SNU: Quand le Sénat plaidait pour un report de sa généralisation
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Emmanuel Macron temporise dans la généralisation du SNU, le service national universel. Face aux lecteurs du Parisien, le chef de l’État a refusé de plaider tout de suite pour une obligation à l’ensemble d’une classe d’âge du SNU, qui fait actuellement l’objet d’une expérimentation depuis 2019. « Je ne vais pas vous dire que la rentrée prochaine, le SNU sera obligatoire. C’est une question de montée en charge progressive. Quelques départements, puis un peu plus », a précisé le président de la République. Appelant à « finaliser la concertation », il estime qu’on ne peut pas rendre le SNU obligatoire « dans tout le pays du jour au lendemain ».
Principal écueil soulevé par le locataire de l’Élysée : le « défi logistique » que représenterait une obligation étendue à l’ensemble du territoire. C’est précisément cette crainte que mettait en avant un rapport sénatorial de la commission des finances, publié le mois dernier. Dans un document intitulé « le service national universel : la généralisation introuvable », le rapporteur spécial Éric Jeansannetas (PS) a mis en évidence une série de difficultés face au projet de généralisation du SNU, objectif qui, s’il était mis en œuvre, devrait nécessiter une modification de la loi.
Des besoins importants pour l’encadrement et l’administration
La première difficulté épinglée dans la mission de contrôle sénatoriale tient d’abord aux ressources humaines, nécessaires à l’encadrement des jeunes durant les séjours de cohésion d’une durée de deux semaines. Le rapport est formel, une généralisation du SNU « sera impossible sans la mise en place d’une véritable stratégie de recrutement du personnel ». Selon le type de service national retenu par le gouvernement – sur le temps scolaire ou en dehors de celui-ci – les besoins en encadrants sont évalués entre 14 000 et près de 53 000 personnes. Quel que soit le scénario retenu, le rapport sénatorial estime que la généralisation impliquera de créer « une véritable filière » du service national universel. Cette dernière pourrait alors nécessiter « plusieurs années pour être opérationnelle ».
Les besoins humains ne s’arrêteraient pas aux seuls encadrants. Une généralisation du SNU changerait profondément l’échelle. En 2022, 32 400 jeunes ont participé à la phase expérimentale, très loin de l’effectif d’une classe d’âge, soit plus de 800 000 jeunes. Une montée en charge totale du SNU supposerait donc, selon Éric Jeansannetas, la mise en place d’une « véritable administration ». À ce titre, la commission des finances du Sénat évalue le coût de la généralisation du SNU à « vraisemblablement » plus de deux milliards d’euros. Pas une mince affaire dans une période où le ministère des finances cherche à réduire le déficit public.
Un manque criant de places d’hébergement
Autre marche de taille à franchir : l’hébergement. Là aussi, la faiblesse des capacités des centres d’accueil complique la donne sur le plan logistique dans l’immédiat. Pour le sénateur Éric Jeansannetas, le manque de places constitue une « problématique majeure » dans le projet de généralisation du SNU. C’est également ce qu’avait conclu dès le printemps 2018 le groupe de travail relatif à la création d’un service national universel, dirigé par le général Daniel Ménaouine. Les experts y voyaient la « difficulté la plus importante à surmonter pour assurer le complet déploiement du service national ».
Dans l’hypothèse d’une généralisation hors du temps scolaire, les internats scolaires seraient mis à contribution. Or, les capacités seraient deux à trois fois inférieures aux besoins pour un SNU en année pleine, selon les sénateurs. Les besoins resteraient importants même dans le cas d’une généralisation du service universel durant le temps scolaire.
Le rapport cite alors la piste d’un recours à des centres de vacances, mais il souligne que le risque est alors d’être dépendant de structures privées, entraînant une incertitude sur la disponibilité et les coûts. Selon le rapporteur, les préfectures sont en train d’identifier des centres pouvant faire l’objet d’une rénovation. Mais là encore, cette option serait difficilement compatible avec un scénario de généralisation rapide du SNU.
« De nombreuses inconnues »
Avant même une nouvelle montée en puissance du nombre de jeunes effectuant des séjours de cohésion, le rapport du Sénat relève déjà des limites dans les capacités d’hébergement. « Il a déjà été difficile de trouver suffisamment de lieux d’accueil pour les sessions de 2021 et de 2022 », relève le rapporteur, après des déplacements et plusieurs auditions.
Conséquence des difficultés soulevées, le sénateur de la Creuse a préconisé une suspension du projet de généralisation du SNU, le temps de « lever des incertitudes et d’obtenir plus d’informations ». « Le séjour de cohésion généralisé à l’ensemble d’une classe d’âge présente de nombreuses inconnues, à la fois au niveau de son coût mais aussi de sa faisabilité technique », reconnaissait-il. Au moment de la remise du rapport, il évoquait une montée en charge progressive, mais non confirmée : six départements à la rentrée 2024, dans 20 départements à la rentrée 2025 et pour l’ensemble des départements à la rentrée 2026.
En plein contestation sociale, le mois dernier, la généralisation obligatoire du SNU n’avait pas été inscrite dans le projet de loi de programmation militaire (relire notre article).