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Rendez-vous médicaux non honorés : plusieurs dispositifs de sanction déjà envisagés par le Sénat

Emmanuel Macron a redit son souhait de « sanctionner » les patients qui ne se présentent pas à leurs rendez-vous médicaux, dans un contexte où l’accès aux soins connait de fortes tensions sur l’ensemble du territoire. La Haute Assemblée a déjà fait plusieurs propositions en la matière. Mais pour les élus interrogés par Public Sénat, l’annonce du chef de l’Etat, goutte d’eau dans un océan de difficultés, se télescope au règlement arbitral rendu ce lundi sur l’augmentation du tarif de la consultation médicale, loin des revendications des syndicats.
Romain David

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Dans le milieu médical, on les appelle les « rendez-vous lapins ». Emmanuel Macron entend s’attaquer à la problématique des rendez-vous médicaux non honorés. « Il faut responsabiliser mieux les patients : ceux qui ne viennent pas aux rendez-vous, on va un peu les sanctionner », a annoncé le président de la République dans l’entretien fleuve qu’il a accordé au Parisien, publié dimanche 23 avril. Rien de véritablement nouveau en vérité, dans la mesure où ces propos, sans présenter de mesure concrète, font écho à ceux qu’il avait déjà tenus lors de ses vœux aux soignants, le 6 janvier, dans un hôpital de l’Essonne. « Trop de temps médical est gaspillé par un excès d’imprévoyance, de la désinvolture, avec en particulier des rendez-vous non honorés. Et pour supprimer cette perte sèche de temps médical, là aussi sera engagé un temps de travail avec l’Assurance maladie pour responsabiliser les patients lorsqu’un rendez-vous ou plusieurs ne sont pas honorés, ou lorsqu’il y a un recours abusif à des soins non programmés », avait-il déclaré.

Selon les syndicats de médecins : 28 millions de rendez-vous pris ne seraient pas honorés chaque année, soit en moyenne deux par jour et par praticien. Des chiffres que l’Assurance maladie invite à considérer avec prudence, la Caisse nationale de l’Assurance Maladie (Cnam) parle plutôt de 3 à 4 % des rendez-vous pris pour lesquels le patient ne se présente jamais. Dans une étude réalisée à l’échelle départementale, le Conseil de l’ordre des médecins du Nord évoque trois semaines de rendez-vous médicaux perdus par an sur ce territoire à cause des « lapins ». Face à la pénurie de soignants, et alors que le phénomène des déserts médicaux s’étend désormais à la majorité du territoire national, des propositions ont déjà été formulées, par le Sénat notamment, pour s’attaquer à ce problème mais laissées de côté pour l’heure.

Indemniser les médecins

Dernière tentative en date avec la proposition de loi dite « Rist », issue des rangs de l’Assemblée nationale et visant à améliorer l’accès au soin. Lors de son examen à la Chambre haute, le texte s’est vu augmenter d’un article additionnel consacré à cette question. Portée par la rapporteure du texte Corinne Imbert (apparentée LR) et la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, Élisabeth Doineau (Union centriste), cet ajout accordait à la convention médicale la possibilité de déterminer les modalités et les conditions d’indemnisation des médecins au titre des rendez-vous non honorés. Quant au dispositif envisagé, la rapporteur Corinne Imbert avait évoqué la possibilité d’une ponction, équivalente à l’indemnité du médecin, par la Cnam sur les remboursements ultérieurs du patient pour d’autres prestations.

« Il y a un vrai sujet sur les rendez-vous médicaux non honorés. Quand on sait à quel point le temps médical est devenu précieux, il nous paraissait important d’aborder cette question », explique à Public Sénat la sénatrice Corinne Imbert. Lors des débats dans l’hémicycle, la gauche sénatoriale s’est montrée relativement sceptique sur la nécessité d’une sanction. Adopté grâce au soutien de la majorité sénatoriale de droite et du centre, le dispositif a fait long feu durant la commission mixte paritaire (CMP) qui a permis aux deux chambres, le 6 avril dernier, de trouver un compromis autour de la proposition de loi Rist. « Les négociations pluriannuelles entre les médecins et la Sécurité sociale venaient d’échouer, ce qui a tué le dispositif imaginé. L’article a donc été retiré », explique Corinne Imbert. « Mais la députée Stéphanie Rist, à l’origine de la proposition de loi, et même le ministre François Braun ont reconnu qu’il y avait bien un sujet. »

