Cette base de travail servira de point de départ à la conférence sociale de trois mois, deux ans après l’adoption de la dernière réforme des retraites. La Cour des comptes a communiqué ce jeudi les conclusions de sa mission flash au gouvernement et aux partenaires sociaux, sur la situation et les perspectives financières du système de retraite.
Les chiffres, décrits comme « préoccupants » par le premier président de la Cour des comptes Pierre Moscovici, font état d’un déficit qui devrait se creuser au cours des 20 prochaines années, en l’absence de réforme. Le solde de l’ensemble des régimes, qui partirait d’un déficit estimé à 6,6 milliards d’euros en 2025, pourrait ainsi se creuser à 15 milliards d’euros dans 10 ans, et à 30 milliards d’euros d’ici 20 ans. Actuellement, les différents régimes versent 388 milliards d’euros de pensions chaque année.
C’est sur cette base « objective », selon Matignon, que les organisations syndicales et les représentants du patronat sont appelés à s’entendre sur des améliorations des modalités de notre système de retraites. Le gouvernement veut également s’entretenir avec les parlementaires sur les enseignements de ce rapport, et les conséquences à en tirer, d’abord au niveau des commissions compétentes, et potentiellement dans les hémicycles, sur la base d’une déclaration suivie d’un débat sans vote.
« Rien de nouveau sous le soleil », selon des membres de la majorité sénatoriale
Le résultat de cette mission flash, menée en l’espace d’un mois, est loin de bouleverser la littérature sur le sujet. Ce jeudi, cette synthèse ne suscitait aucune surprise chez les membres de la commission des affaires sociales du Sénat, avec lesquels nous nous sommes entretenus, même si chacun en tire des conséquences différentes. Le diagnostic est bien connu de la majorité sénatoriale, en charge des rapports chaque année sur l’état du financement de la protection sociale. « Ce sont les mesures d’âge qui rapportent le plus […] Tout ça, on le savait. Rien de nouveau sous le soleil. Il n’y a pas grand-chose que je ne connaissais pas », commente par exemple le sénateur (Union centriste), Olivier Henno.
« Je ne suis pas étonnée par les chiffres. C’est préoccupant depuis longtemps », réagit à son tour Pascale Gruny (LR). Rapporteure de la branche vieillesse dans les lois de financement de la Sécurité sociale, la sénatrice a vu se succéder plusieurs reculs sur les mesures d’économies, au cours de l’examen du projet de loi de financement ces derniers mois. La réduction des allègements de cotisations patronales a été deux fois moins importante que dans le projet de loi initial, et surtout, la piste d’un décalage de six mois dans la revalorisation des pensions a été retirée. « Cela rapportait trois milliards d’euros et cela aura une incidence chaque année », note la sénatrice de l’Aisne.
« La tentative de M. Bayrou de nous imposer sa vision fantaisiste du déficit n’a pas abouti », selon Monique Lubin (PS)
À gauche, la socialiste Monique Lubin constate que les chiffres publiés par la Cour des comptes ne sont « guère éloignés » de ceux présents dans le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), instance dans laquelle elle siège. Les deux publications ont utilisé la même norme de comptabilité, s’agissant des contributions d’équilibre pour la retraite des fonctionnaires. En janvier, dans sa déclaration de politique générale, François Bayrou avait affirmé que le déficit du système de retraites s’établissait entre 40 et 45 milliards d’euros. « La tentative de M. Bayrou de nous imposer sa vision fantaisiste du déficit des retraites n’a pas abouti. Il a choisi la Cour des comptes, et pas le COR dans cette visée-là, il y avait une intention derrière », accuse la sénatrice des Landes.
Seule différence par rapport aux dernières projections publiées par le COR : les déficits sont « un peu plus importants », reconnaît la sénatrice. « Depuis sa sortie, la situation économique s’est dégradée ».
Une fois ce diagnostic posé, les deux grands courants représentés au Sénat n’ont évidemment pas les mêmes remèdes ou pistes d’amélioration de l’actuel système de retraites. La majorité sénatoriale de droite et du centre avait largement poussé pour un recul de l’âge légal, et la gauche s’y était opposée.
« Il faut qu’ils ouvrent les yeux sur la démographie », estime Pascale Gruny
La rapporteure LR Pascale Gruny juge la demande d’un retour à un âge légal de départ à 62 ans, porté par les organisations syndicales, impossible à tenir. « Il faut qu’ils ouvrent les yeux sur la démographie », épingle-t-elle. « En revanche, c’est ce qu’on n’avait pas pu faire dans la loi de 2023 car c’était une loi financière, c’est travailler sur la pénibilité, l’emploi des seniors, des sujets très importants. »
« Revenir sur les 62 ans coûterait presque 10 milliards d’euros par an. Il n’est pas possible de revenir sur la réforme des retraites quand on voit cela […] Il faudrait même travailler un peu plus, puisqu’on vit plus longtemps », encourage également Olivier Henno. Comme sa collègue LR, le sénateur estime néanmoins que la dernière réforme n’est « pas inscrite dans le marbre ». « Il y a encore beaucoup de travail à faire sur le travail des seniors, par exemple, sur l’égalité femmes-hommes ou encore sur la pénibilité ».
Pour Monique Lubin, « la première des choses à faire est de penser à l’amélioration des recettes, sans tabous, et de voir quels leviers on peut avoir », avant de regarder de parler d’un retour à 62 ans. « Augmenter les cotisations serait catastrophique et reporter indéfiniment l’âge, ce n’est tout simplement pas possible humainement », relève la parlementaire, qui estime que la situation est soutenable pour l’année 2025. « Actuellement, on a un déficit à 6 milliards sur 388, on est dans l’épaisseur du trait. »
Le débat devrait se rejouer prochainement en commission, vraisemblablement début mars, puisque François Bayrou a annoncé que le gouvernement pourrait s’exprimer au Parlement. Pour un éventuel projet de loi, il faudra attendre la fin du « conclave » au mois de mai.