Retraites complémentaires : les partenaires sociaux négocient pour faire évoluer les règles

Retraites complémentaires : les partenaires sociaux négocient pour faire évoluer les règles

Syndicats et patronat ont commencé une série de réunions pour réactualiser les règles de fonctionnement des retraites complémentaires, dans le cadre de l’Agirc-Arrco. Les conséquences de la récente réforme du régime général, l’inflation galopante et la tentation de l’État de mettre à profit les excédents pour financer les petites pensions font partie des principaux enjeux.
Guillaume Jacquot

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C’est l’un des nombreux chantiers de l’agenda social, particulièrement dense en cette rentrée. Quelques jours à peine après l’entrée en vigueur de la réforme des retraites, organisations syndicales et patronales se sont réunies ce 5 septembre pour définir les modalités pour les quatre prochaines années du régime des retraites complémentaires des salariés du privé, l’Agirc-Arrco. Ses règles actuelles dépendant de l’accord conclu en 2019. Syndicats et organisations patronales ont un mois pour s’entendre et fixer les nouvelles règles d’un régime obligatoire dont dépendent 26 millions de salariés et 13 millions de retraités. Cette première réunion a permis de jeter les bases de la négociation, quatre autres rendez-vous sont prévus jusqu’au 4 octobre, pour une mise en application au 1er novembre.

Géré de façon paritaire, c’est-à-dire par les syndicats et les organisations patronales, l’Agirc-Arrco a démontré une fois encore l’an dernier sa bonne gestion. Plus de cinq milliards d’euros d’excédents et 68 milliards d’euros de réserves, en vertu de sa règle d’or qui impose de détenir l’équivalent de minimum six de versements de pensions complémentaires.

Haro sur un malus de 10 % introduit en 2019

L’un des principaux enjeux pour les organisations syndicales sera d’obtenir la fin du « coefficient de solidarité temporaire », un malus de 10 % qui s’applique pendant trois ans sur le montant de la pension complémentaire. Cette décote est actuellement annulée seulement si les personnes qui remplissent les conditions pour une retraite à taux plein reportent leur départ d’un an. Ce système avait été instauré pour encourager une durée de travail plus longue, à une époque où la situation financière du régime était loin d’être aussi bonne qu’aujourd’hui.

Le contexte actuel d’un relèvement de deux ans de l’âge légal, avec la réforme, est un argument pour sceller la fin de ce malus, de l’avis des syndicats, unis sur ce point. « Logiquement, cet élément doit être supprimé », encourage Yvan Ricordeau, le numéro 2 de la CFDT. « Sur le principe, les salariés ne comprendraient pas qu’en reculant l’âge légal de départ à la retraite, on continue à avoir ce coefficient », abonde également Christelle Thieffinne, cheffe de file pour la CFE-CGC dans la négociation.

Selon un calcul mené par l’Agirc-Arrco, cette mesure pourrait coûter 500 millions d’euros par an, soit environ un tiers des ressources nouvelles que devrait apporter la réforme des retraites au régime. Un accord sur la fin du malus n’est pas du domaine de l’impossible, à en juger par les retours des participants. « La partie patronale se dit aujourd’hui défavorable, mais on ne sent pas une position dure », confie Christelle Thieffinne. « Personne n’a dit qu’il était hors de question de l’aborder, c’est une façon de reconnaître qu’il y a un sujet », observe quant à lui le secrétaire national de la CFDT, Yvan Ricordeau. Reste qu’en cas d’hypothétique accord sur la question, d’autres détails techniques devront encore être tranchés dans un délai très court. À quelle date mettre fin au dispositif ? Faut-il aussi inclure les pensionnés actuels ? Autant de points techniques à éclaircir.

