Prrotection des mineurs de la pornographie

Restriction d’accès aux sites porno pour les mineurs : appliquer la loi demeure compliqué

Une étude de Médiamétrie commandée par l’Arcom révèle une alarmante proportion de mineurs exposés aux images pornographiques sur Internet. 2,3 millions en visionnent 50 minutes en moyenne chaque mois. Le projet de loi sécurisation et régulation de l’espace numérique, qui reprend plusieurs préconisations d’une mission d’information du Sénat, entend contraindre les sites à contrôler l’âge de leurs visiteurs sous peine de blocage, mais se heurte à des obstacles techniques et juridiques.
Simon Barbarit

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Trois ans après la loi du 30 juillet 2020, qui sous l’impulsion du Sénat, contraint les sites pornographiques à mettre en place un contrôle de l’âge de leurs visiteurs, les mineurs ont toujours accès librement à ces contenus. Pire, ils sont de plus en plus nombreux à les consulter. 50% des garçons de 12 ans vont sur un site porno chaque mois. C’est ce que révèle une étude de Médiamétrie commandée par l’Arcom, réalisée en France en 2022 auprès de 25.000 panélistes.

2,3 millions de mineurs (30 %) sont ainsi exposés à des images pornographiques pendant plus de 50 minutes en moyenne chaque mois, une proportion à peine plus faible que chez les adultes qui sont 37 % à consommer ces contenus. Ils sont même 600.000 mineurs de plus depuis l’automne 2017, lorsque la mesure a commencé à être réalisée sur trois écrans (ordinateur, smartphone, tablette numérique).

« Cette étude ne fait que confirmer ce que nous avions identifié »

Au Sénat, où la délégation aux droits des femmes a mené, l’année dernière, une mission d’information sur les dérives de l’industrie pornographique, on n’est pas vraiment surpris par ces données. « Cette étude ne fait que confirmer ce que nous avions identifié. Nous savons que la loi de 2020 n’est pas opérante. Les sites pornographiques trouvent toutes les arguties juridiques pour ne pas l’appliquer. Dès qu’on aborde la question de la fréquentation de ces sites par le biais de leur interdiction aux mineurs, on se heurte à des arguments faisant état de difficultés techniques ou ayant trait à la protection de l’anonymat », constate amèrement la sénatrice PS, Laurence Rossignol qui fût l’une des co-rapporteure de la mission d’information.

Pour mémoire, l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), saisie par plusieurs associations, a déjà mis en demeure une quinzaine de plateformes comme Pornhub, Tukif, Xhamster, Xvideos, ou Xnxx, afin qu’elles instaurent un véritable contrôle d’âge de leurs visiteurs. Une décision du tribunal judiciaire de Paris est attendue le 7 juillet.

« Il va falloir trouver l’équilibre entre protection des données et protection des mineurs »

La présidente centriste de la délégation aux droits des femmes, Annick Billon également co-rapporteure de la mission d’information, estime néanmoins que depuis la remise de leur rapport, « il y a eu un avant et un après ». « Nous sommes satisfaites de voir que les politiques publiques s’emparent du sujet. Le projet de loi sécurisation et régulation de l’espace numérique, qui arrive en examen au Sénat cet été, reprend une dizaine de nos préconisations. Et pour avoir des dispositions opérationnelles, il va falloir trouver l’équilibre entre protection des données et protection des mineurs », souligne-t-elle.

Parmi les préconisations du Sénat, on retrouve dans le projet de loi, la mise en place d’un dispositif permettant de restreindre l’accès des contenus pornographiques aux mineurs, un renforcement du pouvoir de l’Arcom, qui pourra, sans passer par un juge, bloquer et déréférencer les sites qui ne vérifieront pas l’âge des utilisateurs. Le gendarme de l’audiovisuel et du numérique pourra aussi prononcer des amendes à l’encontre des sites récalcitrants, allant jusqu’à 1 % du chiffre d’affaires mondial hors taxes réalisé, 2 % en cas de réitération des manquements.

« L’avis du Conseil d’Etat montre que le texte n’est pas totalement sécurisé juridiquement. Je note la volonté du gouvernement mais j’espère qu’il trouvera des outils opérants à la fois sur le plan technique et juridique », tempère Laurence Rossignol. Dans son avis, le Conseil d’Etat  a souligné « la complexité des dispositifs à mettre en œuvre ». Il indique qu’il reviendra à l’Arcom « de prescrire des exigences techniques propres à garantir, tant la fiabilité du contrôle de l’âge des utilisateurs que le respect de leur vie privée ».

Il est vrai que Jean-Noël Barrot, le ministre en charge du Numérique, s’est montré volontariste sur cette question. En février dernier, il annonçait en grande pompe pour la rentrée de septembre, la généralisation d’un dispositif qui obligera les sites pornos à contrôler « réellement » l’âge de leurs utilisateurs.

