Porno, harcèlement, émeutes… le Sénat vote la loi de sécurisation de l’espace numérique

Le Sénat a voté à l’unanimité, ce mercredi soir, le projet de loi de sécurisation de l’espace numérique. Au programme, de nombreux sujets, allant de la restriction de l’accès aux sites pornographiques pour les mineurs à la restriction des réseaux sociaux dans le cadre des récentes émeutes, en passant sur les jeux adossés aux NFT. Tour d’horizon des mesures votées par la chambre haute.
Louis Mollier-Sabet

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Un texte « protéiforme » et des débats un peu « frustrants. » Voici les reproches que les sénateurs ont eu à adresser au projet de loi de sécurisation de l’espace numérique. On a connu pire. Si le texte était au départ un texte technique d’adaptation du droit français aux deux règlements européens – le Digital Service Act (DSA) et le Digital Market Act (DMA) – sur le sujet qui entreront bientôt en vigueur, la sénatrice LR, Toine Bourrat a salué un « texte d’apparence technique, mais de progrès. »

« Il y a un petit côté protéiforme à ce texte, mais c’est parce que le numérique donne cette forme à ce texte », a défendu Jean-Noël Barrot, ministre de la Transition numérique, qui s’est félicité du « consensus » dégagé lors de l’examen à la chambre haute. Le projet de loi a en effet été l’occasion d’aborder de nombreux sujets liés au numérique, avec parfois de réelles avancées dans l’examen au Sénat, et parfois des ébauches qui devront être complétées dans la suite de la navette parlementaire, avec notamment un examen à l’Assemblée prévu pour octobre prochain.

  • Restriction d’accès aux sites porno pour les mineurs

Afin d’obliger les sites pornographiques à contrôler effectivement l’âge de leurs utilisateurs, alors que 2,3 millions de mineurs visitent ces sites chaque mois, le texte voté par le Sénat prévoit en effet de donner le pouvoir à l’Arcom de bloquer et déréférencer les sites qui ne proposeraient pas de vérification assez solide et opérationnelle. Le tout par une procédure administrative et pas judiciaire, afin de réduire les délais et faciliter les sanctions, sur le modèle de l’Autorité nationale des jeux en ce qui concerne les jeux d’argent. L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, une autorité indépendante, pourrait aussi prononcer des amendes « dissuasives », allant jusqu’à 1 % du chiffre d’affaires mondial hors taxe réalisé par l’entreprise concernée à 2 % en cas de réitération des manquements.

En séance, les débats ont porté sur le « référentiel » que devra produire l’Arcom, « déterminant les exigences techniques auxquelles devront répondre les systèmes de vérification d’âge. » Certaines sénatrices de la délégation aux droits des femmes ont voulu préciser les contours de ce référentiel, alors que la majorité sénatoriale, conformément à l’avis du gouvernement, a renvoyé au travail de l’autorité de régulation, tout en partageant les objectifs affichés d’obliger les plateformes à mettre en place de véritables systèmes de vérification.

>> Pour en savoir plus, lire : « Numérique : le Sénat vote la restriction d’accès aux sites porno pour les mineurs »

  • Emeutes : un rendez-vous pris à l’Assemblée sur une évolution législative dans la régulation des réseaux sociaux

L’actualité s’est aussi invitée en séance, notamment par l’intermédiaire d’un amendement du corapporteur LR Patrick Chaize, qui entendait obliger les plateformes à retirer, sous deux heures, les contenus « incitant manifestement à la violence », en lien avec les émeutes qui se sont déroulées cette dernière semaine suite à la mort du jeune Nahel.

Si l’amendement a finalement été retiré après les alertes du ministre sur la rédaction qui courrait des risques d’inconstitutionnalité, Jean-Noël Barrot s’est tout de même engagé à entamer une réflexion avec le Sénat pour « trouver une rédaction collective » avant l’examen à l’Assemblée nationale.

Il faut trouver le moyen que les plateformes puissent mettre des choses en place dès la première heure face à ces phénomènes de viralité qui ont pu, en l’espèce, nourrir les dynamiques émeutières », a ainsi admis le ministre de la Transition numérique. Au sein de la gauche sénatoriale et des centristes, une telle régulation soulève tout de même des interrogations.  « On peut réguler mais il faut être prudent. Si Marine Le Pen arrive au pouvoir, je ne veux pas qu’elle puisse se servir d’un tel dispositif », a ainsi confié Loïc Hervé, l’autre rapporteur du projet de loi, à publicsenat.fr, alors qu’en séance, le sénateur écologiste Thomas Dossus s’est dit « inquiet » des propos du Président de la République sur le fait de « couper » les réseaux sociaux.