Un débat sur la revalorisation des pensions complémentaires

Autre sujet prioritaire qui ressort dans les discours des organisations syndicales : une revalorisation des pensions complémentaires, qui suive davantage la courbe de l’évolution des prix plutôt que des salaires. Indispensable dans un contexte d’inflation soutenue, selon eux. « Toutes les organisations ne le disent pas avec les mêmes mots, mais il y a un certaine convergence », observe Yvan Ricordeau. La CGT, par la voix de Sophie Binet, a déjà promis d’être « offensive », pour « limiter l’impact de la réforme » du régime général. Autre chantier pour la CFE-CGC : ouvrir de nouveaux droits pour le cumul emploi-retraite.

Du côté patronal, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), par exemple, a proposé en juillet qu’une partie des excédents de l’Agirc-Arrco serve à financer la création d’une « épargne retraite pour tous », afin d’offrir des dispositifs de capitalisation aux salariés des TPE-PME, à l’instar de ce qui se fait dans les grandes entreprises.

Les partenaires sociaux redoutent que l’État « ponctionne » les excédents du régime

Au-delà des expressions et des positions de chacun, les organisations syndicales et patronales se retrouveront probablement autour d’un sujet : le refus que l’État fasse les poches de l’Agirc-Arrco. Ils soupçonnent que cette bonne santé ne suscite des convoitises de la part du gouvernement, d’autant plus que la réforme des retraites prévoit la revalorisation du plancher des retraites de base. Beaucoup d’interlocuteurs présents ce mardi ont été clairs sur le sujet et ont voulu tordre le coup au fantasme d’une « cagnotte ». « Quand on a un krach financier en 2008, l’inflation qui revient de façon galopante, la pandémie, avec son chômage partiel, le niveau des réserves fond aussitôt. Jamais l’État ne vient filer un coup de main », prévient Yvan Ricardeau.

Fin août, Patrick Martin, le tout nouveau président du Medef, n’y est allé pas non plus par quatre chemins, lors de la Rencontre des entrepreneurs de France, fin août. « Je vous confirme notre désaccord quant à l’usage que le gouvernement prévoit des excédents à venir de l’Unedic, qui, je le rappelle, est un organisme paritaire très largement financé par les cotisations des entreprises. De la même façon, il nous semble inopportun que les fonds de l’Agirc-Arcco soient ponctionnés pour financer la réforme des retraites », a déclaré le dirigeant, en présence d’Élisabeth Borne.

La tentative par le gouvernement de rapatrier les ressources de l’Agirc-Arrco dans les caisses de l’Urssaf, lors de l’examen du dernier projet de financement de la Sécurité sociale (PLFSS 2023), reste par ailleurs un souvenir vif dans les mémoires des organisations syndicales. « Sur le principe, il a été dit que ce transfert était annulé. On attend que ce soit une constance politique dans les années à venir. On est vigilants », insiste Christelle Thieffinne, secrétaire nationale à la protection sociale à la CFE-CGC.

« Un alignement assez fort des organisations syndicales »

À la CFDT, Yvan Ricordeau reconnaît toutefois que le rehaussement des basses pensions dans le régime complémentaire, dans le contexte de la revalorisation du minimum contributif à 1200 euros (cette retraite minimum pour quelqu’un qui a cotisé pendant la durée légale sur des petits salaires), « ne peut être éludé ». « C’est quelque chose qui peut être entendable. On n’est pas les seuls à l’avoir dit. Aujourd’hui, on n’a pas le mécanisme qui le permet. Si on n’a pas la solution, ce sera à l’État d’assumer la mesure qu’il a annoncée », prévient le secrétaire national.

Cette première réunion n’était qu’un tour de chauffe, pour organiser les travaux essentiellement et aborder les projections financières du régime. Les prochains permettront d’entrer dans le dur, mais cette négociation ne devrait pas être la plus difficile parmi celles que les partenaires sociaux ont à aborder dans les prochains mois. « Je suis assez sereine. On a un alignement assez fort des organisations syndicales sur des principes, on a le patronat qui nous lâche du lest pour qu’on puisse avancer », pressent Christelle Thieffinne. Tous ont l’intérêt à trouver un point d’équilibre, sans quoi l’État reprendrait la main comme il l’a fait pour l’assurance chômage.

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