Un manifestant tenant une chaîne fait face à des gendarmes lors de la manifestation à Nantes, le 1er mai 2023

Peut-on interdire à certaines personnes de participer à des manifestations ?

Réclamant plus de fermeté à l’égard des black blocks, le sénateur LR Bruno Retailleau pousse à nouveau pour exclure des manifestations des individus déjà condamnés pour des violences, à l’image des interdictions de stades prononcées par les préfets. En 2019, le Conseil constitutionnel avait retoqué une disposition identique, jugée disproportionnée.
Guillaume Jacquot

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Au lendemain de violences qui ont éclaté en marge de plusieurs cortèges lors des défilés du 1er mai, Bruno Retailleau réclame, une fois encore, plus de fermeté à l’égard des éléments radicaux présents dans les manifestations. Invité de la matinale de LCI, le président du groupe LR au Sénat a qualifié d’ « inadmissibles » les agressions qui ont visé les membres des forces de l’ordre. Selon un dernier bilan du ministre de l’Intérieur, 406 policiers et gendarmes ont été blessés et 540 individus ont été interpellés.

« Il faut que la justice ait la main ferme », a insisté le sénateur de la Vendée, convaincu que « l’État de droit » doit « retrouver les moyens de frapper ceux qui veulent frapper la République, les policiers ». Le chef de file de la droite sénatoriale a notamment répété qu’il fallait s’inspirer des dispositions s’appliquant aux hooligans, à savoir des interdictions administratives de stade, que les préfets peuvent prononcer depuis 2006. « À partir du moment où des individus ont déjà été condamnés pour des voies de fait, pour vraiment des choses graves, ils n’ont pas à se retrouver dans des manifestations. Et on doit les assigner d’ailleurs à résidence, on doit les interdire en tout cas de manifester pour les plus dangereux d’entre eux », a développé le sénateur.

Le précédent du débat parlementaire de 2019

Une première tentative dans ce sens a été opérée au Parlement en 2018-2019, dans le cadre de l’examen de la proposition de loi « visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations », de Bruno Retailleau. En plein paroxysme du mouvement des Gilets Jaunes, le texte était parvenu à son terme, avec le soutien du gouvernement. Mais son emblématique article 3 n’a pas passé le filtre du Conseil constitutionnel, malgré les multiples ajustements de la rédaction au cours de la navette parlementaire. Cet article aurait pu conférer à l’autorité administrative le pouvoir d’interdire de manifestation toute personne présentant une « menace d’une particulière gravité pour l’ordre public » pendant une durée d’un mois maximum.

 « Lorsque, par ses agissements à l’occasion de manifestations sur la voie publique ayant donné lieu à des atteintes graves à l’intégrité physique des personnes ainsi qu’à des dommages importants aux biens ou par la commission d’un acte violent à l’occasion de l’une de ces manifestations, une personne constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut, par arrêté motivé, lui interdire de participer à une manifestation sur la voie publique ayant fait l’objet d’une déclaration ou dont il a connaissance. » 

Article 3 de la proposition de loi « anticasseurs », avant la décision du Conseil constitutionnel en 2019

Le Conseil constitutionnel a épinglé l’atteinte au droit d’expression collective des idées et des opinions

L’article censuré prévoyait même la possibilité pour une préfecture d’interdire à un individu de prendre part « à toute manifestation sur l’ensemble du territoire national » pendant un mois maximum, s’il existait des « raisons sérieuses » de penser que la personne en question serait susceptible de prendre part à d’autres cortèges.

Dans sa décision rendue le 4 avril 2019, le Conseil constitutionnel avait relevé une série de griefs qui l’a conduit à censurer l’article. Selon les Sages, la disposition de l’article 3 laissait aux préfets « une latitude excessive dans l’appréciation des motifs susceptibles de justifier l’interdiction ». Notamment parce que l’interdiction pouvait être prononcée sur le fondement de tout agissement, « que celui-ci ait ou non un lien avec la commission de violences ». Ils relevaient que tout comportement, « quelle que soit son ancienneté » pouvait alors justifier l’interdiction de manifester, selon le texte. Ils sont alors arrivés à la conclusion suivante : « Le législateur a porté au droit d’expression collective des idées et des opinions une atteinte qui n’est pas adaptée, nécessaire et proportionnée. » En clair, les Sages ont surtout remis en cause le caractère trop large des modalités prévues par les parlementaires.

Avant même la jurisprudence du Conseil constitutionnel, plusieurs juristes s’inquiétaient de cette mesure préventive, de police administrative, pour répondre à une menace « d’une particulière gravité pour l’ordre public ». Dans une tribune publiée dans Le Monde, l’avocat en droit public Pierre Barthélémy estimait que cette interdiction administrative de manifester était « attentatoire aux libertés ».

Il existe une peine complémentaire d’interdiction de participer à des manifestations

Lors du débat parlementaire, les députés de la majorité présidentielle ont par ailleurs supprimé une obligation de pointage pour les personnes frappées d’interdiction de manifestation. Selon la commission des lois de l’Assemblée nationale, cette disposition était « trop complexe à mettre en œuvre et inutile compte tenu des peines encourues en cas de non-respect de cette peine ».

Après la censure de l’article 3, Bruno Retailleau avait annoncé son intention de redéposer un nouveau texte « anticasseurs ». Ce 2 mai, le président du groupe LR a confirmé sur LCI sa volonté de continuer à agir sur ce sujet. « On peut parfaitement avoir des dispositifs justes d’encadrement avec une règle de proportionnalité », a-t-il répondu. En 2019, il estimait que le Conseil constitutionnel n’avait « pas empêché le Parlement de légiférer sur la possibilité d’une interdiction préfectorale ».

Si cette sanction administrative préventive n’a pas prospéré, le droit actuel prévoit toutefois une sanction pénale, prise par un juge donc. Cette peine complémentaire d’interdiction de manifester ne peut excéder trois ans. Elle peut être prononcée quand la personne poursuivie a été reconnue coupable de certaines infractions pendant des manifestations, qu’il s’agisse de violences sur les personnes ou de dégradations de biens.

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