Le sujet n’est pas nouveau. Mais un rapport commandé par le gouvernement sur « l’islamisme politique et la mouvance des Frères musulmans » vient décrire précisément la situation sur cette mouvance qui cherche à influencer la société. « Cet entrisme islamiste est une menace pour la République et notre cohésion nationale », a estimé ce mardi matin le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau.
Pour la sénatrice centriste de l’Orne, Nathalie Goulet, qui avait été corapporteure d’un rapport du Sénat, en 2016, intitulé « de l’Islam en France à un Islam de France, établir la transparence et lever les ambiguïtés », le rapport du gouvernement, révélé par Le Figaro, ne constitue en rien une surprise.
S’« il ne faut pas instrumentaliser le rapport », la sénatrice estime qu’« il faut le prendre comme une cote d’alerte par rapport à un mouvement extrêmement sournois et extrêmement présent dans toutes les strates de la société ». « On n’est plus dans le phantasme d’une cinquième colonne, elle est là, elle est avérée », insiste Nathalie Goulet, auteure par ailleurs du livre « L’Argent du terrorisme » (Ed. Cherche Midi). Entretien.
Un rapport remis au ministre de l’Intérieur décrit une présence importante des Frères musulmans sur le territoire, avec 139 lieux de culte affiliés. Vous qui avez travaillé sur le sujet, êtes-vous surprise ?
Non pas du tout. Je suis surprise qu’on s’en soit occupé si tard. Dans le rapport que j’ai fait avec André Reichardt (sénateur apparenté LR, ndlr), en 2016, cela n’avait pas été évoqué en ces termes, mais en termes de désorganisation de l’Islam en France. Depuis, on n’a pas arrêté d’alerter. Que ce soit sur la formation des imams, l’entrisme des Frères musulmans. Je dois être à douze questions d’actualité au gouvernement sur le sujet et je ne sais pas combien de questions orales, plus des propositions qui n’ont pas été prises en compte, notamment pour inclure le contrôle du financement des parts de SCI, qu’on m’a retoqué vertement, lors de la loi sur les principes de la République. Or ce sujet est dans le rapport… Donc 1/je ne suis pas surprise, 2/ il est temps, 3/ merci Darmanin, qui a demandé le rapport, 4/ on attend des mesures fortes. Il ne faut pas tomber dans le fantasme, sans avoir des éléments. Or là, on est sorti du fantasme car on a la réalité du rapport, fait par un fin connaisseur du monde arabe et un préfet.
La porte-parole du gouvernement, Sophie Primas parle d’« une prise de conscience » face à « la réalité du danger ». Elle vous semble nécessaire ?
Oui, on alerte depuis des années. Il a fallu je ne sais pas combien de temps pour que Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe, tape du poing sur la table sur les subventions européennes à l’islam radical. On a toujours un temps de retard et pendant ce temps-là, l’entrisme gagne. Car la situation est bien pire qu’il y a 5 ans : tout ce que véhiculent les Frères musulmans en termes d’entrisme, de séparatisme, d’antisémitisme, tous ces germes de remise en cause de l’Etat de droit. On voit le nombre d’attaques de la laïcité, une police des mœurs, on a vu l’assassinat d’un jeune homme qui buvait pendant le ramadan, l’installation de salles de prière dans les écoles ou l’instauration de code vestimentaire dans le sport. Tout ça a explosé, et encore plus depuis le 7 octobre. C’est un mouvement de sape de la République. Et c’est un mouvement de fond, qui est très malin, très sournois et qui fonctionne très bien.
Le rapport souligne que seulement 7 % des 2800 lieux de culte musulmans sont liés aux Frères musulmans. N’y a-t-il pas un risque de grossir un phénomène qui reste malgré tout relativement limité ?
Mais de toute façon, la propagation ne se fait pas dans les mosquées. Elle se fait dans le milieu associatif, dans le milieu sportif. Car tout le monde sait que les mosquées sont surveillées. Après, il ne faut pas instrumentaliser le rapport. Il faut le prendre comme une cote d’alerte par rapport à un mouvement extrêmement sournois et extrêmement présent dans toutes les strates de la société. Et il faut revoir impérativement le financement d’un certain nombre d’associations et vérifier que tout ça est conforme aux principes de la République, comme aux valeurs de l’Europe, par rapport aux financements européens. On ne peut pas se permettre de financer nos ennemis. Il faut raison garder, mais c’est une minorité très agissante. C’est un islam politique.
Vingt-et-un établissements scolaires privés sont liés à la mouvance frériste, selon le rapport. C’est aussi une voie d’influence pour les Frères musulmans ?
Oui, dans notre rapport de 2016, on l’expliquait. Ce sujet explique aussi, à leurs yeux, une inégalité de traitement des musulmans. Ils disent qu’il y a des écoles catholiques, juives et qu’eux, on ne leur laisse pas avoir d’école. Un discours qui justifie une victimisation et apporte de l’eau à leur moulin. Donc oui, c’est un secteur d’influence.
Le rapport parle aussi de « dynamisme de la prédiction 2.0 ». Quel rôle jouent les influenceurs ici ?
Un rôle important, et avec l’intelligence artificielle, qui en plus rend les choses encore plus dangereuses. Quand vous tapez chat GPT et Frères musulmans, en gros, selon la réponse, ce sont des petits chanteurs à la croix de bois. Manifestement beaucoup de données considèrent que les Frères musulmans sont des gens fréquentables. Ça biaise. Il y a aussi la déformation du discours officiel, les photos truquées. Il y a un rapport effrayant du MIT qui disait que les gens sont plus enclins à croire les fake news que les vraies.
Maintenant, il faut absolument associer les musulmans de France au combat contre les extrémistes. Tout ce qui était dans notre rapport sur l’organisation de l’islam de France reste d’hyperactualité. Désormais la partie est réglementaire ou sécuritaire.
Vous pointez le financement de l’islam politique par l’Union européenne. Pourquoi ?
Car ils financent n’importe quoi dans des conditions anormales et au nom de la diversité. Les montants sont astronomiques. J’espère qu’on arrivera à stopper ces financements. Benjamin Haddad a tapé du poing sur la table. On n’est plus dans le fantasme d’une cinquième colonne, elle est là, elle est avérée.
On a plusieurs pays amis qui ont banni les Frères musulmans, regardez la Jordanie, mais nous, on ne peut pas le faire, car ils ne sont pas organisés. On ne peut pas les interdire en tant que tels mais il faut couper leurs financements. Et réunir les différentes communautés musulmanes et voir comment agir contre l’extrémisme. Car ce sont les premières victimes, ils sont pris en otage. Et après, il faut des mesures diplomatiques contre certains de nos partenaires, qui sont des pompiers pyromanes. Ils se reconnaîtront.