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Propositions de loi LR sur l’immigration : « Vous ne pouvez pas vous dégager unilatéralement du droit européen, sinon il n’a pas de sens »

À l’occasion d’une interview croisée au JDD, Olivier Marleix (président du groupe LR à l’Assemblée nationale), Éric Ciotti (président de LR) et Bruno Retailleau (président du groupe LR au Sénat) ont livré leur vision de la réforme nécessaire en matière d’immigration. Deux textes sont envisagés pour durcir la politique migratoire et les parlementaires souhaitent modifier la constitution pour rendre ces mesures applicables. Un exercice périlleux pour le constitutionnaliste Benjamin Morel.
Henri Clavier

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Alors que le projet de loi sur l’immigration fait l’objet d’hésitations au sein de l’exécutif et a été reporté plusieurs fois, la droite décide de se saisir du sujet en présentant une proposition de loi ordinaire et une autre, constitutionnelle. La proposition de loi ordinaire vise à instaurer des quotas migratoires, couper les « pompes aspirantes », rétablir le délit pour séjour clandestin et durcir les négociations avec les Etats refusant de délivrer des laissez-passer consulaires. Des mesures déjà plus ou moins présentes dans le programme de Valérie Pécresse, candidate à l’élection présidentielle de 2022. La candidate LR avait alors eu du mal à convaincre son électorat de l’effectivité de ses propositions. Si le fond ne bouge pas vraiment, l’état-major de LR souhaite intégrer, dans l’ordre juridique français, la possibilité de déroger au droit européen et aux traités internationaux quand les intérêts fondamentaux de la nation sont en jeu. Une démarche dont les conséquences pourraient être profondes pour l’ordre juridique français. 

Elargir le champ d’application de l’article 11

Une proposition de loi constitutionnelle, présentée dans le JDD, qui trouve son origine dans la volonté de modifier l’article 11 de la Constitution afin de pouvoir consulter le corps électoral sur les questions migratoires. Pour rappel, actuellement, il existe deux moyens de réviser la Constitution : l’article 11 et l’article 89. Outre les différences de procédures applicables entre les deux articles, le champ d’application est différent. « C’est pertinent car l’article 11 restreint la possibilité de faire des référendums à l’organisation des pouvoirs publics, à la politique économique, sociale et environnementale de la Nation, ainsi qu’aux services publics qui y concourent », rappelle Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas. Si la rédaction de l’article semble sujette à interprétation, « les sujets sociétaux sont exclus de l’article 11 par la jurisprudence du Conseil constitutionnel », précise Benjamin Morel. 

Néanmoins, pour pouvoir appliquer les mesures portées par la proposition de loi que LR souhaite déposer, et inscrire à l’ordre du jour d’ici l’automne, il ne suffit pas d’étendre le champ d’application de l’article 11 de la Constitution. « Vous pouvez parler de référendums sur l’immigration, mais ça reste une proposition de loi ordinaire, donc si c’est contraire à la hiérarchie des normes les mesures ne s’appliqueront pas », analyse Benjamin Morel. Un écueil évident qui motive Les Républicains à envisager la possibilité de déroger au droit européen et aux obligations internationales.

 « L’Union européenne n’est pas un Etat, c’est avant tout un ordre juridique »

 « On a eu 29 lois sur l’immigration depuis 1980, très souvent elles sont inapplicables », affirme Benjamin Morel, reprenant ainsi le constat fait par Éric Ciotti. En effet, le droit européen et la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme posent les principes applicables en matière de droit d’asile et d’immigration. Rappelons que le droit européen prime sur le droit national en cas de conflit entre normes, à l’exception de la Constitution qui est la norme suprême.

Malgré cela, réviser la Constitution pour y introduire une dérogation au droit européen tout en affirmant vouloir continuer à participer à l’Union européenne semble irréaliste. « Vous ne pouvez-vous dégager unilatéralement du droit européen, sinon il n’aurait pas beaucoup de sens, donc ça voudrait dire que l’on rentrerait dans une lutte assez dure avec les Institutions européennes, un peu comme avec la Pologne », détaille Benjamin Morel. Par ailleurs, « si on le fait pour la France, il n’y a aucune raison que l’opting out [qui permet à un Etat membre de l’Union européenne de ne pas s’engager sur une partie des traités ou sur une compétence spécifique] ne soit pas réclamé par les autres Etats membres, donc ça ouvre un risque de divergences en fonction des compétences ce qui serait un enfer pour les institutions européennes et la Commission qui souhaitent davantage aller vers le renforcement des institutions et l’harmonisation du droit. »

En cas de dérogation « à la carte » pour les Etats membres de l’Union européenne, cela reviendrait à renoncer à l’idée même d’Union européenne puisque « l’Union européenne n’est pas un Etat, c’est avant tout un ordre juridique avec une hiérarchie qui fait que les Etats acceptent cette hiérarchie des normes, donc s’ils décident que c’est optionnel alors l’Union européenne s’écroule », explique Benjamin Morel.

 « Il y a une confusion entre procédure d’adoption et effectivité de la loi »

LR se défend pourtant de vouloir rompre avec les institutions européennes, puisque « le sujet, c’est moins les traités que l’interprétation qu’en font les juges », affirmait hier Bruno Retailleau. Néanmoins, en introduisant des notions floues comme « l’intérêt fondamental de la Nation » ou le « principe d’assimilation », la proposition de loi constitutionnelle risque de s’avérer inefficace puisque l’on ne sait pas comment le juge constitutionnel pourrait interpréter ces notions. « L’expression de « gouvernement des juges » ne désigne pas la volonté des juges de prendre le pouvoir mais plutôt l’obligation de réaliser des arbitrages entre des notions floues. Donc c’est surtout la faute du législateur, le juge ne va pas faire de déni de justice. Concernant l’inscription du principe d’assimilation dans la Constitution, l’objectif est de contraindre le législateur dans l’élaboration future des politiques publiques, mais ce genre de mesure n’a, en réalité, pas vraiment d’effet », note Benjamin Morel.

Par ailleurs, permettre de durcir le droit n’est pas suffisant pour que celui-ci soit, effectivement, plus contraignant. « Il y a une confusion entre procédure d’adoption et effectivité de la loi, ça me paraît être un aveu d’échec puisque dans le cas des obligations de quitter le territoire français, il faut un laissez-passer consulaire délivré par un Etat tiers », informe Benjamin Morel. Au-delà d’une adoption, très peu probable, un tel texte a, avant tout, une portée déclarative et programmatique comme le pointe Benjamin Morel : « C’est une proposition de loi d’affichage, ils en sont conscients ».

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