Petits patrons, grands risques
Manque de formation, difficultés de financement et détresse psychologique, en France être un « petit patron » n’est pas une sinécure. Entre carence au niveau de l’accompagnement et désamour des banques, comment lancer son entreprise et la faire perdurer ?

Petits patrons, grands risques

Manque de formation, difficultés de financement et détresse psychologique, en France être un « petit patron » n’est pas une sinécure. Entre carence au niveau de l’accompagnement et désamour des banques, comment lancer son entreprise et la faire perdurer ?
Public Sénat

Par Amélia Morghadi

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Selon l’INSEE, 95% des entreprises françaises comptent moins de dix salariés. Loin des salaires à 10 chiffres des patrons des entreprises du CAC 40, les dirigeants des petites entreprises luttent pour survivre. Car même si la création d’entreprise est de plus en plus facilitée, 50% des entreprises créées disparaissent avant d’atteindre leur sixième année d’existence.

Tout l’enjeu est donc de parvenir à faire durer dans le temps ces petites structures et réussir à préserver leurs créateurs.

Une multitude de réseaux d’aides sans réelle centralisation

En France, les CCI (Chambres de commerce et d’industrie) ont entre autres pour rôle de fournir informations, conseils et outils pratiques aux entreprises, notamment au niveau de la formation, de l’aide à la création d’entreprise et à son développement. Elles participent donc à l‘accompagnement dont ont besoin les entrepreneurs, comme le font aussi de nombreuses autres organisations et associations.

Mais dans cette démarche, le problème reste le manque de coopération : « On a une richesse incroyable d’accompagnement, il y a une multitude d’associations d’aides aux entrepreneurs mais qui ne travaillent pas ensemble » déplore Denis Jacquet, cofondateur de l’Observatoire de l’Ubérisation. Pour plus d’efficacité, l’entrepreneur prône le rassemblement de toutes ces structures : « Il faut  bâtir des ponts, jouer collectif ».

Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général de la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) le constate également : « Il y a une multitude de réseaux, mais il y a un problème d’accès ». Entre mauvaise communication et difficultés pour accéder aux démarches, l’accompagnement des entrepreneurs n’est pas à la hauteur.

"Être entrepreneur c'est être seul" pour Laurent GrandGuillaume #UMED
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Ce déficit d’accompagnement général va de pair avec un manque cruel de formation.
L’ancien député Laurent Grandguillaume le rappelle, être entrepreneur, ça ne s’improvise pas : « il y a des compétences à acquérir pour entreprendre, il faut savoir comment s’inscrire dans un parcours de croissance ». Un avis que partage le secrétaire général de la CPME : « Il y a un manque de connaissances de base, de paramètres essentiels pour la survie d’une entreprise ».
Une quasi-absence de formation lors de la création d’entreprise qui bien souvent aurait pu éviter des liquidations : « C’est facile de lancer son entreprise, c’est beaucoup plus difficile de la faire vivre derrière » souligne Jean-Eudes du Mesnil du Buisson.

Ces échecs, qui mettent parfois en péril des familles entières, ont un impact désastreux sur le plan psychologique. « Les chefs d’entreprise sont confrontés à une solitude. Être entrepreneur c’est être seul » confie Laurent Grandguillaume, ancien député PS, désormais à la tête du think tank « Travailler Autrement ».

Car la plupart du temps, ces petits entrepreneurs investissent à partir de leur patrimoine personnel, rappelle Frédéric Boccara, économiste chercheur associé au CEPN (Centre d’Économie de l’Université Paris Nord). Considérées comme ayant de nombreux « facteurs de risque », les petites entreprises ont du mal à se faire financer.

Crédits pour les TPE: "Il faut penser les dépenses de développement " pour Frédéric Boccara #UMED
00:53

 

Un financement difficile

Pour qu’une entreprise fonctionne, il faut de l’argent. Alors quand les ressources personnelles ne suffisent pas où quand les bénéfices tardent à arriver, ces entreprises sont souvent contraintes de se tourner vers les banques.

Et dans ce domaine, la tendance n’est pas en la faveur des petits patrons. « C’est souvent plus facile de financer un projet d’investissement de plusieurs millions d’euros qu’un déficit d’exploitation pour une TPE-PME (Très petites - Petites et moyennes entreprises) où il manque 10 000 euros. L’artisan ne trouve personne pour se financer » témoigne Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général de la CPME. Pour Denis Jacquet, cette réticence s’explique en partie par l’application rigoureuse d’accords européens qui sont déconnectés de la réalité. « On a été les seuls à applique les accords de Solvabilité II de 2009 à la lettre (NDLR : réforme imposant des critères de risques pour les entreprises) ».
L’économiste Frédéric Boccara, qui a écrit un avis complet sur les TPE-PME pour le CESE (Conseil économique social et environnemental) en 2017, fustige la position des banques, qui considèrent le retour sur investissement seulement d’un point de vue pécuniaire.

Il est donc beaucoup plus difficile pour les petites structures d’accéder à un emprunt, mais cela entraîne aussi des taux d’intérêt beaucoup plus élevés, comme l’explique Frédéric Boccara, économiste du collectif des « Économiste Atterrés ». En effet, selon l’INSEE, le poids des charges financières varie énormément en fonction de la taille de l’entreprise. On note que là où les entreprises de moins de 9 salariés payent 39% de charges fiancières, celles de plus de 20 salariés n’en payent plus que 27%.  

Poids des charges financières (TPE-PME)
Sources: INSEE

Retrouvez notre débat « Les entrepreneurs seront-ils des salariés comme les autres ? » dans l'émission Un monde en Docs, présentée par Nora Hamadi, le samedi 25 novembre à 23:30, le dimanche 26 novembre à 09:52 et le dimanche 2 décembre à 18:00 sur Public Sénat.

 

Livres pour aller plus loin :

 

  • Le rapport/avis du CESE « Les PME/TPE et le financement de leur développement pour l'emploi et l'efficacité » de Frédéric Boccara, mars 2017
  • « Uberisation, un ennemi qui vous veut du bien », de Denis Jacquet et Grégoire Leclercq, aux éditions Dunod, octobre 2016
  • « Introduction inquiète à la Macron-économie », de Thomas Porcher et Frédéric Farah, aux éditions Petits matins, octobre 2016
  •  « Patron en France » de Miche Offerle, éditions La Découverte, mai 2017

 

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