C’est au tour de l’Arcom d’alerter sur la relation des mineurs aux réseaux sociaux. Le gendarme du numérique a présenté cet après-midi une étude sur les risques rencontrés par les adolescents en ligne, menée auprès de 2 000 jeunes âgés de 11 à 17 ans et de leurs parents. Ce travail intervient après la publication par la Commission européenne au mois de juillet des lignes directrices sur la protection des enfants sur internet prévue par le règlement européen sur les services numériques (DSA), et des conclusions de la commission d’enquête parlementaire relative aux effets psychologiques de TikTok sur les jeunes début septembre.
Un accès aux plateformes de plus en plus précoce
12 ans, c’est l’âge moyen de la première utilisation des réseaux sociaux des jeunes interrogés. Avec un cinquième des enfants de 11 ans qui révèlent avoir accédé à ces plateformes avant leur onzième anniversaire, là où ceux âgés de 17 ans, ne sont que 4 % dans ce cas. Des chiffres qui traduisent un accès aux réseaux sociaux qui se fait de plus en plus tôt.
Et surtout, que l’âge minimum légal d’accès fixé à 13 ans, n’est que peu respecté, ou tout du moins facile à contourner. Preuve à l’appui en est que 62 % des mineurs affirment avoir déjà menti pour pouvoir se connecter à certaines plateformes, en s’inscrivant avec une fausse date de naissance par exemple. En dépit des règles de régulation existantes, seuls 18 % d’entre eux rapportent avoir dû prouver leur âge ou avoir été bloqués, un phénomène que l’Arcom a pu vérifier à travers une phase d’enquête sémiologique, explique Marianne Serfaty, de la direction des études économiques et prospectives de l’Arcom.
Un public d’autant plus vulnérable aux risques
L’étude révèle une vraie tension entre des « plateformes omniprésentes dans la vie des jeunes » et une forme de « conscience des risques par les adolescents », rapporte Marianne Serfaty, puisque 83 % se disent exposés régulièrement à au moins un risque. Spontanément, les jeunes sont capables d’énumérer les différents dangers qu’ils peuvent rencontrer en ligne : hyperconnexion, contenus choquants, défis dangereux, cyberharcèlement, échanges avec des adultes mal intentionnés et arnaques. Les deux premiers étant les plus fréquents avec 63 % des 11-12 ans et 76 % des 15-17 ans qui se disent hyperconnectés « souvent » ou « de temps en temps », tandis que 37 % des 11-12 ans et 55 % des 15-17 ans se retrouvent confrontés à des images ou discours choquants, à la même fréquence.
Néanmoins, Laure Fallou alerte sur les différences en termes d’impact sur le bien-être. Pour ce qui est des contenus choquants par exemple, ceux liés au suicide et à l’automutilation font partis des moins fréquents, pourtant ce sont ceux qui ont le plus d’incidence sur les adolescents. Même chose pour les arnaques, les interactions avec des adultes mal intentionnés et le cyberharcèlement. Tandis que les défis dangereux, l’hyper connexion et les contenus choquants tendant à être banalisés par les mineurs pour qui « ils font partie de l’expérience des réseaux », précise Laure Fallou. Elle soulève également des disparités en fonction du genre des enfants, l’étude révélant que les jeunes filles peuvent davantage faire face à des contenus favorisant les troubles du comportement alimentaire, alors que les garçons sont particulièrement exposés à des contenus à caractère sexuel. Enfin, les ainés des fratries et les enfants uniques sont ceux les plus exposés, car ils ne sont pas encadrés par un grand frère ou une grande sœur, et leurs parents peuvent être « moins armés » pour les aider.
Dans le global, cette étude indique que les plateformes les plus utilisées sont celles où les adolescents sont les plus exposés, avec une place particulière accordée à TikTok, où 60 % des utilisateurs se disent concernés par des risques. Etonnamment, cette exposition n’est pas corrélée à un taux de confiance plus faible en ces réseaux sociaux, constate Laure Fallou.
Des jeunes conscients des risques
Ce sont des adolescents conscients de risques qui accèdent aux réseaux sociaux, avec 77 % d’entre eux qui affirment savoir que leur présence numérique les expose à des dangers, un vrai « paradoxe » pour Marianne Serfaty. L’étude révèle que la « conscience des risques s’acquiert après une mauvaise expérience », dans de nombreux cas.
En revanche, ils sont 72 % à se montrer prudents dans leurs activités sur internet. Et lorsqu’ils se sentent en danger, ils peuvent instaurer des mesures concrètes : blocage, signalement, discussion avec les proches, voire intervention de ces derniers (famille, amis, établissement scolaire)… Dans l’ensemble, seule la moitié des signalements effectués aboutissent à une réponse jugée satisfaisante par les jeunes interrogés, avec plus de 20 % des signalements sur TikTok et Snapchat qui n’ont reçu aucun retour.
Cette enquête de l’Arcom met aussi en lumière les attentes des mineurs en termes de protection, 53 % d’entre eux souhaitent davantage d’accompagnement, précise Laure Fallou. Des attentes qui se dirigent vers leurs parents, qui ne sont pas assez sensibilisés au fonctionnement des réseaux sociaux, mais aussi envers les plateformes « qui n’en font pas assez pour les protéger » pour 45 % d’entre eux, et les institutions « pour chapeauter », en informant et en sanctionnant si besoin.
La « mission » de l’Arcom dans la protection des jeunes
Protéger les publics à risque sur les réseaux, en particulier les enfants, c’est une « mission historique de l’Arcom », a affirmé Martin Adjari. Le président de l’Arcom a martelé la nécessité d’interdire « online » ce qui l’est « offline » et de rendre inaccessible aux plus jeunes ce qui est « dangereux », rappelant que l’objectif de cette instance n’est pas d’intervenir dans les contenus eux-mêmes, mais de s’assurer que les plateformes remplissent leurs obligations, en matière de régulation et de modération.
Les constats de cette étude se posent en « appel à l’aide » lancé aux pouvoirs publics, et en piqure de rappel aux plateformes qui doivent « modifier en profondeur » la conception de leurs services. Deux priorités ont été avancées : le respect effectif de l’âge d’accès minimum et l’adaptation des offres proposées aux mineurs. L’occasion pour Martin Adjari de rappeler le bras de fer en cours entre l’Arcom, le pouvoir législatif et les sites pornographiques, qui a conduit à la mise en conformité, au blocage ou à la fermeture de la douzaine des plateformes dont l’audience est la plus importante. Et aussi l’attention portée à d’autres sites français dangereux, à l’instar de « Bounti », un chat en ligne libre et anonyme, qui revêt des allures de la plateforme « Coco », ce dernier a été fermé par les autorités lors du procès de Mazan.