Quel dispositif de contrôle d’âge ?

C’est l’un des nœuds du problème. En début d’année, l’exécutif semblait s’appuyer sur système de « double anonymat » proposé par le PEReN, (Pôle d’Expertise de la Régulation Numérique) et la CNIL. Une extension sur navigateur et une appli qui envoie à un utilisateur souhaitant se rendre sur un site qui requiert une limite d’âge, un numéro à usage unique. L’utilisateur renvoie ce numéro à un prestataire identifié, comme sa banque ou son opérateur télécoms, qui ont l’avantage d’être certifiés par l’ANSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) et de connaître la date de naissance de leurs clients. Un projet qui semble à l’arrêt, selon Olivier Blazy, professeur à polytechnique qui a travaillé sur le prototype. « Oui, il n’y a pas eu beaucoup d’avancées depuis février. Tant que le gouvernement est dans le flou, les gens qui travaillent sur ce projet ne veulent pas s’engager ».

A noter que cette solution pourrait se heurter au RGPD (le règlement général sur la protection des données) qui interdit de traiter des données qui ne sont pas pertinentes comme les dates de naissance des titulaires des contrats.

Une autre expérimentation basée sur un système de vérification d’âge des internautes par analyse faciale pourrait également avoir les faveurs de l’exécutif. Membre du Laboratoire pour la protection de l’enfance lancée par Emmanuel Macron en novembre dernier, la société britannique Yoti a développé cette technologie. Julie Dawson, directrice des affaires réglementaires de Yoti avait indiqué aux membres de la mission du Sénat que sa société travaillait avec des sites proposant des jeux vidéo, des jeux de compétition ou d’argent mais également des sites pornographiques tels que Mindgeek, Pornhub ou encore Jacquie et Michel.

D’autres solutions passent par l’usage d’une carte bancaire. Mais là encore ce système entraîne des difficultés relatives à la protection de l’anonymat. « Les orientations sexuelles des utilisateurs seront stockées dans un listing quelque part et ce sont des données personnelles plus sensibles que les autres », souligne Olivier Blazy.

Les rapporteures de la mission d’information tenteront également d’ajouter au projet de loi une autre de leur recommandation consistant à afficher un écran noir sur les sites pour adultes tant que l’âge de l’internaute n’a pas été vérifié. « Oui c’est possible techniquement et ça permettrait au moins de protéger les mineurs qui arrivent sur ces sites par hasard », soutient Olivier Blazy.

Le blocage des sites qui ne respectent pas la loi peut-il vraiment être effectif ?

C’est une question qui agace Laurence Rossignol. « Je suis frappée par ce décalage entre l’étendue des moyens technologiques existants comme l’intelligence artificielle et les obstacles soi-disant techniques lorsqu’il s’agit de bloquer un site porno. L’accès au site porno n’est pas qu’une question de protection des mineurs mais d’atteinte à la dignité, d’incitation à l’inceste, au viol… Je ne vois pas pourquoi ce qui est interdit dans la vie réelle devrait être autorisé sur Internet. La neutralité du web n’est pas un principe supérieur à celui du respect de la dignité humaine ».

Pourtant, le blocage pose de réels problèmes techniques. L’étude de l’Arcom révèle que les trois quarts des mineurs qui visionnent du porno le font exclusivement sur leur téléphone. La technique la plus courante pour bloquer un site consiste à bloquer le DNS (Domain Name System) sorte de plaque d’immatriculation qui associe le nom de domaine avec l’adresse IP du site. « On demande alors au DNS du fournisseur d’accès de mentir pour dire à l’utilisateur que le site n’existe pas. Mais on peut très bien utiliser un DNS qui n’est pas basé en France. Il y en a plein qui sont accessibles gratuitement sur Google. Sur Apple, Safari propose de les activer très facilement. Ça peut être utile par exemple pour contourner le blocage Wifi d’un hôtel », explique Olivier Blazy.

Alexandre Archambault, avocat spécialisé dans le droit du numérique se désole « du manque de crédibilité technique » des pouvoirs publics. « L’accès au porno des mineurs est un véritable problème de santé publique qui nécessite a minima une approche coordonnée au niveau européen. On a un problème de méthode. On met la charrue avant les bœufs et on raisonne comme si l’ordinateur était encore l’unique accès à Internet dans un foyer. J’interviens souvent en milieu scolaire et je peux vous dire que les collégiens savent très bien comment changer de DNS sur leur téléphone ».

C’est pourquoi la mission d’information du Sénat recommande d’accompagner ces mesures d’une éducation des jeunes à la sexualité, à l’égalité et aux usages du numérique, notamment l’effectivité des trois séances annuelles d’éducation à la vie affective et sexuelle prévues par la loi.

 

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