en toute sécurité ». « Assez. Il faut arrêter de prendre les consommateurs pour des idiots », tranche Antoinette Guhl.
Un statut « eau minérale » dont la cohérence vacille
Au cœur des débats, le statut même d’eau minérale naturelle. Pour l’obtenir, une eau doit être naturellement pure, protégée de toute contamination et exempte de traitement modifiant sa composition. En avril, l’hydrogéologue mandaté par l’ARS avait rendu un avis « défavorable », estimant que la pureté originelle n’était plus garantie. « L’ensemble des analyses de vérification ont écarté une quelconque contamination » et la production a repris « sous le contrôle de l’ARS », a confirmé mercredi à l’AFP une responsable de Nestlé Waters.
Pourtant, le 24 novembre, selon des documents consultés par Le Monde, l’ARS Occitanie suit désormais l’« avis favorable sous réserve » rendu par l’hydrogéologue missionné. Le même expert a finalement donné un avis « favorable sous réserves », à condition de mettre en place un contrôle sanitaire renforcé. L’ARS a transmis cet avis au préfet, accompagné d’un projet d’arrêté, que Le Monde a pu se procurer. Un changement de doctrine qui interroge la sénatrice : « Nous avons découvert qu’un rapport avait été corrigé par Nestlé et signé par l’ARS Occitanie ». Pour démanteler cela, la sénatrice annonce une question écrite à la ministre de la Santé, Stéphanie Rist sur le rôle exact des autorités sanitaires.
Réglementation contournée, contrôles débordés
Depuis juillet, Nestlé utilise des microfiltres à 0,45 micron pour poursuivre sa production or ces filtres ne disposent d’aucune autorisation préfectorale pourtant obligatoire, comme l’exige le code de la santé publique. Une infraction potentielle passible de sanctions pénales. Pour Antoinette Guhl, ce non-respect de la règle confirme un schéma connu : « Je pense qu’on est face à un mensonge permanent, une opacité systémique, une tricherie »
Pour la sénatrice de Paris, il ne s’agit pas d’un simple manquement administratif : « Ils savent que la ressource est polluée, des hydrogéologues l’ont attesté à plusieurs reprises. Nestlé Waters possède ces documents. En avril 2024, ils affirmaient que tout était pur ; le lendemain, deux puits étaient fermés. »
L’UFC-Que Choisir avait demandé en référé la suspension de la production, dénonçant « un risque réel pour le consommateur » et « une tromperie évidente ». Le tribunal de Nanterre a rejeté la demande le 18 novembre, mais les nouveaux épisodes de contamination relancent les interrogations.
« Le préfet doit prendre ses responsabilités »
Le préfet du Gard doit trancher après l’avis du CoDERST, composé d’experts, d’élus et représentants de la société civile, qui rendra un avis consultatif. La loi impose douze mois d’analyses stables pour renouveler le statut d’eau minérale, une condition objectivement non remplie. « Le préfet doit prendre ses responsabilités, insiste Antoinette Guhl.
Pour la sénatrice, la conclusion s’impose : « Ça fait 2 ans que c’est rendu public, 5 ans que ça dure, lorsque l’état a fait des recherches ça remontait le début des fraudes à 20 ans. Et nous sommes toujours dans une situation ou l’eau subit des pollutions. On ne peut plus dire que c’est une eau minérale naturelle. » Pour la sénatrice écologiste, la question dépasse le seul cas Perrier : « Tous les préfets de France ont désormais compris qu’ils seront attendus au tournant s’ils ne prennent pas ces sujets au sérieux. »
La question est désormais claire : les garanties apportées par Nestlé suffisent-elles encore pour maintenir Perrier dans le cercle fermé des eaux minérales naturelles ?