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Recours à la reconnaissance faciale par la police : « Une affaire très grave », selon la socialiste Sylvie Robert

Selon les révélations de Disclose, les forces de l’ordre utiliseraient depuis 2015 un logiciel de reconnaissance faciale, alors que la loi ne le permet pas. La Commission nationale de l’informatique et des libertés a annoncé lancer « une procédure de contrôle vis-à-vis du ministère de l’Intérieur ». Au Sénat, la droite soutient le principe. La gauche dénonce la situation, alors que Gérard Darmanin s’était dit il y a un an « opposé à la reconnaissance faciale ».
François Vignal

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« On est tous pris pour des idiots ». Ce parlementaire reste poli, mais sa colère est certaine. Les révélations de Disclose sur le recours par les forces de l’ordre de la reconnaissance faciale, depuis 2015, en dehors de tout cadre légal, fait un peu l’effet d’une bombe sur la question des libertés publiques. Le média d’investigation en ligne a révélé mardi 14 novembre que la police a acquis « en secret un logiciel d’analyse d’images de vidéosurveillance de la société israélienne Briefcam » qui permet d’utiliser cette technique polémique.

Le recours au logiciel a été mis en place en 2015, donc sous François Hollande, quand Bernard Cazeneuve était ministre de l’Intérieur, pour être d’abord expérimenté en Seine-et-Marne. En 2017, l’expérimentation est étendue au Rhône, au Nord, aux Alpes-Maritimes et la Haute-Garonne, ainsi que pour « le service interministériel d’assistance technique (SIAT), une unité de police en charge des infiltrations, de la mise sur écoute et de la surveillance de la grande criminalité », précise Disclose, qui ajoute que « dans la foulée, ce sont les services de la police judiciaire, les préfectures de police de Paris et Marseille, la sûreté publique et la gendarmerie nationale qui vont être dotés du logiciel de Briefcam sur des ordinateurs dédiés ». Bref, beaucoup de monde, le tout en dehors de tout cadre légal, sans étude d’impact, ni information auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), autorité administrative indépendante chargée des questions relatives aux données personnelles. « La reconnaissance faciale de Briefcam serait activement utilisée. Sans contrôle ni réquisition judiciaire », explique le site.

« Je suis opposé à la reconnaissance faciale », affirmait Gérald Darmanin en septembre 2022

Des révélations d’autant plus étonnantes, que le ministre de l’Intérieur, Gérard Darmanin, s’est personnellement dit opposé à la reconnaissance faciale ces derniers mois. Il l’a dit à deux reprises au Sénat. D’abord, et très clairement, lors de son audition sur le texte sur la sécurité intérieure, en septembre 2022. « Je suis opposé à la reconnaissance faciale, […] et il faut aussi qu’on le dise dans le droit français. Qu’est-ce qu’on veut faire avec l’image ? […] Je crois qu’on peut trouver un compromis, qui sera forcément difficile, parce qu’il s’agit de regarder liberté et sécurité », affirmait le ministre. Regardez :

Rebelote lors de son audition pour l’examen du texte sur les Jeux olympiques, qui a autorisé l’expérimentation de la vidéo surveillance automatisée par algorithme. « Pour un événement olympique, comme pour tout événement, je ne suis pas sûr qu’il faille la reconnaissance faciale. Après, ça pose la question de quel type de société on veut. Il faut aussi accepter une part de risque – l’endroit où il n’y a aucun risque, ce n’est pas très rassurant d’un point de vue démocratique. On peut avoir ce débat, mais sur la reconnaissance faciale, je ne suis pas sûr qu’on ait aujourd’hui les moyens de garantir que demain, elle ne soit pas utilisée autrement », cadrait le locataire de la Place Beauvau, en octobre 2022. Regardez :

Sollicité, le cabinet du ministre n’a pas répondu à nos questions, tout comme Gérard Darmanin, que nous avons interpellé sur le sujet ce mercredi, en marge des questions d’actualités au gouvernement, au Sénat.

Lors des débats en séance sur le texte JO, la ligne du gouvernement était la même. « En suivant à la lettre les recommandations de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, nous avons défini une ligne claire : nous ne voulons pas de la reconnaissance faciale », assurait la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra. Sa collègue, la secrétaire d’Etat, Sonia Backès, mettait les points sur les i en assurant – et on était prié de la croire – qu’« il n’est pas question pour le gouvernement de s’engager sur la quatrième catégorie, souvent citée en exemple : la reconnaissance faciale ».

