Rapport Sauvé sur la Pédophilie : « Le Sénat aurait pu s’honorer de lancer une commission d’enquête », regrette Patrick Kanner

Rapport Sauvé sur la Pédophilie : « Le Sénat aurait pu s’honorer de lancer une commission d’enquête », regrette Patrick Kanner

Face aux conclusions du rapport Sauvé sur la pédophilie dans l’Eglise, la sénatrice LR Catherine Deroche pointe des « chiffres impressionnants » avec 330.000 personnes concernées. Mais les sénateurs PS accusent la droite d’avoir enterré leur demande de commission d’enquête sur le sujet. « C’était scandaleux », selon Marie-Pierre de la Gontrie, « la droite sénatoriale a manqué à sa propre responsabilité ».
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Au moins 330.000 victimes d’abus sexuels au sein de l’Eglise depuis 1950. Ce sont les conclusions accablantes de la commission d’enquête indépendante, menée par Jean-Marc Sauvé, qui vient de remettre son rapport sur l’ampleur de la pédocriminalité au sein de l’institution. Une mission commandée par l’Eglise elle-même.

Ce « phénomène massif », couvert pendant des décennies, concerne 216.000 mineurs victimes de prêtres, diacres et religieux. En ajoutant les personnes agressées par des laïcs au sein des institutions de l’Eglise, le nombre passe à 330.000. Effarant. Ces chiffres résultent d’une estimation statistique comprenant une marge de plus ou moins 50.000 personnes. « Ces nombres sont bien plus que préoccupants, ils sont accablants et ne peuvent en aucun cas rester sans suite » pour Jean-Marc Sauvé. Face à ce terrible constat, l’ancien vice-président du Conseil d’Etat appelle l’Eglise catholique à reconnaître sa « responsabilité ». Après la présentation du rapport, le pape François a exprimé son « immense chagrin » face à l'« effroyable réalité » dévoilée.

Au Sénat, comme ailleurs, ces chiffres font fortement réagir. D’autant que la Haute assemblée avait travaillé en 2018 sur la pédophilie. Les sénateurs PS avaient d’abord demandé une commission d’enquête sur l’ampleur du phénomène dans l’Eglise. Refus de la majorité sénatoriale. C’est à la place une mission d’information, aux prérogatives plus limitées, qui voit le jour. Ses travaux n’étaient pas centrés sur la sphère de l’Eglise. Ils couvraient les actes de l’ensemble « des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l’exercice de leur métier ou de leurs fonctions ».

« Un phénomène un peu systémique »

L’ancienne présidente de cette commission d’enquête, la sénatrice LR Catherine Deroche, salue ce mardi « le travail considérable » du rapport Sauvé. « Les chiffres sont en effet impressionnants, c’était un phénomène un peu systémique, qu’on avait mis en évidence dans le rapport », souligne celle qui est aussi présidente de la commission des affaires sociales du Sénat. « Il y a eu cette écoute des victimes qui se sont très longtemps senties méprisées », ajoute la sénatrice. Regardez (images Quentin Calmet) :

Reste que trois ans après, le choix de ne pas mener une commission d’enquête ne lui paraît-elle pas comme une occasion manquée ? « Non, car la commission d’enquête, ce n’était pas possible, car il y avait le procès Barbarin, qui était en cours, qui portait sur le même sujet. On ne pouvait pas faire de commission d’enquête, ce n’était pas recevable », répond Catherine Deroche. C’était l’argument de la commission des lois, à l’époque.

Pour la sénatrice du Maine-et-Loire, l’ouverture de la mission d’information à d’autres domaines était justifiée. A ses yeux, plus que l’institution, en l’occurrence l’Eglise ici, ce sont les victimes qui comptent davantage. Une position qui peut amener à alléger le rôle de l’Eglise, en le replaçant dans le contexte global des actes pédophiles dans la société. « On a eu raison de nous intéresser aux autres institutions. Certes, la commission Sauvé montre que c’est un peu plus prégnant dans l’Eglise que dans d’autres institutions. Mais une victime, c’est une victime, qu’elle ait été agressée par un coach sportif ou un professeur de musique. C’est vrai que l’Eglise, c’est un peu particulier, avec ce visage sacré de ce qu’est le prêtre par rapport à l’enfant. Mais c’était toujours un enfant abusé par quelqu’un qui a profité de son autorité pour commettre des actes absolument innommables », soutient Catherine Deroche.

