Les sénateurs ont adopté à l’unanimité, jeudi 3 avril, la proposition de loi pour « renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ». Un peu plus tard dans la journée, l’Agence France Presse relaye l’information : « Le Sénat vote pour l’introduction du contrôle coercitif dans la loi ». Et pourtant, à peu près au même moment, le quotidien L’Humanité publie un article titré exactement de façon inverse : « Le Sénat, efface la notion de contrôle coercitif de la proposition de loi sur les violences sexistes et sexuelles ». Pour comprendre cette situation pour le moins antinomique, et cette différence d’appréciation, il convient de se replonger dans les débats qui ont agité la Chambre haute jeudi après-midi.
Cette proposition de loi, proposée dans la foulée de l’affaire des viols de Mazan par l’ex-députée Aurore Bergé, porte une réforme des délais de prescription mais entend également mieux armer notre corpus législatif contre certains agissements. Une large part de la discussion publique s’est ainsi cristallisée autour de la création d’une infraction de contrôle coercitif. Les sénateurs ont très largement modifié ce segment, afin d’éviter de nombreux écueils juridiques, mais tout en essayant d’en conserver l’esprit. Explications.
Une notion ancienne
Fin janvier, les députés ont tenu à faire rentrer dans la proposition de loi cette notion développée dans les années 1970, mais théorisée pour la première fois par le sociologue américain Evan Stark en 2007. Le contrôle coercitif a fait son apparition dans la jurisprudence française en 2024, avec plusieurs arrêts prononcés par la cour d’appel de Poitiers en matière de violences conjugales.
Angleterre, Pays de Galles, Ecosse, Belgique… plusieurs pays européens l’ont déjà intégré à leur législation depuis une dizaine d’années. « Ça n’est pas un sujet facile, nous ne sommes pas au bout de ce travail mais il est important que le Parlement en France, après d’autres parlements qui se sont inscrits dans ce mouvement, commence sérieusement à articuler dans le droit les différents mécanismes qui permettent aux hommes de continuer à dominer les femmes », a estimé la sénatrice écologiste Mélanie Vogel durant les débats au Sénat.
« Le contrôle coercitif se distingue par une dynamique de domination et de contrôle, où un partenaire exerce un pouvoir sur l’autre. Les caractéristiques principales du contrôle coercitif incluent la restriction de l’autonomie et de la liberté de l’autre partenaire », écrit le Centre national de ressources et de résiliences. Ce terme désigne donc un ensemble de comportements, affectifs et psychologiques, qui vont permette à un individu de placer son conjoint sous son emprise : contrôle des comptes bancaires, mise sous surveillance des activités de l’autre par la multiplication des appels et des messages au fil de la journée, etc.
« Les violences conjugales ne commencent jamais par des coups. Les femmes ne sont pas stupides, si on levait la main sur elles dès le premier jour, elles partiraient en courant. Non, la mécanique est plus insidieuse et implacable, le contrôle coercitif est une stratégie d’anéantissement, un poison qui s’infiltre lentement dans l’existence presque subrepticement », a expliqué depuis la tribune du Sénat Aurore Berger, désormais ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes. « Il commence par une domination qui revêt les habits de l’amour, une attention qui se mue en surveillance, un intérêt qui devient flicage. »
Une définition complexe
À l’Assemblée nationale, les députés en ont fait une infraction pénale à part entière, punie de trois ans de prison et de 45 000 euros d’amende, pouvant monter à cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende, en fonction de certaines circonstances aggravantes. Selon la définition retenue par le Palais Bourbon, le contrôle coercitif correspond à « des propos ou comportements répétés ou multiples portant atteinte aux droits et libertés fondamentaux de la victime, ou instaurant chez elle un état de peur ou de contrainte dû à la crainte d’actes exercés directement ou indirectement sur elle-même ou sur autrui, que ces actes soient physiques, psychologiques, économiques, judiciaires, sociaux, administratifs, numériques ou de toute autre mesure ».
Mais les députés ont aussi reconnu la fragilité de cette définition, élaborée après d’âpres débats : « À ce stade, on a un consensus, mais nous ne sommes pas sûrs que les formulations que l’on propose ne vont pas limiter des droits qui existent déjà », a relevé la députée écologiste Sandra Regol.
Renforcer l’infraction de harcèlement sur conjoint
Le dispositif n’a pas survécu à la moulinette sénatoriale, avec sa suppression dès l’examen en commission. En séance, certains élus ont plaidé pour sa réintégration, comme l’écologiste Mélanie Vogel, tout en ayant « parfaitement conscience des différentes difficultés posées par le texte ». Les rapporteurs ont notamment pointé la fragilité constitutionnelle de la version élaborée par les députés, brassant des notions qui n’ont pas vraiment d’existence juridique, comme « la peur » ou « la crainte ».
« La rédaction retenue par les députés comporte des éléments contradictoires entre eux », a relevé la rapporteure LR Elsa Schalk. « On voit bien la difficulté d’inscrire dans la loi ce qui est, à l’origine, un concept sociologique ». Elle a également évoqué les effets de bord d’une définition trop bavarde. « Le mieux est parfois l’esprit du bien, et à trop vouloir préciser la loi, on obtient parfois l’effet inverse de ce qui est recherché. »
À l’arrivée, le terme « contrôle coercitif » a été purement et simplement effacé du texte, et les sénateurs ont opté pour le renforcement d’une infraction qui existe déjà, celle de « harcèlement sur conjoint ». Ils y ont introduit de nouveaux éléments, constitutifs d’une attitude coercitive, notamment « les comportements répétés ayant pour objet de restreindre gravement la liberté d’aller et venir de la victime ». Mais aussi les « menaces ou pressions psychologiques, économiques ou financières. »
La ministre s’est montrée satisfaite par cette nouvelle version, dont la rapporteure Elsa Schalk a estimé qu’elle suffisait à « faire rentrer dans notre législation le contrôle coercitif » sans le nommer. Pour autant le texte n’est pas encore stabilisé, puisque la navette parlementaire va suivre son cours. Après avoir été largement modifiée par la Chambre haute, la proposition de loi va faire l’objet d’une nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, où il est possible que les députés cherchent à réintroduire une infraction autonome.