Plan pour les quartiers : quatre mois après les émeutes, Elisabeth Borne ressort la jambe gauche du macronisme

Projet de loi pour lutter contre les copropriétés dégradées, accompagnement à la création d’entreprise, aide à l’insertion, écologie, « opération de testing massif » contre les discriminations, plus de mixité, extension des horaires des bibliothèques… Quatre mois après les émeutes, la première ministre a présenté les mesures du gouvernement pour les quartiers. Elles complètent celles faites la veille sur le plan de la sécurité.
François Vignal

Temps de lecture :

8 min

Publié le

Mis à jour le

Après le régalien, jeudi à la Sorbonne, place aux mesures à dimension sociale. Les réponses de l’exécutif face aux émeutes se font quatre mois après et en deux temps. Jambe droite, d’abord, puis jambe gauche. Histoire de tenter, pour Emmanuel Macron et son gouvernement, de retrouver un petit air d’« en même temps ». La première ministre a présenté ainsi ce vendredi les grandes lignes de la politique de la ville du gouvernement, à l’issue d’un comité interministériel des villes, à Chanteloup-les-Vignes, dans les Yvelines.

« Tu vas te déguiser comment pour Halloween ? »

Accompagnée de plusieurs ministres, la locataire de Matignon déambule dans la matinée dans les rues de l’un des quartiers de la ville, accompagnée de la maire Catherine Arenou, qui lui montre les réalisations. Visites de commerçants, d’un centre social… Avec les enfants, la conversation s’engage sur Halloween. « T’as déjà ton déguisement ? » demande Elisabeth Borne. Un petit chérubin, qui ne manque pas de répartie, interroge la première ministre : « Tu vas te déguiser comment ? » « Ah… C’est une surprise ! » lance, un peu prise de court, la première ministre, qui se marre franchement, pour le coup, avec tout le monde. « Je vous raconterai… » ajoute Elisabeth Borne, qui sort de sa rigidité habituelle. Regardez :

Les services de Matignon devraient peut-être lui prévoir un costume de fée, tant le chantier des quartiers semble immense. Mais dans la boîte à outils du gouvernement, ni coup de baguette magique possible, ni miracle au programme. Plutôt une série de mesures pour l’écologie, l’emploi, le logement, la lutte contre les discriminations et les services publics. Du classique en somme. Mais qui aura peut-être déjà en soi le mérite d’exister, quand on se souvient qu’en 2018, Emmanuel Macron avait finalement enterré le plan Borloo pour les banlieues…

Faire de « la transition écologique » un axe de la politique de la ville

« Le premier axe sur lequel nous allons concentrer nos efforts, c’est la transition écologique », commence Elisabeth Borne, lors de son discours de conclusion. « Quand on pense politique de la ville, la transition écologique n’apparaît pas toujours comme une priorité », reconnaît-elle, pourtant, les habitants des quartiers sont souvent dans « des logements où il fait trop chaud l’été et trop froid l’hiver »

C’est pourquoi le gouvernement va « prolonger le programme quartiers résilients, doté de 250 millions d’euros […] pour permettre de lutter contre les îlots de chaleur, améliorer la gestion de l’eau et des déchets ou réduire la dépendance à l’énergie fossile ». Ainsi, « 24 quartiers vont être intégrés à ce programme » Quant au Fonds vert, déjà existant, 15 % de son enveloppe « sera ciblé prioritairement dans les quartiers politiques de la ville ».

Logement : ne « plus installer » les plus précaires dans les quartiers pour ne pas renforcer les difficultés

Côté logement, « les copropriétés dégradées sont l’image même de l’habitat indigne et de l’insécurité qui s’y attache. Leur rénovation doit être la priorité absolue ». En s’inspirant du rapport remis par Mathieu Hanotin, maire PS de Saint-Denis, et Michèle Lutz, maire LR de Mulhouse, l’exécutif déposera « un projet de loi d’ici la fin de l’année pour intervenir rapidement et plus efficacement sur les copropriétés ».

Pour « enrayer les phénomènes de concentration de la pauvreté », la première ministre demande par ailleurs « aux préfets de ne plus installer, via les attributions de logements, ou la création de places d’hébergement, les personnes les plus précaires dans les quartiers qui concentrent déjà le plus de difficultés », annonce Elisabeth Borne, avant d’ajouter :

 Toutes les difficultés ne peuvent pas être rassemblées au même endroit. La mixité est une chance, elle est nécessaire. 

Elisabeth Borne, première ministre

Un fonds de 300 millions d’euros pour « aller vers ceux les plus éloignés de l’emploi, leur trouver une formation »

Deuxième axe évidemment : « La formation et l’emploi ». « Des moyens sans précédent seront alloués au niveau du programme d’accompagnement à la création d’entreprise » avec « entrepreneuriat quartier 2030 », lance la première ministre, qui met aussi sur la table « le programme d’inclusion par le travail indépendant, qui se poursuivra avec 100 millions d’euros pour les quatre prochaines années ».

Pour « aller vers ceux les plus éloignés de l’emploi, leur trouver une formation ou un accompagnement nécessaire », le gouvernement lance « un fonds doté de 300 millions d’euros sur les trois prochaines années pour mobiliser des associations de lutte contre la pauvreté à cette fin. Et la moitié bénéficiera aux habitants des quartiers politique de la ville ». Mais pour que « ces initiatives soient réellement efficaces, nous devons pouvoir compter sur la mobilisation des entreprises, pour former et embaucher des habitants des quartiers ». Le dispositif « « les entreprises s’engagent » intégrera 2000 entreprises de plus », explique la première ministre.

