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Respect du pluralisme sur CNews : « Il ne s’agit pas d’encadrer la liberté d’expression, mais de faire respecter la loi », assure Christophe Deloire

Après la décision du Conseil d’Etat demandant à l’Arcom de renforcer son contrôle du respect du pluralisme par la chaîne CNews, Reporters sans frontières est accusé par les médias du milliardaire Vincent Bolloré de porter atteinte à la liberté d’expression. Après avoir reçu le soutien d’une vingtaine d’avocats, RSF se dit déterminé à vouloir faire appliquer la loi.
Simon Barbarit

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« On nous entraîne dans un débat politique, alors qu’il s’agit simplement d’une question légale et technique. On demande simplement de faire respecter la loi. Le secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), Christophe Deloire s’attendait à ce que la décision du Conseil d’Etat qui fait suite à un recours de RSF provoque « le bruit et la fureur », il n’a pas été déçu. Depuis plusieurs jours, animateurs et chroniqueurs des médias du milliardaire Vincent Bolloré ne cessent de dénoncer la « censure », « le fichage politique », voire le « maccarthysme » engendrés selon eux par cette décision.

L’ONG estimait que la chaîne CNews ne respectait pas ses obligations en matière d’honnêteté, de pluralisme et d’indépendance de l’information, le Conseil d’Etat lui a donné raison la semaine dernière et a enjoint l’Arcom de changer ses méthodes de contrôle. La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication impose aux chaînes un « pluralisme interne » afin de garantir la neutralité des antennes. Jusqu’à présent l’Arcom effectuait ce contrôle du pluralisme sur l’ensemble des antennes de la TNT, en comptabilisant uniquement les temps de parole des personnalités politiques.

L’Arcom devra désormais « veiller à ce que les chaînes assurent, dans le respect de leur liberté éditoriale, l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinions en tenant compte des interventions de l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités », « suivant des modalités qu’il lui appartient de définir », indique le Conseil d’Etat.

Si comme on peut le lire la décision concerne l’ensemble des chaînes de la TNT, elle a été prise par les médias du milliardaire Bolloré, comme une attaque ad hominem, téléguidée par RSF. « Pourquoi ils veulent mettre fin à a la liberté d’expression » titrait le JDD ce week-end avec en Une, la photo de Christophe Deloire. Le secrétaire général de RSF a reçu cette semaine le soutien d’une vingtaine d’avocats, parmi lequels Henri Leclerc et Richard Malka. Aux côtés de RSF, « ils contribueront à l’application de la loi, de manière à protéger la démocratie. Ils s’assureront que l’Arcom développera un cadre pertinent et praticable », précise le communiqué.

« Sortir de cette logique de comptes d’apothicaire »

« Il ne s’agit pas d’encadrer la liberté d’expression ou de mettre les chaines sous surveillance mais de sortir de cette logique de comptes d’apothicaire pour contrôler s’il y un déséquilibre global et une intention manifeste derrière le traitement de l’information. On a vu les effets pervers du système actuel lors de la dernière campagne présidentielle, où certaines chaines régionales n’ont pas couvert certains meetings car elles étaient dans l’incapacité de rééquilibrer les temps de parole. Vous avez aussi l’exemple d’anciens élus qui siphonnent le temps de parole de leur ancien parti », précise Christophe Deloire.

Dans la Tribune du dimanche, le président de l’Arcom, Roch-Olivier Maistre n’a pas une interprétation différente de la décision du Conseil d’Etat. « Il ne nous est pas demandé de comptabiliser chacun des intervenants. Il n’y aura pas de catalogage des journalistes et invités. Il s’agira d’une appréciation globale sur l’ensemble des programmes diffusés », annonce-t-il.

La droite sénatoriale demande une remise à plat de la loi de 1986

Il n’empêche, pour le sénateur LR, Roger Karoutchi, co-auteur d’un rapport sur le financement de l’audiovisuel public, « le nouveau contrôle imposé à l’Arcom semble très difficile à appliquer. Il faudrait engager une armée de contrôleurs et va-t-on se limiter aux tranches d’informations ou à l’ensemble du temps d’antenne ? » Roger Karoutchi estime que cette décision offre une nouvelle occasion « de remettre à plat la loi de 1986 afin de donner un peu plus de liberté aux chaînes privées qui ne dépendent pas des aides publiques. 3,5 milliards pour l’audiovisuel public, je le rappelle. Un texte serait également nécessaire pour préciser les compétences et le pouvoir de l’Arcom. Une autorité administrative indépendante qui n’est pas censée recevoir des injonctions des pouvoirs publics, y compris du Conseil d’Etat ».

« Une autorité administrative hors du contrôle du juge, ce serait quand même grave pour la démocratie », objecte Camille Broyelle, professeure de droit à l’université Panthéon Assas et directrice du master droit du numérique droit des médias.

Conformément à la loi 1986, les chaînes s’engagent au respect du pluralisme interne en échange de l’attribution d’une fréquence qui relève du domaine public. Il s’agit d’une différence notable avec la presse écrite et les médias web régis, eux, par le principe de « pluralisme externe ». La profusion de titres de presse écrite et de sites internet offre, à elle seule, la possibilité d’une presse d’opinion. La sénatrice (LR), Marie-Claire Carrère-Gée a proposé d’inscrire dans la loi un principe selon lequel les chaînes télé et les radios « déterminent librement leur ligne éditoriale et choisissent librement leurs intervenants ». Cette formule permettrait la possibilité pour un média de favoriser une opinion.

L’Arcom va devoir changer aussi ses méthodes de contrôle de l’indépendance de l’information

En attendant, Roch-Olivier Maistre a indiqué qu’un travail de réflexion était déjà en cours pour la mise en œuvre de nouvelles règles de contrôle du pluralisme. Plusieurs travaux de recherche ont été mis en avant la semaine dernière (voir notre article). « Elles s’articulent autour de deux logiques. La première, c’est plus de clarté sur qui parle. La deuxième consiste à regarder de quoi on parle, de quelle façon et pendant combien de temps », esquisse Christophe Deloire.

Enfin, une partie de la décision du Conseil d’Etat est passée relativement inaperçue en particulier dans les médias de Vincent Bolloré. Elle donne pourtant raison à RSF sur le contrôle du respect de l’indépendance de l’information au sein de la chaîne CNews. « L’indépendance ne s’apprécie pas seulement au regard d’extraits d’une émission spécifique mais aussi à l’échelle de l’ensemble des conditions de fonctionnement de la chaîne et des caractéristiques de sa programmation », précise le Conseil d’Etat à l’Arcom. Le gendarme de l’audiovisuel va donc, aussi, avoir la charge de trouver une nouvelle méthode pour contrôler le respect de la loi 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias. Un texte qui impose aux entreprises de presse et audiovisuelles de se doter d’une charte déontologique, rédigée conjointement par la direction et les représentants des journalistes. Cette loi institue également au sein des chaînes des comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes. Des comités d’éthique qui doivent être composés de personnalités indépendantes.

 

 

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