« La CNIL initie une procédure de contrôle »

La Commission nationale de l’informatique et des libertés n’a pas tardé à réagir. Au lendemain de ces révélations, « la CNIL initie une procédure de contrôle vis-à-vis du ministère de l’Intérieur suite à la publication d’une enquête journalistique informant d’une possible utilisation par la police nationale d’un logiciel de vidéosurveillance édité par #BriefCam », annonce l’autorité sur X (ex-Twitter).

La Quadrature du net, une association de défense des droits et libertés sur Internet, a dénoncé quant à elle dans un communiqué « des faits passibles du droit pénal ». L’association rappelle que le Code pénal stipule que « le fait de collecter des données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende ».

« Il n’y a pas de dispositif légal qui autorise la mise en place de ce dispositif de reconnaissance faciale à grande échelle »

A gauche, c’est peu dire que ces informations passent passe mal. « C’est une affaire que je qualifie de très grave, si ça s’avère exact », réagit la vice-présidente PS du Sénat, Sylvie Robert, l’une des parlementaires membre de la Cnil, qui s’émeut du sort fait, au passage, à la représentation nationale :

 Il y a une question de confiance. Le ministre de l’Intérieur nous aurait menti. Ce n’est pas rien. 

Sylvie Robert, sénatrice PS d'Ille-et-Vilaine et membre de la Cnil.

« Il y a eu une expérimentation en 2015. Et 2 ans après, il n’y a eu ni évaluation, ni étude d’impact avant de généraliser en 2017. Et aucune consultation de la Cnil pour l’étendre à une autre échelle », s’émeut la sénatrice, qui a eu au téléphone la présidente de la Cnil, Marie-Laure Denis. « Le contrôle lancé est une procédure spécifique pour à un moment vérifier si, effectivement, il y a eu utilisation depuis 2015 de ce logiciel qui utilise des données biométriques, sans cadre légal ». « Il peut y avoir une expérimentation sur une ville demandée, je pense à la ville de Nice par exemple, mais là, il n’y a pas de dispositif légal qui autorise la mise en place de ce dispositif de reconnaissance faciale à grande échelle », alerte encore Sylvie Robert. Dans un communiqué, son groupe demande l’audition de Gérald Darmanin par la Haute assemblée.

Reste que des bruits circulaient, selon le sénateur EELV, Thomas Dossus. Mais ils n’allaient pas jusque-là. « Ce qu’on savait, et Gérald Darmanin l’avait reconnu dans une audition, c’est que des mairies utilisaient déjà des logiciels de surveillance algorithmique, non déclarés à la Cnil. Mais on ne savait pas à quel point, que ça faisait de la reconnaissance faciale », souligne le sénateur du Rhône. « On devient très border. Mais ce qui devient dramatique, c’est qu’ils sont conscients des risques juridiques. Ils savent que ce n’est pas légal. Je vais faire une question écrite et une saisine de la Cnil », annonce Thomas Dossus, qui ajoute :

 Quand le ministre de l’Intérieur ne respecte pas lui-même les règles de protection de vie privée des citoyens, c’est un vrai problème. On vote des lignes rouges qui, visiblement, ne servent à rien. 

Thomas Dossus, sénateur EELV du Rhône.

« Sous les radars, dans des salles obscures et à l’abri du regard des parlementaires »

« Nous sommes perplexes, inquiets et agacés », ajoute de son côté le socialiste Jérôme Durain, co auteur d’un rapport, avec le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse et l’ex-sénateur centriste, Arnaud de Belenet, qui se prononçait pour le recours à la reconnaissance faciale de manière limitée et encadrée.

« Pour le rapport, on a quand même travaillé avec l’ensemble des services de l’Etat, la justice, l’Intérieur. C’est particulièrement surprenant. On se dit, à quoi on sert ? Ce n’est pas la peine qu’on s’échine à trouver des solutions si tout cela se fait sous les radars, dans des salles obscures et à l’abri du regard des parlementaires », pointe du doigt Jérôme Durain. « Il faut comprendre comment un outil aussi puissant, intrusif, et porteur de risques pour les libertés publiques, puisse être utilisé sans contrôle », s’étonne encore le sénateur PS de Saône-et-Loire, qui appelle Gérald Darmanin à « faire le ménage et à vérifier tout ça ».

