Ce matin, la proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » a été adoptée par la commission des affaires économiques du Sénat. Elle prévoit des assouplissements sur les pesticides et le stockage de l’eau, et entend calmer les tensions entre les agriculteurs et l’Office français de la biodiversité.
Porno : le Sénat lève le voile sur un monde violent
Par Fabien Recker
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« Le point de départ, c’est un simple like sur Facebook ». Installée sur le canapé de son petit appartement, Pauline* raconte son calvaire. Tout commence le jour où une autre femme entre en contact avec elle, via les réseaux sociaux. Pauline n’a alors « pas un seul euro pour payer son loyer ». Elle se lie rapidement d’amitié avec cette nouvelle « bonne copine » qui gagne sa confiance. Pauline ignore qu’elle a en réalité affaire à un homme. Un rabatteur, qui officie derrière un faux profil.
Attirée sur un tournage en échange d’une promesse d’argent rapidement gagné, la jeune femme dit avoir subi plusieurs viols devant la caméra. Et décrit cinq scènes avec plusieurs hommes, en Normandie, puis en région parisienne. « Ils m’ont tous vu pleurer, et ils ont tous continué. J’étais comme une biche dans une chasse à courre. Il fallait m’achever… »
« French Bukkake »
Un coup de fil des gendarmes, des années après les faits, agit comme un déclic. Pauline réalise qu’elle fait partie des dizaines de victimes présumées d’une affaire désormais aux mains de la justice. Pascal OP, le producteur mis en cause dans le récit de Pauline, a depuis été incarcéré après sa mise en examen pour « viol » et « proxénétisme ». Il nie les faits.
L’affaire dite « French Bukkake » (du nom du site internet de Pascal OP) en précède une autre, impliquant cette fois le site « Jacquie et Michel », véritable poids lourd du X en France. Plusieurs femmes affirment avoir été forcées à des pratiques non consenties lors de tournages. L’entreprise affirme n’être pas au courant d’actes répréhensibles, s’abritant derrière son rôle de simple diffuseur.
Pour la première fois, le parlement se penche sur porno
Ces deux affaires jettent une lumière crue sur les coulisses du porno français. Et soulèvent la question du consentement des femmes qui prêtent leur corps à cette industrie. Au printemps 2022, la délégation aux droits des femmes du Sénat s’empare du sujet. « Nous avons réalisé que jamais le parlement, pas plus que le gouvernement, ne s’était penché sur le porno », rappelle Laurence Rossignol, l’une des trois corapporteures, avec Laurence Cohen (communiste) et Alexandra Borchio-Fontimp (LR), de la mission d’information sénatoriale sur la pornographie.
« C’est comme si la société avait fermé les yeux sur quelque chose qui a beaucoup changé » constate de son côté Annick Billon, présidente (centriste) de la délégation. « A cause des chaînes tubes, à cause des réseaux sociaux ». L’apparition, dans les années 2000, de sites comme Youporn ou Redtube, véritables robinets à porno en ligne, ont en effet démultiplié la consommation et la production de porno. Lequel pèse aujourd’hui près du tiers du trafic internet à l’échelle mondiale.
« Un réalisateur est un rabatteur avec une caméra »
L’immense majorité de ces contenus provient du segment dit « pro-amateur » : des productions au rabais, dans une esthétique « amateur » suggérant que les participantes sont là pour leur seul plaisir, mais réalisées par des professionnels qui en tirent un revenu.
Ces producteurs sont mus par « un besoin perpétuel de nouvelles femmes » explique Robin d’Angelo, journaliste et auteur d’un livre-enquête sur le porno (« Judy, Lola, Sofia et moi », éditions de la Goutte d’Or). « L’accessibilité permanente grâce à internet entraîne ce flux et ce besoin de renouvellement. Un réalisateur est d’abord un rabatteur avec une caméra ».
Porno = prostitution ?
Une course effrénée au recrutement ouvrant la voie à toutes dérives, mais qui offre aussi un angle d’attaque aux adversaires du porno. En droite ligne avec les chefs d’accusation retenus par la justice dans l’affaire « French Bukkake », plusieurs collectifs féministes militent pour faire entrer le porno dans le champ du proxénétisme.
« Il faut partir d’une approche matérialiste » argumente Laurence Questiaux, avocate de plusieurs parties civiles. « Que se passe-t-il réellement sur un tournage ? S’il y a eu des pénétrations obtenues par la contrainte, c’est du viol. S’il y a eu un échange monétaire ou un recrutement, on est dans le cas du proxénétisme. Si en plus, on a déplacé des femmes d’un point à un autre du territoire pour obtenir ces pratiques sexuelles, on est face à de la traite des êtres humains. Tout cela est dans le dossier ».
Pas de porno « code du travail »
Des accusations lourdes, vis-à-vis desquelles l’industrie se défend. Auditionné au Sénat, Grégory Dorcel, patron du groupe Dorcel, a condamné « les actes odieux d’un certain milieu amateur », refusant l’amalgame avec les producteurs mis en cause par la justice. Dorcel et la société Ares, éditrice du site « Jacquie et Michel », vantent leurs récentes « chartes déontologiques » censées garantir la sécurité sur les tournages.
« Cet appel à un porno « code du travail « est d’abord une contre-offensive des industriels » analyse Laurence Rossignol. « Avant qu’on ne mette le nez dans les conditions de leur business, les dérives constatées aujourd’hui ne les dérangeaient pas du tout ». Par ailleurs, il existe une réelle porosité entre petits producteurs et grands acteurs du secteur, les seconds diffusant le contenu des premiers, sous une multitude de marques et de labels, allant jusqu’au plus trash.
Faut-il interdire le porno ?
Lorraine Questiaux ne croit pas non plus à la fable du bon et du mauvais porno. « Les personnes visées dans ces procédures sont au cœur de l’industrie française. Tout le monde se connaît, il n’y a pas de muraille de Chine entre une production et une autre » rappelle l’avocate. Exemple avec la plateforme de VOD du groupe Dorcel, qui commercialisait les films du réalisateur Mat HDX avant sa mise en examen pour « proxénétisme ».
Au terme de leurs travaux, les sénatrices n’entendent pourtant ni réguler, ni interdire la pornographie. « Être abolitionniste en France n’aurait aucun sens, face à un business internationalisé, avec de nombreux films produits à l’étranger » reconnaît Annick Billon. Le Sénat propose cependant la création d’un nouveau délit « d’incitation aux violences sexuelles », sous le coup duquel pourrait tomber le porno.
Il s’agit surtout d’ouvrir un nouveau front dans la lutte contre les violences faites aux femmes. « On est face à une dichotomie troublante » conclut Laurence Rossignol. « D’un côté, on lutte contre les violences sexuelles et sexistes avec toute une mobilisation de la société et des pouvoirs publics. De l’autre, on laisse se diffuser à une échelle industrielle des images qui font la promotion de ces violences et en font une norme de la sexualité ».
« Porno, un monde violent », 26’, samedi 15 octobre à 22h30 sur Public Sénat.
*Prénom modifié