Peut-on penser une mort digne des animaux ?

Peut-on penser une mort digne des animaux ?

À l’heure où le véganisme gagne du terrain en France et la consommation de viande diminue régulièrement, la fin de l’exploitation animale est prônée comme un modèle alternatif de société. Sans pour autant bannir totalement le carné de notre alimentation, peut-on penser un modèle plus respectueux des animaux, en évitant notamment les souffrances inutiles lors de l’abattage ?
Public Sénat

Par Alexandre Delrieu

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Respect de la dignité, droit au bonheur, éthique. Si ces principes font traditionnellement écho aux droits fondamentaux « naturels et inaliénables » garantis aux hommes par les systèmes juridiques des pays occidentaux, la nécessité des les conférer à nos amis les animaux est aujourd’hui en question.

En France, les images chocs révélant les méthodes cruelles employées dans certains abattoirs, tournées et diffusées par l’association L214, ont fait le tour de la toile et opéré une prise de conscience sur la condition des animaux d’élevage. Alors que les mouvements antispéciste, vegan, et végétarien prônent l’arrêt de l’exploitation des bêtes pour la consommation humaine, il est raisonnable de penser que la consommation de chaires animales va perdurer. Pour autant, les pratiques d’élevage et d’abattage sont amenées à évoluer et certains s’interrogent sur les modalités de mise à mort des bêtes. Peut-on penser une mort digne des animaux ?

« Il faut arrêter de penser que la mort doit être occultée »

Pour l’éthologiste Élisabeth Lécrivain, la mise à mort des bêtes est une question légitime à poser afin de ne pas tomber dans l’écueil qui tend à l’occulter. « Il faut savoir que donner la vie dans un élevage c’est aussi donner la mort. Ce qui veut dire que si on veut élever respectueusement les animaux il faut les abattre de manière respectueuse » avance la chercheuse.

Yohann Barbe : "On est favorable au développement d’abattoirs de proximité" #UMED
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En ce sens, l’éthologiste membre du collectif  « Quand l’abattoir vient à la ferme », milite notamment pour le développement des abattoirs mobiles qui se déplacent dans les exploitations. « L’intérêt c’est de ne pas transporter des animaux vivants inutilement ». Yohann Barbe, éleveur et administrateur du syndicat des Jeunes agriculteurs partage cette position. « On est favorable au développement d’abattoirs de proximité. Pas forcément pour abattre tous les animaux, mais pour abattre des animaux qui le nécessitent, ou de la vente en direct, qui permettrait d’enlever le stress de l’entrée à l’abattoir ».

L’éleveur aborde également la question de la souffrance. Il défend un recours généralisé à l’étourdissement, effectué par des personnes qualifiées et expérimentées, préalablement à l’abattage. Pour le représentant des Jeune Agriculteurs, lorsqu’elles sont étourdies les bêtes ne souffrent pas.

Tuer avec respect, « un non-sens »

Quelle que soit la méthode employée, « tuer avec respect » représente un « non-sens » pour la fondatrice de l’association L214 Brigitte Gothière. « Même si on le fait moins vite, honnêtement on ne peut pas dire qu’on est en train de tuer avec respect quelqu’un qui ne veut pas mourir ». La philosophe Florence Burgat abonde en ce sens. « "Mort digne" on peut l’entendre dans le contexte d’un individu qui est en très grande souffrance et qu’on euthanasie. Là ce sont des animaux qui sont en pleine jeunesse et que l’on tue ». Selon la philosophe, « il y a une inflation de ces termes pour cacher une réalité ».

Florence Burgat : "Ces pratiques cruelles vis-à-vis des animaux sont consubstantielles à l'élevage" #UMED
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Un élevage industriel à bannir ?

Cette réalité est-elle celle d’un élevage industriel, dont les cadences imposées entraîneraient inévitablement des cas de maltraitance ? Pour Florence Burgat, l’industrialisation de la production n’est pas agricole n’est qu’un catalyseur. « Ces pratiques qui sont évidemment cruelles vis-à-vis des animaux sont consubstantielles au projet de l’élevage » soutient la philosophe qui prône un arrêt total de la consommation de viande. « Ce n’est pas l’élevage industriel qui a inventé ces méthodes, elle les a généralisées, elle les a radicalisées ».

Un constat que ne partage pas Élisabeth Lécrivain qui estime néanmoins qu’une consommation plus raisonnée de viande permettrait une amélioration des conditions d’abattage, plus respectueuses des animaux. « Il faut une rupture dans les quantités de viande consommées, dans les prix » avance-t-elle.

Au moment où le législateur s’est saisi de la question de la condition animale en introduisant une référence à la « sensibilité » dont sont capables les animaux, Florence Burgat résume le paradoxe de ce débat qui oppose des arguments difficiles à concilier. « Dès lors que le législateur a reconnu, a inscrit dans le Code civil la sensibilité, on peut dire que le fait qu’il organise en même temps la mise à mort massive des animaux (...) introduit une contradiction majeure ». Alors, la législation continuera-t-elle à évoluer ? Au bénéfice de qui ?

Retrouvez notre débat « Quelle place pour les animaux dans notre société ? » dans l'émission Un monde en Docs, présentée par Nora Hamadi, le samedi 26 mai à 23h30, le dimanche 27 mai à 9h50 et le dimanche 03 juin à 19h00 sur Public Sénat.

Pour aller plus loin :

  • « Contre l’exploitation animale », d’André-Joseph Bouglione, en collaboration avec Roger Lahana, Ed. Tchou – 2018
  • « Etre le bien d’un autre », de Florence Burgat, Ed. Payot et Rivages – 2018
  • « L’Humanité carnivore », de Florence Burgat, Ed. Seuil – 2017
  • « Le code de l’animal », sous la direction de Jean-Pierre Marguénaud et de Jacques LEROY, Ed. Lexis Nexis – 2018
  • « Vivre avec les animaux », de Jocelyne Porcher, Ed. La Découverte – 2014

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