PPL du sénateur LR Marc-Philippe Daubresse autorisant la reconnaissance faciale, déjà adoptée par le Sénat

« Défenseur de la reconnaissance faciale », le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse ne souhaite pas, pour sa part, commenter les révélations de Disclose. Il rappelle en revanche que le rapport, qu’il a co-signé, préconisait « d’abord, par principe, d’interdire la reconnaissance faciale. Puis on listait les exceptions très encadrées dans lesquelles on pouvait le faire. Et on expliquait que pour les événements sportifs exceptionnels, ou si un risque terroriste était signalé, on pourrait l’expérimenter. Et on mettait la Cnil comme gendarme de cette expérimentation ».

Le rapport s’est traduit par une proposition de loi, adoptée en juin par le Sénat, mais qui n’a pas été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée. « Aujourd’hui, la loi interdit la reconnaissance faciale, c’est clair. Le Sénat a adopté ma PPL, déposée avec Arnaud de Belenet, qui donne un cadre juridique en confirmant l’interdiction de principe et l’autorise à titre exceptionnel », explique l’ancien ministre, qui assure qu’« on a mis ceinture et bretelle dans la loi, avec un rôle de gendarme de la Cnil et un contrôle très renforcé du Parlement ». Jérôme Durain n’a lui pas suivi sur la proposition de loi. S’il acceptait l’idée d’encadrer la reconnaissance faciale dans le rapport, dans une logique « plus défensive, si ça arrivait pour les JO », le sénateur PS a estimé que « la PPL était un encouragement à son utilisation. Je me suis désolidarisé, car j’ai estimé que c’était imprudent, que le contexte avait changé ».

« On sent que l’opinion publique n’est pas prête », souligne Agnès Canayer

Rapporteure au Sénat du projet de loi sur les JO de Paris 2024, la sénatrice (rattachée LR), Agnès Canayer, n’a pas d’opposition de principe sur ce sujet sensible. « On avait écarté d’entrée de jeu la reconnaissance faciale du texte, non pas parce qu’on pense que c’est un sujet qui ne doit en aucun cas apparaître, mais car on sent que l’opinion publique n’est pas prête, notamment pour les JO », rappelle-t-elle. « Cependant, nous pensons que particulièrement encadrée, l’identification via le visage peut, sous certaines exceptions, être envisagée. Je ne suis pas totalement opposée à ces techniques de reconnaissance faciale », soutient Agnès Canayer, dans la lignée de la PPL Daubresse. La sénatrice de Seine-Maritime ajoute :

 Il ne faut pas rejeter la reconnaissance faciale d’un coup de revers de main, admettre la possibilité d’y recourir, mais à condition que ce soit très limité. 

Agnès Canayer, sénatrice (rattachée LR) de Seine-Maritime.

Agnès Canayer reconnaît qu’« effectivement », le recours par les forces de l’ordre de la reconnaissance faciale depuis 2015 peut interroger. Mais elle souligne qu’« en droit, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de cadre qui autorise, qu’il y en a un qui interdit. C’est le problème des vides juridiques. S’il y a une expérimentation, c’est qu’au départ, ce n’est pas interdit ». La vidéo augmentée a cependant fait l’objet d’un cadre juridique, dans le texte de loi, pour l’autoriser jusqu’en 2025. La sénatrice note également que « dans le TAJ, le traitement des antécédents judiciaires, les enquêteurs peuvent déjà utiliser la reconnaissance faciale a posteriori, et pour mettre en connexion des photos et un fichier biométrique pour « matcher », et savoir si la personne sur la photo correspond bien ».

« On va demander à la commission des lois de regarder d’un peu plus près l’utilisation de cette reconnaissance faciale »

Reste que l’épisode pourrait avoir des suites. « On va demander à la commission des lois de regarder d’un peu plus près l’utilisation de cette reconnaissance faciale », affirme Agnès Canayer, qui ajoute au passage que sur la sécurisation des JO, « nous allons lancer, avec la socialiste Marie-Pierre de la Gontrie, une mission pour voir l’effectivité de la mise en œuvre de ces dispositifs ».

Il faut maintenant attendre l’éventuelle réponse du ministre et les résultats du contrôle de la Cnil. A moins que le gouvernement ne décide de légaliser a posteriori – comme on l’a vu sur le recours aux drones pour surveiller les manifestations – le recours à la reconnaissance faciale. « Pourquoi ne pas la tester pendant deux ou trois ans, localement ? », a demandé mardi, dans un entretien à Paris Match, Olivier Véran, porte-parole du gouvernement et ministre chargé du Renouveau démocratique. Ce qui permettrait de l’« évaluer avec des écoles de sciences sociales, (de) mesurer l’impact sur les libertés, les mouvements de foule, l’insécurité ». En France, on a des caméras, et on a des idées pour les utiliser.

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