« Ce rapport fera date »

Pour la sénatrice UDI Dominique Vérien, l’une des co-rapporteure de la mission d’information, « la remise de ce rapport fera date. Soit parce qu’il sera suivi d’effets. Et ce sera une véritable révolution, plus encore qu’une évolution, dans l’Eglise catholique. Soit il ne sera pas suivi d’effets et ce sera une véritable déflagration ». La sénatrice de l’Yonne ajoute :

Nous savions qu’il y avait des victimes. A ce niveau-là, peut-être pas. Cela démontre un côté systémique et des biais dans l’Eglise qu’on n’a pas dans la société.

En revanche, la centriste ne « regrette pas » l’absence de commission d’enquête au Sénat. « Ils ont fait des choses que nous n’aurions pu faire. Nous contrôlons les politiques publiques et nous ne pouvons pas contrôler l’Eglise, alors que la mission Sauvé avait pour mission de pouvoir contrôler ce qui s’était passé dans l’Eglise ».

« Les chiffres sont effarants »

A gauche, on n’est vraiment pas du même avis. Les socialistes regrettent vertement la décision de la droite, il y a trois ans. « On a bien senti, quand on s’est battu pour une commission d’enquête, qu’il y avait une opposition de la droite sénatoriale, au regard du statut de l’Eglise finalement, dans l’histoire de notre pays, et peut-être des liens personnels des uns et des autres, que je respecte », réagit Patrick Kanner, patron des sénateurs PS.

L’ancien ministre pense que son groupe avait « raison de demander cette commission, au regard du drame des conclusions du rapport Sauvé. Les chiffres sont effarants ». Patrick Kanner ajoute : « Le Sénat aurait pu s’honorer de lancer cette commission d’enquête au moment où nous l’avions réclamé, en lien avec des catholiques militants de Témoignage chrétien ». Selon le président du groupe PS, la mission d’information, avec son spectre plus large, a eu pour conséquence de « noyer la question de la pédocriminalité dans l’Eglise dans une masse d’affaires ».

« Déni »

Sa collègue socialiste, Marie-Pierre de la Gontrie, qui avait poussé à l’époque en faveur de la commission d’enquête, est encore plus dure. Elle rappelle le contexte : « On avait demandé cette commission d’enquête via notre droit de tirage (possibilité chaque année pour un chaque groupe d’obtenir une commission d’enquête, ndlr), que la droite nous a refusé. La recevabilité passe en commission des lois. Et son ancien président, Philippe Bas, l’a jugé irrecevable, évoquant de possibles procédures judiciaires en cours. Mais il suffisait de les mettre de côté. Je ne sais pas si c’est très courant qu’une commission d’enquête soit refusée », s’étonne encore la sénatrice PS de Paris. « Pour sortir de cette difficulté, ils ont proposé une mission d’information. L’idée était que le mal était dans beaucoup d’institutions. Mais le rapport Sauvé montre que c’est beaucoup plus massif dans l’Eglise, après la famille ou le cercle amical ».

Aujourd’hui, Marie-Pierre de la Gontrie dénonce fermement la décision de la commission des lois. « C’était scandaleux. Alors que c’était un droit absolu d’un groupe politique. Je pense que ça participait encore du déni, c’est-à-dire comment faire en sorte de ne pas pointer du doigt l’Eglise catholique », lance la socialiste. Elle ajoute :

Les sénateurs de droite ont choisi de fermer les yeux et de prétendre que le phénomène était grave mais général, et qu’il fallait s’occuper autant des colonies de vacances que de l’Eglise. La droite sénatoriale a manqué à sa propre responsabilité.

« L’Eglise est mise au pied du mur »

Sur le fond, la question maintenant, « c’est que va faire l’Eglise ? » demande Marie-Pierre de la Gontrie, « elle est mise au pied du mur ». « Ça vient interroger l’Eglise », confirme la centriste Dominique Verien, « c’est vraiment un constat et une responsabilité de l’Eglise sur la façon dont elle exerce sa gouvernance. Et sur la façon dont elle doit s’organiser ».

 

Lire aussi sur le sujet :

[Pédophilie : que prévoit la loi récente sur les crimes sexuels sur mineurs ?]

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