Retraites : les chiffres « préoccupants » du rapport de la Cour des comptes remis à François Bayrou

La Cour des comptes a remis ce 20 février son rapport sur la situation financière du système de retraites, demandé par le gouvernement, et destiné au conclave des partenaires sociaux, chargés d’émettre des propositions de réforme. Les conclusions font état d’un déficit « immédiat » de six milliards d’euros, qui se creuserait ensuite dans les deux décennies à venir, en l’absence de réforme.
Guillaume Jacquot

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« Ceci est le point de départ d’un travail difficile. » Pour le Premier ministre François Bayrou, le rapport de la Cour des comptes, remis au gouvernement ce 20 février, a pour objectif de fournir « les éléments les plus indiscutables » sur la santé financière du système de retraites. Les données budgétaires, compilées par l’institution présidée par Pierre Moscovici, doivent servir de base de travail aux partenaires sociaux. Ces derniers auront trois mois pour faire émerger des propositions d’évolution, sans dégrader la trajectoire financière d’un système qui mobilise actuellement 13,8 % du PIB, et 388 milliards d’euros.

Une dégradation « nette, rapide, croissante » selon Pierre Moscovici

Dans une photographie assez proche des dernières conclusions du Conseil d’orientation des retraites (COR), le rapport fait état d’un déficit de 6,6 milliards d’euros pour l’année 2025, suivi d’une « stabilisation » jusque 2030, sous l’effet notamment de la réforme adoptée en 2023. En 2023, le régime a été excédentaire, conséquence de l’inflation qui a gonflé les recettes. La progression des prix a ensuite entraîné des conséquences sur les dépenses.

Mais les conséquences de la loi Borne vont progressivement s’estomper dans le temps. Le déficit global devrait ensuite se dégrader « nettement », pour atteindre environ 15 milliards d’euros en 2035, et 30 milliards d’euros à l’horizon 2045. Cette dégradation s’appliquera par une « forte dégradation du ratio entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités ». Ce scénario tient compte d’une hypothèse d’un gain de productivité de 0,7 % par an et d’un taux de chômage à 7 % (il était à 7,3 % au quatrième trimestre 2024).

« Soyons lucides », la dégradation des finances du système de retraites dans son ensemble sera « nette, rapide, croissante », a estimé le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, qui a qualifié les chiffres de « préoccupants ».

L’accumulation des déficits va faire gonfler une dette, qui atteindrait en 2045 350 milliards d’euros pour le régime général, et 120 milliards d’euros pour les fonctions publiques locale et hospitalière. Le rapport alerte en particulier sur la situation du régime général et celui des salariés agricoles, qui représentent 42 % du montant total des pensions. Ces deux régimes sont « dans une situation financière précaire », prévient la Cour des comptes.

« Aucun déficit caché »

Ce diagnostic, fruit d’une mission flash commandée par Matignon, diffère cependant des chiffres brandis par François Bayrou, dans sa déclaration de politique générale en janvier. Le chef du gouvernement avait évoqué un déficit de 45 à 55 milliards d’euros.

Pour Pierre Moscovici, « il n’existe aucun déficit caché des retraites des fonctionnaires », mais seulement « deux comptabilités différentes » de « la contribution de l’Etat » au système. Contrairement au COR par exemple, François Bayrou n’intègre pas le calcul les contributions (impôts affectés, subventions ou encore surcotisassions) versées par l’Etat pour équilibrer le régime de la fonction publique. Ce débat est « sans effet sur la charge qui pèse sur les finances publiques », estime la Cour des comptes.

 L’impact des différents leviers d’action testé dans le rapport

Les magistrats financiers de la rue Cambon ont également calculé l’impact financier sur l’ajustement des principaux paramètres à l’origine du budget des retraites.

Concernant l’âge de départ, le rapport note qu’il s’agit d’un « effet puissant à court terme ». Remonter l’âge légal d’un an, à 65 ans (à partir de la génération 1972), améliorerait le solde de 8,4 milliards d’euros à l’horizon 2045. À l’inverse, faire passer l’âge à 63 ans le creuserait de 4,3 milliards d’euros. Le scénario d’un retour à 62 ans, poussé par les organisations syndicales, n’a pas été étudié. « Cela creuserait encore le déficit d’une dizaine de milliards d’euros à l’horizon 2030. Ce serait autant de ressources supplémentaires à trouver », a déclaré Pierre Moscovici au Parisien.

Autre levier : la durée de cotisation, fixée à 43 ans à partir de la génération 1965. Le solde des des retraites serait dégradé de 7,7 milliards d’euros si elle diminuait d’un an, et serait amélioré de 8 milliards si elle augmentait d’un an, à partir de la génération 1972.

Troisième axe : le niveau des cotisations. Une hausse d’un point de leur taux engendrerait « entre 4,8 et 7,6 milliards d’euros » de ressources annuelles supplémentaires. Mais la Cour estime que cette solution pourrait avoir des « effets négatifs sur l’économie », en raison de la hausse du coût du travail ou de la réduction des salaires net.

Reste également l’option du niveau des pensions : une sous-indexation des pensions sur l’inflation – comme cela avait été proposé dans le budget initial de la Sécurité sociale avant la chute du gouvernement – pourrait par exemple faire économiser 2,9 milliards d’euros en 2025, sur la base d’un point de pourcentage. La Cour des comptes note que l’effet négatif sur l’économie serait « relativement faible », étant donné a la capacité d’épargne « en moyenne plus élevée » des retraités.

François Bayrou évoque la possibilité d’un débat au Parlement

« Tout ceux qui le souhaitent, et le gouvernement d’abord, vont proposer leur lecture de ce rapport, ce qui les frappe, ou paraît pour eux un défi qu’il est indispensable de relever », a déclaré François Bayrou. Le Premier ministre annonce que des ministres « partageront » leur lecture devant les commissions des affaires sociales de l’Assemblée nationale et du Sénat. La Cour des comptes sera également auditionnée début mars.

François Bayrou n’a pas écarté « la possibilité d’un débat général au Parlement, selon l’article 50-1 de la Constitution (débat sans vote) ».

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