>> Pour en savoir plus, lire : « Réseaux sociaux et émeutes : le gouvernement ouvert à une évolution législative »

  •  « Filtre anti-arnaque » renforcé

Face aux multiples tentatives d’escroqueries par mail ou SMS, le projet de loi met en place un « filtre anti-arnaques » gratuit adressant un message d’avertissement à toute personne qui s’apprête à se diriger vers un site identifié comme malveillant.

L’examen au Sénat a permis de rendre le dispositif plus opérationnel, notamment en précisant que le message d’information sur l’écran lorsqu’un utilisateur se rend sur un site suspecté d’être malveillant devra être « clair, lisible et compréhensible », et qu’il devra être standardisé. Les sites identifiés comme frauduleux seront mis en demeure et auront sept jours pour transmettre leurs observations à l’autorité administrative compétente. Si ces observations sont insuffisantes ou inexistantes, le site sera bloqué.

  • Cyberharcèlement : bannissement des réseaux sociaux et délit d’outrage en ligne

La version votée par le Sénat instaure une peine complémentaire de « bannissement » de 6 mois des réseaux sociaux – un an en cas de récidive – dans le cas d’une condamnation pour haine en ligne, cyberharcèlement ou autres infractions graves.

En commission, les sénateurs avaient élargi le champ des infractions concernées, en incluant notamment les « menaces et actes d’intimidation commis contre les personnes exerçant une fonction publique. »

En séance, le Sénat a aussi complété le dispositif en adoptant un amendement du co-rapporteur Loïc Hervé qui créée un « délit d’outrage en ligne », puni d’une amende forfaitaire délictuelle de 300 à 600 euros, contre l’avis du gouvernement, qui a estimé que l’amende forfaitaire délictuelle n’était « pas tout à fait compatible » avec le type d’infraction que constituait le cyberharcèlement. »

>> Pour en savoir plus, lire : « Cyberharcèlement : le Sénat créée un nouveau délit d’outrage en ligne »

  • Cloud : améliorer la régulation

Le projet de loi voté par le Sénat entend aussi réguler les pratiques concurrentielles des fournisseurs de cloud. L’encadrement des fournisseurs de « service d’informatique en nuage », qui permettent à des entreprises de stoker leurs données, a été renforcé par plusieurs amendements de Patrick Chaize en commission afin de limiter « les phénomènes de verrouillage ou de dépendance sur le marché ».

Les offres d’essais gratuits sont ainsi limitées à un an. Afin d’éviter la surfacturation liée à un changement de fournisseur, les frais de transferts se feront sous le contrôle de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep).

  • Définir les « jeux à objets numériques monétisables » adossés à des NFT

Selon l’autorité nationale des jeux, entre 1200 et 2500 « jeux à objets numériques monétisables », où les gains en jeux peuvent ensuite être transformés en argent, souvent sous la forme de NFT, sont en développement dans le monde, dont une quinzaine en France. À l’origine, le projet de loi habilitait le gouvernement à définir par ordonnance les jeux à objets numériques monétisables (JONUM) « de manière à prévenir les risques d’atteinte à l’ordre public, protéger la santé et les mineurs ».

Cette habilitation à légiférer par ordonnance a été supprimée en commission par le Sénat. Un amendement de Patrick Chaize prévoit une expérimentation de trois ans durant laquelle les JONUM seront autorisés. Ils sont définis de la manière suivante : des « jeux proposés par l’intermédiaire d’un service de communication au public en ligne qui permettent l’obtention, reposant sur un mécanisme faisant appel au hasard, par les joueurs ayant consenti un sacrifice financier, d’objets numériques monétisables, à l’exclusion de l’obtention de tout gain monétaire, sous réserve que ces objets ne puissent pas être cédés, directement ou indirectement par l’intermédiaire de toute personne physique ou morale, à titre onéreux à toute entreprise de jeux ». A l’issue de cette expérimentation de trois ans, un décret, soumis à l’avis de l’Autorité nationale des jeux, fixera une liste de JONUM autorisés.

En séance, les débats n’ont pas plus avancé, Jean-Noël Barrot ayant bien précisé qu’il resterait, en plus de cette définition « d’autres briques qui vont pouvoir être posées dans la navette », notamment sur la lutte contre les addictions, la protection des mineurs, la lutte contre le blanchiment d’argent et le terrorisme. Le rapporteur LR, Patrick Chaize, a insisté sur le fait que ce vote au Sénat constituait une « étape » de définition d’un régime de régulation qui n’est ni celui des jeux d’argent en ligne, plus contraignant, ni celui des jeux vidéo, moins contraignant. Le contenu de cette régulation sera précisé avant l’examen à l’Assemblée nationale à l’automne prochain, a assuré Jean-Noël Barrot.

 

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