Pouvoir d’achat : le gouvernement réticent à augmenter les salaires

Pouvoir d’achat : le gouvernement réticent à augmenter les salaires

Alors que l’inflation s’accélère, la question de la hausse des salaires se fait de plus en plus pressante. Le gouvernement ne propose pour le moment pas de revalorisation salariale au-delà de la revalorisation légale du SMIC. Pourtant, d’après la chercheuse Anne Eydoux, les bas salaires ne suivent pas l’inflation et leur pouvoir d’achat est durablement amputé.
Louis Mollier-Sabet

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On se croirait revenu dans les années 1970. Après des décennies à parler chômage et coût du travail, la reprise économique post-covid et la guerre en Ukraine ont totalement inversé le cycle macro-économique, et les pouvoirs publics se retrouvent, depuis maintenant presque un an, à devoir gérer une tendance inflationniste. Le changement de conjoncture économique a mis des problématiques totalement différentes à l’agenda, et notamment la hausse des salaires pour répondre à l’inflation, estimée provisoirement à 4,5 % en mars 2022 par l’INSEE. Tous les candidats à la présidentielle, sauf Emmanuel Macron, avaient ainsi intégré des revalorisations salariales pérennes dans leur programme pendant la campagne. À droite, on proposait de réduire les cotisations sociales et patronales pour augmenter les salaires nets, tandis qu’à gauche, on proposait d’augmenter le SMIC et de convoquer des conférences salariales où l’Etat mettrait des hausses de salaires à l’ordre du jour. Finalement élu, Emmanuel Macron proposait, lui, d’inciter les employeurs à mettre en place des mécanismes de primes et d’intéressement.

Bercy demande aux entreprises « qui le peuvent », d’augmenter leurs salariés

Il n’est donc pas surprenant que, pour le moment, le gouvernement n’évoque pas de hausse du SMIC au-delà de la revalorisation légale due à l’inflation (+ 2,65 % au 1er mai). Bruno Le Maire a appelé, devant les organisations patronales lundi, les entreprises « qui le peuvent », à augmenter les salaires en déployant « massivement » la prime Macron. Le ministre de l’Economie, reconduit après 5 ans passés à Bercy, récuse « des augmentations générales, partout, décidées par l’administration » car « ce n’est pas comme ça que ça marche. » En effet, pour le moment, Anne Eydoux, maîtresse de conférences au CNAM, rappelle qu'« en dehors des revalorisations automatiques qui suivent l’inflation et l’évolution du pouvoir d’achat des salaires, il n’y a pas eu de coup de pouce du gouvernement au SMIC depuis 2012. Le niveau du salaire minimum est aujourd’hui très bas et les salaires sont depuis longtemps à la traîne. »

Il existe d’après elle un « paradoxe » entre une « hausse moyenne de pouvoir d’achat de 1 % par an » sur le quinquennat précédent, et le ressenti d’une partie de la population d’un pouvoir d’achat qui baisse. Cela s’expliquerait par une répartition inégale des gains de pouvoir d’achat moyens : « Pendant le premier quinquennat, l’évolution du pouvoir d’achat a été plus favorable aux riches qu’aux pauvres. Le revenu disponible des 5 % les plus aisés a davantage augmenté que celui des ménages médians. Et c’est au bas de l’échelle que les ménages ont le moins profité des mesures sociofiscales du gouvernement : certains ont même subi des pertes de pouvoir d’achat, d’abord en raison de la réforme des aides au logement, puis à cause des coupes dans l’assurance-chômage. »

« Un gouvernement ne peut pas faire appel aux bonnes volontés du patronat et à la négociation salariale s’il n’actionne pas le premier levier qu’est le SMIC »

Avec l’inflation actuelle, la pression sur les bas salaires est donc importante, mais Anne Eydoux estime quand même que le problème dépasse la spirale inflationniste, et pose des questions structurelles d’augmentations salariales : « La question des bas salaires dépasse le problème immédiat de l’inflation. « Les revendications salariales ont été importantes pendant le dernier quinquennat du Président Macron. Les Gilets Jaunes, qui dénonçaient les fins de mois difficiles, demandaient, entre autres, des hausses de salaires. En décembre 2018, le Président de la République avait annoncé une hausse du SMIC de 100 euros par mois, mais celle-ci s’est transformée en hausse de la prime d’activité, une aide sociale qui ne bénéficie pas à tous les salariés au SMIC. »

À cet égard, le SMIC lui paraît être « le premier levier » pour enclencher des augmentations salariales : « Le gouvernement peut toujours faire appel à la bonne volonté du patronat et à la négociation collective, mais il serait plus crédible s’il actionnait le premier levier qu’est le SMIC. Alors que le pouvoir d’achat des plus modestes est resté à la traîne, revaloriser le bas de l’échelle augmenterait le pouvoir d’achat de celles et ceux qui ont le plus de difficultés face à l’inflation. Et cela stimulerait les négociations. » D’autant plus que le monde du travail français est marqué par une « relative faiblesse syndicale », qui fait du SMIC un « levier » d’autant plus important dans le dialogue social : « Dans un contexte où le chômage reste élevé, les syndicats sont en position de faiblesse pour négocier des hausses de salaires. La hausse du SMIC revalorise les plus bas salaires, mais rattrape aussi d’une certaine façon des salariés qui étaient juste au-dessus. Sans négociations, cela peut créer un effet de 'plancher collant', de blocage des carrières salariales pour une frange non négligeable de salariés, et singulièrement des femmes. »

« Ne pas retomber dans un débat d’un autre âge »

Dans ce contexte, le niveau du SMIC représente un enjeu important de lutte contre la pauvreté et de réponse aux tensions inflationnistes qui agitent l’économie française : « Avec un coup de pouce au SMIC, le gouvernement redonnerait une légitimité aux hausses des salaires et du pouvoir d’achat, sans se contenter de saupoudrer des primes. » Il est significatif de voir Bruno Le Maire écarter l’augmentation du SMIC pour des raisons techniques, et non pour des raisons économiques. L’argument du coût du travail, consistant à expliquer qu’une augmentation des bas salaires détruirait des emplois non-qualifiés, semble en effet moins mis en avant par le gouvernement qu’une impossibilité technico-légale pour le pouvoir politique de dicter les politiques salariales des entreprises.

D’après Anne Eydoux, c’est aussi symptomatique du consensus dans les études économiques : « Il n’y a qu’en France que les économistes orthodoxes ont continué à affirmer, sur la base de calculs de coin de table, que la revalorisation des bas salaires détruirait des dizaines de milliers d’emplois. Cela a été remis en cause depuis longtemps aux Etats-Unis par des travaux empiriques et théoriques. L’Allemagne a mis en place un salaire minimum et l’a significativement revalorisé sans impact négatif sur l’emploi. Le SMIC français est inférieur aux salaires minimums britanniques et allemands, le revaloriser ne détruirait pas d’emplois mais augmenterait le pouvoir d’achat de celles et ceux qui en ont le plus besoin. » La maîtresse de conférences au CNAM « espère ne pas retomber dans un débat d’un autre âge. » En tout état de cause le projet de loi de finances rectificative devrait être présenté en conseil des ministres après les élections législatives, contrairement à ce qu’avait annoncé Olivia Grégoire dans un premier temps. Il permettra de préciser les mesures prises par le gouvernement qui ne manqueront pas de susciter des débats, d’un autre âge ou pas.

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