Pr. Olivier Schwartz : « L’Institut Pasteur a 3 candidats vaccins »

Pr. Olivier Schwartz : « L’Institut Pasteur a 3 candidats vaccins »

Entretien avec le Pr Olivier Schwartz, directeur de l'unité virus et immunité de l'Institut Pasteur.
Public Sénat

Par Rebecca Fitoussi

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11 min

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On assiste en Mayenne à un accroissement anormal de la circulation du virus. Avez-vous un début d’explication ? Une hypothèse scientifique ?

Ce qui se passe, c'est qu'il y a une circulation à bas bruit depuis un certain temps, puisqu'on estime actuellement qu'il y a 500 nouveaux cas diagnostiqués chaque jour. Le virus continue de circuler et c'est un petit signal. On a d'autres signaux négatifs comme l'analyse des séquences, le patrimoine génétique viral que l'on peut retrouver dans les eaux usées qui augmente. Tout cela indique qu'il y a effectivement une résurgence de l'infection. Il y a des clusters. Heureusement, ils sont diagnostiqués, mais il faut les circonscrire et s'en occuper activement.

On entend aussi parler de micro-gouttelettes en suspension prolongée dans l'air qui pourraient être un facteur de contamination. L'OMS n'écarte plus la possibilité d'une transmission aérienne. Est-ce que le débat est tranché ?

Cela a toujours été le cas. On sait que le virus s'est transmis par voie aérienne, cela peut être des micro-gouttelettes, des nano-gouttelettes encore plus petites, des aérosols. Toutes les voies sont possibles. Le virus va avoir une certaine durée de vie hors d'un organisme, mais il faut quelques secondes si on est en proximité pour atteindre une nouvelle personne. Alors, combien de temps le virus peut-il rester en suspension ? À mon avis, pas si longtemps que ça. Tout dépend en fait de la charge virale, c’est-à-dire la quantité de matériel viral, de virus infectieux qui peut être présent dans ces micros ou nano-gouttelettes. Il faut savoir également que chez un individu, la charge virale varie beaucoup en fonction de la personne.

Oui, il y a les "supercontaminateurs"… On a d'ailleurs du mal à comprendre pourquoi ils le sont…

Oui, c'est une question très intéressante. Pourquoi certaines personnes transmettent plus ? On sait que la charge virale, c’est-à-dire la quantité de virus qu'on peut trouver dans un échantillon, peut avoir un pic à 10 puissance 5, c’est-à-dire 100 000 copies d'ARN virale, donc de matériel génétique. Mais il y a chez certains individus une charge virale qui est mille fois supérieure, qui atteint 10 puissance 8, c’est-à-dire 100 millions de copies par échantillon. Donc, on imagine et on conçoit aisément que ces personnes vont transmettre beaucoup plus l'infection si au départ, il y en a beaucoup plus,

La climatisation inquiète aussi, à tort ou à raison ?

Il y a en effet des études chinoises et d'autres pays qui ont montré dans un restaurant qu'il y avait eu un cas de contamination tout autour d'une table et que la table à côté avait été contaminée. Par contre, la table un peu plus loin n'avait pas été atteinte. Donc, c'est sûr que la climatisation va entraîner un flux d'air froid qui favorise la survie du virus et jouer effectivement un rôle.

On a parlé un moment d’une possible immunité croisée qui pouvait protéger du virus. Où en est-on ?

C'est une très bonne question. Qu'est-ce qu'on entend par immunité croisée ? Il faut savoir qu'il y a différents types d'immunités chez un individu. Il y a l'immunité humorale par les humeurs, c’est-à-dire des anticorps qu'on a dans le sang, qu'on génère. D'ailleurs, les vaccins ont pour objectif de générer ces anticorps neutralisants. Il y a également une immunité cellulaire. Ce sont les globules blancs, les lymphocytes. On a des lymphocytes tueurs qui vont éliminer les cellules infectées. Et il y a un troisième type d'immunité dont on entend peu parler, mais qui est un sujet très important à mes yeux, c'est l'objet de nos études en laboratoire, c'est l'immunité dite innée. C'est la réponse immédiate avant que l'on ait des anticorps. L'organisme détecte un virus, il y a des signaux d'alarme qui sont tirés et il y a un état antiviral qui est généré. Il y a production d'interférons, ce sont des molécules antivirales. Ce sont d'ailleurs ces molécules qui sont responsables des signes cliniques comme la fièvre. Dans la plupart des cas, l'immunité innée est suffisante pour contrôler l'infection en quelques jours. Quand on a un rhume banal ou une autre infection, c'est l'immunité innée qui permet également d'établir l'immunité anticorps ou cellulaire.