Elisabeth Borne y ajoute, en lien, « une politique ambitieuse de lutte contre les discriminations. Il est inacceptable que certains noms ou certaines adresses puissent condamner au chômage ». Concrètement, il s’agira de « conduire, dès 2024, une opération de testing massif pour traquer les discriminations dans l’accès aux stages, à l’embauche, au logement ou aux prêts bancaires ».

« Expérimenter 60 centres de santé » et financer « 100 crèches dans les quartiers »

Troisième grande ligne : « l’Accès aux services publics, aux politiques publiques de droit commun, qui doivent s’appliquer au moins aussi bien dans les quartiers qu’ailleurs », avec des « services publics plus efficaces ». Cette volonté de « porter un effort accru pour les quartiers prioritaires de la politique de la ville, c’est ce que nous faisons pour l’école depuis 6 ans », avec « le dédoublement des classes en grande section de maternelle, au CP et au CE1 », rappelle Elisabeth Borne. Pour éviter de « laisser livrés à eux-mêmes » les jeunes, le gouvernement a déjà « changé le calendrier du baccalauréat, pour ne pas laisser libre le mois de juin », et permettre un accueil « aux derniers jours d’août, de manière anticipée ». Conformément à l’annonce d’Emmanuel Macron, en juin dernier, à Marseille, l’ouverture des collèges des quartiers en zone d’éducation prioritaire sera assurée de 8 heures à 18 heures, dès 2024, selon Matignon.

Côté culture, Elisabeth Borne a annoncé « un nouveau plan d’extension des horaires d’ouverture des bibliothèques, en partie le dimanche, dans 500 collectivités ». Pour la santé et l’accès aux soins, le gouvernement veut « expérimenter 60 centres de santé dans les quartiers », sans oublier pour la petite enfance « la participation au financement de 100 crèches dans les quartiers politique de la ville ».

La première ministre a enfin rappelé les annonces de la veille « pour améliorer la sécurité, lutter contre la délinquance et renforcer notre réponse pénale » dans les quartiers, « dont les habitants subissent trop souvent la violence et le trafic ». Ainsi, elle promet « plus de présence policière dans les quartiers en particulier pour lutter contre les trafics de drogue ». Maubeuge, Valence et Besançon verront arriver « les premières forces d’action républicaines, qui réunissent forces de l’ordre, magistrats, professionnels de l’éducation et du social ».

« Nos quartiers peuvent être un atout formidable pour notre pays »

Afin de « marquer une nouvelle étape de la politique de la ville », la première ministre a mis aussi dans sa valise les « nouveaux contrats de ville, qui sont en cours de négociation ». « C’est un moment clef car ils amorcent l’action de l’Etat, des bailleurs sociaux et des collectivités jusqu’en 2030 », souligne la cheffe de la majorité.

Voulant insister sur le versant positif, la première ministre souligne que « nos quartiers sont une richesse et ne demandent qu’à exprimer leur potentiel. (…) Ils peuvent être un atout formidable pour notre pays. La condition pour cela est claire : tenir la promesse de l’égalité des chances. Nous n’y parviendrons que par le travail commun avec les élus, les associations, les bailleurs sociaux, les entreprises, qui doivent continuer à s’engager », prévient Elisabeth Borne (voir la première vidéo), qui conclut : « Si nous tirons dans le même sens, et que nous sommes à la hauteur des circonstances, nous pouvons faire naître l’espoir et créer les conditions d’un renouveau des quartiers en 2030 ».

Pour Emmanuel Macron, l’enjeu est aussi de répondre à une forme de promesse d’émancipation qu’il avait faite, dans l’esprit, pour les quartiers et les jeunes qui y vivent, lors de sa première élection, en 2017. Le fantôme de l’esprit originel du macronisme, ça se trouve facilement comme déguisement ?

Dans la même thématique

Majorité numérique à 15 ans : « La problématique, c’est le système pour vérifier l’âge »
5min

Société

Majorité numérique à 15 ans : « La problématique, c’est le système pour vérifier l’âge »

Dans son discours sur l’Europe à la Sorbonne, Emmanuel Macron a appelé à reprendre le contrôle sur les contenus en ligne et à protéger la jeunesse des contenus dangereux. Pour Olivia Tambou, maître de conférences, la clé d’une telle réglementation au niveau européen réside dans la vérification de l’âge. La sénatrice Catherine Morin-Desailly appelle à une réflexion plus globale sur les usages et la formation.

Le

Police operation de lutte contre les depots sauvages a Nice
5min

Société

Couvre-feu pour les mineurs : quel pouvoir pour les maires ?

La décision de Gérald Darmanin d’instaurer un couvre-feu pour les mineurs en Guadeloupe inspire les maires de métropole. À Béziers, la mesure est en vigueur depuis lundi. À Nice, Christian Estrosi songe aussi à la mettre en place. Dans quelle mesure les maires peuvent-ils restreindre la liberté de circuler ?

Le

Manifestation contre les violences sur les mineurs, Toulouse
4min

Société

Relaxe d’un homme accusé de violences familiales : le droit de correction invoqué par les juges est « contraire à la loi »

Ce 18 avril, la cour d’appel de Metz a relaxé un policier condamné en première instance pour des faits de violences sur ses enfants et sa compagne. Dans leur arrêt, les juges ont indiqué qu’un « droit de correction est reconnu aux parents ». Une décision qui indigne la sénatrice Marie-Pierre de la Gontrie, rapporteure d’une proposition de loi qui interdit les « violences éducatives » depuis 2019.

Le