Retraites : la réforme va-t-elle améliorer la situation des femmes ?
Les retraitées touchent souvent moins que les hommes. Le gouvernement promet dans sa réforme des retraites plusieurs mesures en faveur des femmes, telles qu’une revalorisation des plus petites pensions et la prise en compte des congés parentaux dans le calcul de la durée de cotisation. Mais la capacité de ces dispositions à corriger des inégalités directement enracinées dans le monde du travail semble limitée.

Retraites : la réforme va-t-elle améliorer la situation des femmes ?

Les retraitées touchent souvent moins que les hommes. Le gouvernement promet dans sa réforme des retraites plusieurs mesures en faveur des femmes, telles qu’une revalorisation des plus petites pensions et la prise en compte des congés parentaux dans le calcul de la durée de cotisation. Mais la capacité de ces dispositions à corriger des inégalités directement enracinées dans le monde du travail semble limitée.
Romain David

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Les inégalités entre les femmes et les hommes au cours de la vie professionnelle se répercutent aussi sur les retraites. Le niveau de pension tel que fixé par le système actuel est le reflet d’un parcours professionnel, et il en restitue bien souvent les injustices. « Actuellement, la pension moyenne des femmes est de 40 % inférieure à celle des hommes », relève la Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES) dans son panorama 2022 des « Retraites et retraités ». L’écart a tendance à baisser, mais très lentement : tout juste 10 % en un peu plus de quinze ans. Selon cette étude, la retraite moyenne brut des femmes en 2020 s’élève à 1 401 euros par mois, quand elle est de 1 955 euros pour les hommes. Lors de la présentation de son projet de réforme le 10 janvier, la Première ministre Élisabeth Borne a notamment fait valoir le souci de mieux prendre en compte la situation des femmes, marquées par des parcours différents. Si le gouvernement a esquissé plusieurs pistes pour limiter l’impact du recul annoncé de l’âge de départ sur les carrières longues et pénibles, en revanche, l’absence de mesures significatives pour s’attaquer à l’écart entre les pensions des deux sexes, a été pointée par les associations féministes.

L’origine de cet écart est d’abord à aller chercher du côté des différences de rémunération - les femmes gagnent en moyenne 22 % de moins que les hommes, selon l’Insee. La seule mesure de revalorisation portée par la réforme consiste à faire passer l’ensemble des retraites les plus modestes – actuelles et à venir – à 85 % du Smic, soit environ 1 200 euros. Il s’agit d’une exigence portée par la droite, qui a laissé entendre à plusieurs reprises que son soutien à la réforme était conditionné à cette hausse. « Les trois quarts des petites retraites, ce sont des mères de famille », défendait la semaine dernière Bruno Retailleau, le président du groupe LR au Sénat. « Il faut préciser que cette revalorisation ne concernera que les carrières complètes. Les retraités n’en ont pas conscience, mais ils n’en bénéficieront qu’à condition d’avoir toutes leurs annuités », pointe la sénatrice socialiste des Landes Monique Lubin, également membre du Conseil d’Orientation des retraites. Pour les autres, la revalorisation ne pourrait potentiellement se faire qu’au prorata de la durée de cotisationAussi, l’impact de la mesure sur les femmes retraitées devrait être plus limité qu’il n’y paraît, car elles sont plus nombreuses que les hommes à ne pas avoir cumulé le nombre nécessaire de trimestres pour une pension à taux plein.

Les femmes, premières concernées par la décote

Ce qui nous amène à la seconde raison expliquant le fossé entre le niveau moyen de pension des femmes de celui des hommes : les carrières hachées par les congés parentaux, qui impactent la durée de cotisation. Les femmes qui n’ont pas pu cotiser suffisamment longtemps se voient appliquer un pourcentage de minoration de leur pension jusqu’à l’âge de 67 ans, seuil à partir duquel il n’est plus possible de mettre en œuvre cette décote. « Nous maintiendrons à 67 ans l’âge auquel les personnes peuvent partir à la retraite sans décote, quelle que soit leur durée de cotisation. C’est essentiel pour celles et ceux qui ont eu une carrière hachée ou incomplète – et je pense ici particulièrement aux femmes », a déclaré la Première ministre Élisabeth Borne lors de la conférence de presse de présentation de la retraite.

Le report de l’âge légal d’ouverture des droits, avec un maintien du seuil de décote à 67 ans, raccourcit mathématiquement la durée de pension marquée par un abattement pour les personnes qui partiront à la retraite à 64 ans avec un nombre insuffisant de trimestres (3 ans contre 5 ans dans le système actuel), néanmoins ce mécanisme n’a aucun impact sur le fait que les femmes soient plus nombreuses à être concernée par la décote. Toujours selon la DREES, en 2020 elles ont liquidé leurs droits à la retraite « en moyenne 7 mois après les hommes », soit un départ à la retraite vers 62 ans et 7 mois, contre 62 ans pour les hommes. Sur la génération 1950, 44 % des femmes sont parties à la retraite avec une carrière incomplète, contre 32 % chez les hommes.