Quand vous dites "innée" cela veut dire qu'elle est génétique ?

Cela veut dire qu'elle est codée dans chaque cellule. D'ailleurs, il y a certaines personnes qui ont des défauts génétiques, heureusement très rares, qui peuvent être hypersensibles à l'infection, du fait de ce défaut d'immunité innée. Pour revenir à l'immunité croisée, une étude a montré que lorsqu’on avait été infecté par un coronavirus saisonnier (car il faut savoir qu'il y a 7 coronavirus différents qui peuvent infecter l'homme, 3 qui sont dangereux, 4 qui provoquent des rhumes peu dangereux) on avait des lymphocytes cytotoxiques qui étaient capables de reconnaître le coronavirus 2, le SARS-CoV-2.

Donc que l'on est potentiellement immunisé ?

Non, on a ces cellules mais on ne sait pas si elles sont fonctionnelles. L'étude ne le montre pas encore. Par ailleurs, il y a une autre étude, en particulier celle de collègues de l'Institut Pasteur avec l'hôpital Necker, qui a montré que chez les enfants, on retrouve des anticorps contre les autres coronavirus et qu'en fait, on retrouve ces anticorps chez les enfants qui ont contracté une infection coronavirus 2 ou pas. C'est cela qui permet de conclure que les anticorps contre certains coronavirus saisonniers ne protègent pas. C'est donc encore trop tôt pour avoir la réponse à la question : immunité croisée ou pas d'immunité croisée.

Où en est-on du vaccin ? J'imagine que de nombreux laboratoires sont dessus ?

Oui, il y a beaucoup de candidats vaccins qui sont à l'étude. Il faut faire attention à ne pas confondre un candidat vaccin et un vaccin qui est testé chez l'homme et qui doit montrer sa preuve d'efficacité. Il y a dans le monde environ 125 candidats vaccins qui sont en phase préclinique, mais très peu vont aller jusqu'à la clinique et très peu de ceux qui vont faire l'objet d'essais cliniques vont être produits à grande échelle. Mais il y a quand même déjà 14 candidats vaccins qui sont en essais cliniques, en phase 1, en phase 2, en phase 3 et même certains en Chine qui sont déjà disponibles et administrés, en particulier chez les militaires chinois. Il y a des vaccins qui commencent à être disponibles. La course de préparation au vaccin se produit correctement, mais c'est un 110 mètres haies.

Correctement mais plus rapidement que d'habitude, non ?

Oui rapidement et à chaque haie de ce saut d'obstacles, il y a un signal de "go" ou de "no go". Pour certains de ces candidats vaccins, on est en train de franchir ces différentes étapes.

Comment se positionne l'Institut Pasteur dans cette course ?

L'Institut Pasteur a 3 candidats vaccins, dont un qui est fondé sur un vecteur rougeole qui a été développé par l'équipe de Frédéric Tangy et qui est actuellement en phase préclinique ou clinique. Il va commencer les essais cliniques dans les jours qui viennent et il est fondé sur l'utilisation d'un vecteur, c’est-à-dire d'un véhicule, qui emmène les antigènes du coronavirus, c'est le vaccin de la rougeole, qui a déjà fait sa preuve d'efficacité, qui a été utilisé chez plus de 2 milliards d'individus dans le monde. On sait donc qu'il est efficace et qu'il n'est pas toxique alors qu'il y a beaucoup d'autres candidats vaccins contre le coronavirus qui sont des nouvelles stratégies et qui n'ont pas du tout cette antériorité. Nos essais de candidat vaccin rougeole vont démarrer très prochainement et je pense qu'il peut y avoir une bonne réponse du système immunitaire. C'est du moins ce qu'on espère.

Le professeur Didier Sicard met en garde contre ce qu'on appelle "l'orage immunologique", une réponse immunitaire excessive qui se produit chez certains individus et qu'on ne peut pas prévoir. Il a pris l'exemple du vaccin contre la dengue qui a fait des morts parce que les anticorps contre le virus se sont avérés plus destructeurs que le virus lui-même. Il appelle à la patience pour ce vaccin… Qu'en pensez-vous ?

