Depuis le 2 septembre, 51 hommes sont jugés par la cour criminelle d’Avignon, accusés d’avoir violé Gisèle Pelicot, droguée par son mari Dominique Pelicot au moment des faits. En refusant le huis clos, Gisèle Pelicot a tenu à faire de ce procès un détonateur. « Je veux que la honte change de camp », a-t-elle affirmé avant l’ouverture de l’audience.
Depuis, le palais de justice d’Avignon se remplit tous les jours de journalistes venus couvrir ce long procès, chaque seconde de l’audience peut même être suivie en direct sur les réseaux sociaux. Une médiatisation presque inédite, qui a poussé plusieurs milliers de personnes dans la rue ce samedi 14 septembre, manifestant contre les violences sexistes et sexuelles et en soutien à Gisèle Pelicot.
« La prise de conscience politique est absolument nécessaire »
Malgré le retentissement de l’affaire partout dans la société, la voix des partis politiques se fait pour le moment très discrète. À cette date, alors que le procès se déroule depuis plus de deux semaines, seul le parti Socialiste s’est fendu d’un communiqué, publié ce 19 septembre, appelant à « agir maintenant pour que ce procès rentre dans l’histoire et entraîne une politique déterminée contre les violences faites aux femmes ».
La parole des partis est pourtant très attendue, estime Mathilde Viot, juriste et co-fondatrice de l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique : « La prise de conscience politique est absolument nécessaire. Aujourd’hui, ce sont essentiellement les féministes qui prennent la parole, alors que cette affaire montre justement que le viol est un phénomène massif et systémique, qui appelle à une réponse politique. »
« Seules les femmes politiques s’emparent de ce sujet »
Quelques élus se sont exprimés à titre personnel, en publiant un message sur les réseaux sociaux. Le 18 septembre, le premier secrétaire du PS Olivier Faure a ainsi salué « le courage extraordinaire de Gisèle Pelicot » et formulé une série de propositions pour lutter « contre les violences faites aux femmes ». De son côté, ce 19 septembre, le président du Rassemblement national Jordan Bardella a sobrement souhaité que « la justice ne tremble pas et soit exemplaire » dans ce procès, sans porter de message politique.
En marge du procès des viols de Mazan, les rares personnalités politiques qui s’emparent du sujet pour mettre la question des violences sexistes et sexuelles à l’agenda politique sont encore des femmes. La sénatrice Véronique Guillotin (RDSE) et la députée Sandrine Josso (MoDem) conduisent par exemple depuis avril dernier une mission gouvernementale sur la soumission chimique, suspendue depuis la dissolution. Le sujet a d’ailleurs directement touché la classe politique, puisque Sandrine Josso a déposé plainte contre le sénateur Joël Guerriau, accusant l’élu de l’avoir droguée en vue de l’abuser sexuellement.
Une répartition genrée des sujets qui ne surprend pas Mathilde Viot : « On peut amèrement regretter que seules les femmes politiques s’emparent de ce sujet. Il est nécessaire, notamment pour la construction des jeunes générations, que des modèles masculins émergent aussi en politique et refusent de s’adonner à cette forme de silence et de solidarité masculine. »
« Si les hommes politiques ne réagissent pas, c’est aussi parce qu’ils font partie du problème »
Ces dernières semaines, la classe politique a pourtant largement réagit à d’autres « faits divers », dénonçant par exemple l’insécurité grandissante à Grenoble, après le meurtre par balle d’un agent de propreté. « Les personnalités politiques réagissent traditionnellement aux affaires dont les faits cristallisent des tensions dans la société, qui posent des questions politiques. Les refus d’obtempérer permettent, par exemple, d’aborder les questions d’insécurité, ou encore de violences policières », explique Charlotte Buisson, doctorante en sciences de l’information et de la communication à l’université de Paris Panthéon-Assas.
Pour la chercheuse, qui s’intéresse à la médiatisation des affaires de violences sexuelles en politique, la réaction des élus aux cas de violences sexistes et sexuelles ne répond pas aux mêmes logiques. « La particularité de ces violences, c’est que ce ne sont pas des faits divers mais des faits de société, qui touchent une grande partie des femmes et des minorités sexuelles », observe Charlotte Buisson. Pour la doctorante, ce silence relève donc davantage du « malaise » : « Le monde politique n’est pas en dehors des logiques du reste de la société. Si les hommes politiques ne réagissent pas de la même façon, c’est aussi parce qu’ils font partie du problème, ils savent très bien qu’il existe dans leurs rangs des personnalités accusées de violences. »
Le procès de Mazan devrait au moins durer jusqu’à la fin du mois de décembre, le temps pour les élus de s’emparer politiquement de la question des violences sexistes et sexuelles. Parmi les sujets qui émergent de nouveau lors de l’audience, la question de la définition juridique du viol et de l’inscription du consentement dans le code pénal fait par exemple débat. Un débat qui pourrait être porté au Parlement…et pas seulement par des femmes.