« Présenter la réforme des retraites comme juste pour les femmes relève du boniment », s’agace la chercheuse Christiane Marty, membre du conseil scientifique d’Attac et de la Fondation Copernic, dans une tribune publiée par le journal Le Monde le 6 janvier. « Même si les carrières des femmes s’allongent au fil des générations – du fait surtout de la montée en charge de l’assurance-vieillesse des parents au foyer –, elles restent plus courtes que celles des hommes, de 2,1 ans pour la génération 1950. Il est donc plus difficile pour elles d’atteindre la durée de carrière exigée ». Or, l’augmentation du nombre de trimestres nécessaires, de 167 actuellement à 172 en 2027, pourrait encore accroître cette difficulté, malgré le recul de l’âge légal de départ. « Dans la mesure où la retraite est à l’image de la carrière, si l’on veut vraiment améliorer les pensions des femmes, c’est d’abord de leurs carrières dont il faut se préoccuper. Tout le reste, c’est du vent ! », s’agace Monique Lubin.

Vers une meilleure prise en compte des congés parentaux

Le gouvernement entend toutefois jouer sur la durée de cotisation en intégrant de nouveaux critères d’éligibilité au dispositif « carrières longues ». « Nous rendrons le dispositif ‘carrières longues’ plus juste, notamment pour les femmes. Avant ce projet, les périodes de congé parental n’étaient pas prises en compte dans la durée de cotisation pour en bénéficier. Cela sera désormais le cas », a indiqué le ministre de l’Economie Bruno Le Maire le 10 janvier. Il faudra néanmoins attendre la présentation du texte de la réforme en tant que tel, le 23 janvier en Conseil des ministres, pour connaître les modalités précises et l’impact de cette prise en compte.

Le dispositif « carrière longue », mis en place au début des années 2000 avec la réforme « Fillon » sur les retraites, permet aux salariés ayant commencé à travailler avant 20 ans de partir en retraite anticipée à 60 ans, voire 58 ans, à condition de s’être acquitté d’un certain seuil d’années de cotisation. Leur nombre varie selon l’année de naissance. À titre d’exemple : les personnes nées avant 1963, qui cumulent 176 trimestres dont au moins 5 réalisés avant la fin de l’année de leurs 16 ans, peuvent partir à 58 ans. Le dispositif prend déjà en compte certaines périodes d’inactivité avec une limite de trimestres, comme les périodes de chômage indemnisé, d’arrêt maladie, la période de service national et les congés maternités, mais pas les congés parentaux. « Globalement, c’est une avancée, reconnaît la sénatrice Monique Lubin, mais elle ne concernera pas toutes les femmes. Par ailleurs, j’attends de voir ce qu’il y aura dans les décrets d’application, car le diable se niche souvent dans les détails ».

La santé des femmes au travail, un angle mort

L’allongement de l’espérance de vie est, avec l’équilibre du système, l’un des principaux arguments invoqués par le gouvernement pour justifier du report de l’âge légal de départ. Or, si les femmes vivent plus longtemps que les hommes, elles ne sont pas toujours en meilleure santé que leurs congénères. En 2020 l’espérance de vie sans incapacité pour celles qui ont atteint l’âge de 65 ans en bonne santé était de 12,1 ans selon la DREES, contre seulement 10,6 ans pour les hommes. Depuis 2008, l’espérance de vie sans incapacité croît plus vite que l’espérance de vie elle-même. En revanche, selon les données collectées par la DREES avant la pandémie de covid-19, la part de personnes déclarant des incapacités fortes après 65 ans continue à baisser chez les hommes tandis qu’elle se stabilise chez les femmes, ce qui entraîne une inflexion de l’espérance de vie sans incapacité fortes après 65 ans chez ces dernières. En 2019, l’espérance de vie à la naissance sans incapacité des femmes françaises est passée légèrement en deçà de la moyenne européenne (64,5 ans contre 65,1 ans).

Par ailleurs, les carrières hachées et le manque d’activité professionnelle favoriseraient la détérioration de leur état de santé. « L’inactivité professionnelle est néfaste pour la santé des femmes, par ses conséquences sur ses ressources économiques, sociales et symboliques », a indiqué la chercheuse Constance Beaufils, le 12 janvier dernier devant la délégation sénatoriale aux droits des femmes qui organisait une table ronde consacrée à la santé des femmes au travail. « Les femmes qui passent par l’inactivité professionnelle font face à des difficultés économiques qui débouchent sur des inégalités de santé », a expliqué cette doctorante, auteure d’une thèse sur l’inactivité professionnelle auprès de l’Institut national d’études démographiques (Ined).

Un constat à mettre en parallèle avec la moindre prise en compte par le système de santé et le monde du travail des risques socio-professionnels encourus par certaines femmes salariées. « Les pratiques de prévention semblent moins efficaces et plus faibles pour les travailleuses que pour les travailleurs », a relevé lors de la même table ronde Emilie Counil, chargée de recherche à l’Ined, évoquant le secteur du nettoyage, où les femmes sont souvent surreprésentées, avec une forte exposition aux produits chimiques cancérogènes. « Les femmes exposées aux cancers professionnels ont souvent des carrières hachées, avec des interruptions, notamment au moment de la maternité », mais « ces interruptions ont pour effet de les rendre inéligibles à la reconnaissance de leurs maladies professionnelles. » Et donc de limiter la prise en compte d’éventuelles périodes d’invalidité ou d’arrêts maladie par le dispositif « carrière longue ». « Faut-il genrer, c’est-à-dire apporter une attention particulière aux métiers dit féminins pour adapter le système ? Je l’ignore, mais je pense que ces professions doivent être listées », relève la sénatrice Monique Lubin.

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