Un premier paiement lors de la prise de rendez-vous

Le 15 février dernier, lors d’une séance de questions d’actualité, la sénatrice LR Chantal Deseyne avait interpellé Agnès Firmin le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la Santé et de la Prévention, chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé, en proposant un autre mécanisme, celui d’une facturation dès la prise de rendez-vous en ligne pour « dissuader de ces incivilités ». Une manière aussi de contourner une difficulté juridique posée par le code de la santé publique qui indique que les honoraires « ne peuvent être réclamés qu’à l’occasion d’actes réellement effectués ». Si bien que, légalement, il n’est pas possible de facturer une consultation à laquelle le patient ne s’est pas présenté. « Avant d’envisager une pénalisation financière de ces patients, il nous faut arriver à objectiver avec davantage de précision le volume de rendez-vous médicaux non honorés. On parle de 28 millions, mais rien n’est moins sûr, même si le constat est clair. Malheureusement, à l’heure actuelle, nous manquons de données précises et partagées entre tous les acteurs », a répondu la ministre. « Une fois cet état des lieux établi, nous pourrons envisager de nouveaux leviers pour réduire ce phénomène en lien avec toutes les parties prenantes. »

« Sans aller jusqu’à un prépaiement, on pourrait aussi imaginer demander au patient de renseigner ses identifiants de carte bancaire au moment de la prise de rendez-vous en ligne », glisse Corinne Imbert. « En tout cas, il y aura aussi une réflexion à engager sur le montant de la pénalité. À titre personnel, je trouverai un peu dur de faire payer l’intégralité de la consultation. »

« Les rendez-vous non honorés, c’est un micro-problème »

« Nous avons sorti la mesure proposée par le Sénat du compromis négocié en CMP, qu’Emmanuel Macron prenne acte du fait que le problème des consultations non-honorées n’est pas apparue prioritaire pour le Parlement ! », cingle le sénateur Bernard Jomier (apparenté PS) auprès de Public Sénat. « Les propos tenus par le président de la République dans Le Parisien sont lunaires. Face aux difficultés du monde médical, il n’a rien d’autre à proposer qu’une mesurette sur les consultations non honorées. J’ai bien compris qu’il entendait renouer avec les petits problèmes du quotidien, mais pour les soignants, les problèmes du quotidien sont d’abord de gros problèmes ! », s’agace l’élu parisien, lui-même médecin de profession, et qui évoque notamment le règlement arbitral rendu ce lundi 24 avril, qui valide l’augmentation de 1,50 euro du tarif des consultations, loin de ce que réclamait la profession.

L’échec fin février des négociations des six syndicats de libéraux avec l’Assurance maladie, pour l’élaboration d’une nouvelle convention médicale, a abouti à la nomination d’une arbitre, l’ancienne inspectrice des affaires sociales Annick Morel, qui a finalement acté le passage de la consultation à 26,50 euros pour les généralistes et 31,50 euros pour les spécialistes, hors dépassements d’honoraires. La décision arbitrale reprend ainsi la proposition faite par l’administration, quand les syndicats demandaient des hausses comprises entre 30 et 50 euros minimum. « Cette décision ne va faire qu’accroître l’écœurement et la déception des médecins », commente Bernard Jomier. « On vit une époque où le chef de l’État perd le sens des priorités. Emmanuel Macron veut donner le sentiment d’être à l’écoute des problèmes des professionnels de santé, mais ça n’est absolument pas le cas. Les rendez-vous non honorés, c’est un micro-problème. Je ne dis pas que cela ne mérite pas une attention, mais c’est quelque chose qui se joue au niveau ministériel, on attend la parole du chef de l’État sur d’autres questions, plus cruciales ».

« Il est évident que dans le contexte actuel, le timing du chef de l’État n’est pas le bon. Il y a d’autres urgences à aborder pour le monde médical avant de mettre en avant ce problème », reconnaît également Corinne Imbert pour qui un mécanisme de sanction pourrait très bien s’inscrire dans le prochain budget de la Sécurité sociale, qui sera discuté à l’automne, sans avoir à passer par un texte de loi dédié. « Sur la santé, la réponse est multifactorielle », a défendu Emmanuel Macron dans les colonnes du Parisien dimanche. « Il faut former plus de médecins, de pharmaciens, de kinés, d’infirmiers. On doit aussi accélérer la délégation d’actes. On est en train de le faire — je me tape les corporatismes. Ensuite, il faut créer des incitations pour régler les déserts médicaux, investir sur l’hôpital et le réorganiser. »

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