A partir de 20h vendredi, la cour d’assises spéciale de Paris, composée uniquement de magistrats professionnels, rendra son verdict à l’encontre de huit accusés impliqués, à des degrés divers, dans l’assassinat, le 16 octobre 2020, du professeur Samuel Paty par un jeune islamiste radical tchétchène, Abdoulakh Anzorov.
Depuis cette date, plusieurs mesures ont été prises pour protéger davantage les enseignants et assurer le respect e la laïcité dans les établissements scolaires.
« Le simple fait qu’un professeur ait pu être décapité pour blasphème en 2020 démontre que faille, il y a », avait constaté implacablement, la sœur de Samuel Paty, Mickaëlle Paty, auditionnée en octobre 2023 devant commission d’enquête de la Haute assemblée sur les menaces visant les enseignants. Une commission d’enquête qui s’était mise en place suite à un courrier de Mickaëlle Paty à Gérard Larcher et François-Noël Buffet, respectivement président du Sénat et président de la commission des lois à l’époque, pour leur demander d’ouvrir une commission d’enquête sur « les dysfonctionnements qui ont conduit à l’assassinat » de son frère.
Quelques mois à peine après l’attentat terroriste, alors que le Sénat examinait le projet de loi confortant le respect des principes de la République, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti avait confessé devant l’hémicycle : « Qu’est-ce qui aurait permis d’éviter ça ? Si je vous dis : rien. C’est désespérant mais c’est la réalité ». L’avenir lui donnera malheureusement raison. Un autre professeur d’histoire-géographie, Dominique Bernard, sera assassiné en octobre 2023 au collège-lycée Gambetta, à Arras, par un jeune islamiste radicalisé.
La première réponse législative envisagée par l’État à l’assassinat de Samuel Paty a d’abord été symbolique avec la mise en place d’une journée de la laïcité le 9 décembre, prévu dans ce texte.
Nouveau délit de « mise en danger de la vie d’autrui »
Outre, l’installation de référents laïcité dans toutes les administrations de l’État, la loi introduit un nouveau délit de « mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle ». Même si cette mise en danger n’est pas suivie de faits, son auteur peut être condamné à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, une peine portée à cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende si la victime est un agent public, un élu ou un journaliste. Le 2 octobre dernier, un homme a d’ailleurs été condamné à un an de prison avec sursis pour avoir menacé de mort le proviseur du lycée parisien Maurice-Ravel sur les réseaux sociaux.
« Délit d’entrave à la fonction d’enseignant »
Le projet de loi de 2021 a également créé un « délit d’entrave à la fonction d’enseignant », qui punit d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende le fait d’entraver par des menaces la mission d’un professeur. Ajoutée dans le texte par amendement à l’Assemblée nationale, la mesure est notamment inspirée de la proposition de loi du sénateur Olivier Paccaud, qui avait déposé un texte à part entière au Sénat pour créer ce délit, quelques jours après l’assassinat de Samuel Paty.
Une application plus large de la loi de 2004
Des recommandations ont aussi vu le jour. Plusieurs émanent de la commission d’enquête du Sénat. La plus ferme, envisage une évolution de l’application de la loi de 2004 sur l’interdiction du port des signes et vêtement religieux ostentatoires, jugée « trop floue », dans certains cas par les sénateurs. C’est pourquoi, ils recommandent d’élargir l’interdiction « à toute activité organisée par l’institution scolaire, en dehors du temps scolaire », sortie scolaire le soir, cérémonie de remise d’un prix pour un concours organisé par l’éducation nationale ou en partenariat avec le ministère, participation à un forum d’orientation…
Lors de son bref passage à l’Education nationale, Gabriel Attal avait choisi la voie d’une circulaire, pour interdire dans les établissements scolaires, les abayas, considérées comme des signes religieux et sont donc prohibées au titre de la loi de 2004. Une interdiction confirmée par le Conseil d’Etat.
La commission d’enquête du Sénat préconisait également de développer les structures d’accueil pour les élèves hautement perturbateurs ou poly-exclus. Après l’assassinat du professeur Dominique Bernard, Gabriel Attal, encore ministre de l’Education nationale, avait indiqué vouloir « sortir » les élèves signalés pour des faits de radicalisation des établissements scolaires. « On doit trouver une autre solution que de les scolariser », avait défendu le locataire de la rue de Grenelle.
Vers une loi pour rendre la protection fonctionnelle des enseignants automatique
Les travaux du Sénat avaient mis en lumière des insuffisances, notamment le parcours judiciaire « malaisé et décourageant » des professeurs victimes de menaces.
Démarches complexes, inertie, manque d’informations sur les suites données aux plaintes… Le constat des sénateurs dans leur rapport est sévère : « Quand ils ne contribuent tout simplement pas à dissuader les agents victimes de porter plainte, ces facteurs de lenteur, d’incertitude et de complexité ne peuvent que renforcer le sentiment de solitude de ces derniers et leur faire l’effet d’une double peine. »
Sur ce sujet, le sénateur communiste Pierre Ouzoulias a déposé une proposition de loi pour rendre la protection fonctionnelle des enseignants automatique, comme le proposait la commission d’enquête. « Cette inversion de la charge de la preuve, c’est quelque chose de fort. Car il faut rappeler que dans le drame de Samuel Paty, il a été seul, accusé par une partie de sa hiérarchie, alors même qu’il avait demandé la protection fonctionnelle », rappelait le sénateur auprès de Public Sénat, au moment du dépôt de son texte. Mais avec le contexte d’instabilité politique, celui-ci n’a pas été inscrit à l’ordre du jour des débats. En attendant, les demandes de protection fonctionnelle ont augmenté de 29 % entre 2022 et 2023, signe que les enseignants continuent de se sentir menacés, malgré les mesures déployées pour les protéger.