Plan logement d’Elisabeth Borne : la déception des acteurs du secteur, comme des parlementaires

La Première ministre a présenté ce lundi le plan du gouvernement pour répondre à la « crise du logement. » Assumant ne pas avoir de « mesure magique » pour le secteur, Elisabeth Borne a voulu miser sur « l’efficacité de la dépense publique. » Une réponse insuffisante pour l’ensemble des acteurs du secteur, des professionnels du bâtiment aux parlementaires de tous bord, en passant par les associations.
Louis Mollier-Sabet

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En annonçant les mesures pour le logement issues des concertations menées au Conseil national de la refondation (CNR), force est de constater que le gouvernement a réussi à mettre tout le monde d’accord, mais contre lui. Des promoteurs immobiliers aux associations en passant par les parlementaires de gauche comme de droite, la déception, au minimum, est unanime. « En l’état, ce plan n’est pas de nature à répondre aux immenses inquiétudes, aux défis qui sont devant nous, ça manque de souffle, il y a peu d’objectifs chiffrés, pas vraiment de recentrage social », a ainsi réagi auprès de l’AFP le directeur général de la Fondation Abbé Pierre, Christophe Robert, également co-animateur du CNR. Du côté des bailleurs sociaux, même son de cloche : « J’ai du mal à comprendre le lien entre l’engagement qu’ils annoncent et des mesurettes, voire des engagements extrêmement vagues. Il n’y a aucune annonce qui augmente les moyens pour produire plus de logements sociaux », a également déclaré Emmanuelle Cosse, présidente de l’Union sociale pour l’habitat.

« Nous traversons actuellement une crise du logement »

Même côté promoteurs et parc locatif privé, le diagnostic n’est pas moins sévère. « Après sept mois de travail et plus de 200 personnes à l’œuvre, la FFB attendait un électrochoc. C’est une déception ! Quasiment aucune des propositions faites par le secteur n’a été retenue », a fustigé le président de la Fédération française du bâtiment, Olivier Salleron. Pour Loïc Cantin, président de la Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM), ces premières propositions « ne sont pas à la hauteur des enjeux et de la crise à laquelle nous sommes confrontés, et ne répondent à aucune des urgences identifiées par les professionnels, que ce soit pour le logement social ou pour le logement privé neuf et ancien. »

« Nous traversons actuellement une crise du logement », a concédé Élisabeth Borne en conclusion de ce CNR Logement ce lundi, en pointant « des difficultés structurelles plus ou moins marquées selon les territoires », auxquelles s’ajoutent « des crises conjoncturelles » : « L’inflation pèse sur les coûts de construction et la capacité des ménages à acheter ou louer, comme l’accès à un crédit immobilier devient plus difficile. » La Première ministre assume « une double crise » dont les conséquences sont « préoccupantes », mais martèle que le gouvernement n’est « pas dans le déni », mais dans « l’efficacité » : « Il n’y a pas de mesures magiques qui permettraient de débloquer la situation, chacun doit participer et agir dans le même sens. L’Etat prendra sa part, il sera un facilitateur, et sera guidé par un principe : l’efficacité. La baisse des prix de l’immobilier est une bonne nouvelle pour nos compatriotes. Il y a des impacts économiques pour certains d’entre vous, je le sais. Pour autant, il ne faut pas freiner les ajustements du marché. […] La question n’est pas de savoir si telle ou telle mesure est ambitieuse, ou technique, mais le seul critère, c’est l’efficacité. »

« Dans ces annonces, il n’y a quasiment rien de neuf »

En tout état de cause, face à ce « risque de bombe sociale », de l’aveu même du ministre du Logement, Olivier Klein, sur France Info ce lundi matin, les « mesures techniques » annoncées font bien pâles figures, pour les sénateurs spécialistes de la question.  « C’est même pire », regrette le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse, ancien ministre du Logement (2004-2005), qui voit l’extinction du dispositif « Pinel », une réduction d’impôt pour encourager les investissements locatifs comme un mauvais signe à envoyer. « Il fallait revenir au Pinel ‘plus’ d’il y a quelques années, qui marchait bien. D’autant plus que l’on recentre le prêt à taux zéro, il y en aura moins ! » alerte-t-il.