Le Professeur Sicard a raison de soulever ce risque. C'est vrai pour tout candidat vaccin. C'est exactement l'objet des études. Moi, j'ai l'impression, à titre personnel, que ce virus est sensible aux anticorps neutralisants. On le voit chez les personnes chez qui on prélève du sérum, on voit que les anticorps ont une activité neutralisante. Pour l'instant, on n'a pas réussi à montrer l'effet inverse dont parle le Professeur Sicard sur la dengue, qui avait un effet facilitant. C'est donc peut-être vrai pour la dengue mais pour l'instant, je n'ai pas vu ni dans mon laboratoire ni dans d'autres publications cet effet délétère des anticorps. C'est plutôt encourageant, mais il faut continuer à le chercher. Ce n'est pas parce qu'on ne l'a pas vu qu'il n'existe pas. En plus, je pense que c'est un virus qui est facile à neutraliser. Si on pense par exemple au VIH, il y a des recherches de candidats vaccins depuis plus de 30 ans, sans succès, parce que le virus mute beaucoup et parce qu'il y a plein de sous-types de virus qui peuvent circuler. Il est beaucoup plus dur à neutraliser. Si on prend du sang d'une personne infectée par le VIH, il y a des anticorps, mais ils sont peu neutralisants, tandis que si on prend du sang d'une personne infectée par le coronavirus, les anticorps peuvent être très neutralisants. Tout ceci me permet d'être optimiste… Réaliste, prudent, mais optimiste.

Cette semaine se tenait la 23e Conférence internationale sur le Sida. Est-ce que vous craignez que la mobilisation de milliards d'euros pour lutter contre la COVID freine la recherche sur le VIH ?

C'est un risque. En ce moment, on entend moins parler du VIH ou d'autres épidémies, mais il y a 37 millions de personnes infectées par le VIH. Dans mon laboratoire, avant de travailler sur le coronavirus, on travaillait depuis de nombreuses années sur le VIH, on a donc utilisé notre savoir-faire sur le VIH pour l'appliquer aux recherches sur le coronavirus. C'est très important de continuer la recherche sur le VIH. Il y a plus de morts par le VIH, entre 1 et 2 millions de morts par an, il y a plus de morts par la tuberculose que par le coronavirus dont on entend beaucoup parler. Il y a d'autres épidémies qui continuent, qui sont chroniques, il ne faut donc pas arrêter l'effort sur ces autres virus ou bactéries qui infectent l'homme.

Dans votre laboratoire, vous ne travaillez plus que sur le coronavirus ?

Depuis le début de l'épidémie, on a complètement basculé sur le coronavirus, à 100%. L'Institut Pasteur était fermé pendant le confinement, sauf pour les activités prioritaires. Depuis maintenant presque 5 mois, on travaille sur le coronavirus, mais on va reprendre nos activités progressivement sur les autres virus.

Est-ce que cela rend un peu amer le chercheur que vous êtes, de voir cette mobilisation immédiate et coordonnée entre les différents laboratoires internationaux sur la COVID, alors que ce n'est pas le cas pour d'autres virus qui mériteraient aussi toute notre attention ?

Non, au contraire, c'est une chance qu'il y ait eu cette mobilisation mondiale. À l'Institut Pasteur, on s'est mobilisés, il y a eu une volonté institutionnelle forte avec la création d'une "task force". On a des réunions très fréquentes. Il y a quotidiennement entre 300 et 500 personnes qui travaillent sur le coronavirus, sur les vaccins, sur les diagnostics et surtout sur la recherche fondamentale. La recherche fondamentale est très importante. C'est une recherche qui prend du temps et pour créer des nouveaux vaccins, pour mettre au point des tests diagnostiques, pour trouver des molécules antivirales, il faut de la recherche fondamentale.

Vous diriez que cette crise soudaine et brutale a débloqué des verrous ? Il y aura un avant et un après dans votre façon de faire de la recherche ?

Oui, oui, je pense, parce que tout s'est accéléré. Il y a eu une envie de collaborer et chaque personnalité scientifique peut s'épanouir dans un but de santé publique. On est là, à l'Institut Pasteur, pour faire de la recherche, comprendre des mécanismes biologiques, mais également au service de la santé publique.

Entretien réalisé par Rebecca Fitoussi @fitouss

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