À gauche aussi, on accueille ces annonces d’un très mauvais œil. « L’abandon du dispositif ‘Pinel’, ce n’est pas ce qui me traumatise, mais les crédits auraient dû être mis sur autre chose », estime Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice de la Gauche républicaine et socialiste et, elle aussi, ancienne ministre du Logement (1992-2993 et 2011-2002). « Dans ces annonces, il n’y a quasiment rien de neuf, et même quand les dispositifs sont prolongés, comme le prêt à taux zéro (PTZ), ils sont réduits. »

Le PTZ, un prêt accordé aux primo-accédants sous condition de ressources qui devait initialement prendre fin en 2023, va en effet être prolongé jusqu’en 2027. Mais il devrait être « recentré » sur les « logements neufs collectifs » dans les zones tendues, c’est-à-dire les appartements neufs dans les grandes métropoles. « En réduisant le prêt à taux zéro aux métropoles et aux très grandes villes, on met en danger la fluidité du parc locatif. Il y a aussi des demandes et des attentes en dehors de ces zones, il n’y a pas que les grandes villes ! » proteste Marie-Noëlle Lienemann.

« Ces propositions ne règlent absolument rien de la crise du logement, elles vont même l’amplifier »

Sur le logement social, le gouvernement a aussi annoncé le rachat de 47 000 logements par la Cour des Comptes et Action Logement pour densifier le parc ou bien l’extension du Bail réel solidaire (BRS), mais « ce ne sont même pas des mesures à l’eau tiède », estime Marc-Philippe Daubresse. « La production privée est un marasme total, le logement intermédiaire est en panne complète, le logement social on est en dessous de 80 000 constructions par an, quand on en faisait 120 000 dans les années 2000. On n’a jamais eu en même temps une crise de l’offre et de la demande, ce sont des mesures qui vont aboutir à un effet récessif », poursuit l’ancien ministre.

« Ces propositions ne règlent absolument rien de la crise du logement, elles vont même l’amplifier, parce qu’en vérité, on est sur une baisse massive des crédits du logement, comme le gouvernement l’avait promis à la Commission européenne », assène de son côté Marie-Noëlle Lienemann. Marc-Philippe Daubresse se dit « sidéré par l’incapacité de ce gouvernement » à comprendre que l’on est dans la pire crise du logement depuis l’appel de l’Abbé Pierre [1er février 1954, ndlr] » : « On va descendre en dessous de 330 000 constructions neuves cette année, on recule vingt ans en arrière. Quand on a fait le plan Borloo en 2004-2005, on finit à 490 000 constructions neuves. On va vers le pire ratio entre constructions neuves et ménages à loger depuis 70 ans, et vers 250 000 emplois détruits dans le bâtiment d’ici 2025 », alerte le sénateur LR.

Indice locatif, ZAN : les futurs chantiers du Parlement sur le logement

Sur les thématiques de logement, deux dossiers devraient prochainement arriver sur le bureau du Sénat. D’abord la proposition de loi du député Renaissance Thomas Cazenave, qui prolonge un dispositif de plafonnement de l’augmentation de l’indice locatif à 3,5 %. Là encore, la majorité sénatoriale juge sévèrement la copie du gouvernement, en déposant une motion de rejet du texte en commission par l’intermédiaire de la rapporteure spéciale des crédits du logement, la sénatrice LR Dominique Estrosi Sassone. « Le Gouvernement semble avoir découvert il y a une quinzaine de jours que les mesures de plafonnement de la hausse des loyers commerciaux et d’habitation étaient échues ou allaient arriver à leur terme et a provoqué le dépôt et l’examen en extrême urgence d’une proposition de loi pour en assurer la prolongation », explique ainsi la motion de Dominique Estrosi Sassone. Marie-Noëlle Lienemann va quant à elle proposer, avec le groupe communiste, « le gel des loyers et une compensation pour les HLM qui subissent de plein fouet la hausse des taux du livret A alors que les propriétaires ont emprunté à taux fixe et sont relativement favorisés par la hausse des taux et l’inflation. »

Sur le volet construction et logements sociaux, Marc-Philippe Daubresse insiste sur le fameux objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN), que le Sénat a déjà « adapté » dans une proposition de loi. L’Assemblée nationale se prononcera sur ce texte le 21 juin. Le sénateur LR travaille sur une proposition de loi mettant en place un « moratoire » de trois ans sur le ZAN, qui constitue d’après lui un vrai frein à la construction. « La construction de neuf est d’autant plus plombée que, sous prétexte de la transition écologique, on a planté la capacité de maires bâtisseurs avec le ZAN. Je ne rencontre pas un maire qui ne me dise pas qu’il a un projet de lotissement mais qu’il ne peut plus construire. On a des dizaines de milliers de logements à construire et on dit aux maires qu’ils ne peuvent plus rien faire. »

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