SNU (Service National Universel) ceremony in Hyeres, France – 22 Jun 2023

« Risques pour la sécurité des jeunes », « coût largement sous-estimé » : la Cour des comptes étrille le déploiement du SNU

Le SNU, expérimenté depuis 2019, doit être généralisé à tous les jeunes de 15 à 17 ans d’ici 2026. Résultats insatisfaisants, objectifs peu clairs, coûts plus importants qu’anticipés… Cinq ans après son lancement, la Cour des comptes dresse un bilan sévère du dispositif.
Rose-Amélie Bécel

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

Début 2024, l’ancien Premier ministre Gabriel Attal avait annoncé le lancement de « travaux » en vue d’une généralisation du Service national universel (SNU) « à la rentrée 2026 ». Aujourd’hui facultatif, le dispositif a accueilli 40 000 élèves en 2023, un chiffre qui devra donc être multiplié par 20 en l’espace de deux ans, pour toucher une classe d’âge d’environ 800 000 jeunes.

Dans un rapport publié le 13 septembre, la Cour des comptes dénonce l’« absence d’horizon clair » et l’« insuffisante planification des moyens » nécessaires à la généralisation du dispositif. « C’est pourtant une politique prioritaire du gouvernement, qui mobilise une part croissante du programme “jeunesse et vie associative” du budget », souligne Pierre Moscovici.

Un objectif de mixité sociale loin d’être atteint

Si on est encore loin de sa généralisation, le premier président de la Cour des comptes estime tout de même que la « montée en puissance rapide du SNU ne s’est pas accompagnée d’une clarification de ses objectifs ». Actuellement, le dispositif se découpe en trois phases. La première, et la plus connue, consiste en un « séjour de cohésion » où les jeunes passent 12 jours ensemble hors de leur département. Mais cette expérience doit ensuite être prolongée par une « mission d’intérêt général » de 84 heures et un « engagement volontaire » de 3 à 12 mois, au sein d’un corps en uniforme ou d’une association.

Décrite par le gouvernement comme un « projet de société », cette expérience complète est pourtant « toujours perçue par la population, et en particulier par les jeunes, comme un dispositif militaire », explique Pierre Moscovici. D’ailleurs, le premier président observe que les volontaires qui réalisent la deuxième et troisième phase du SNU s’engagent « principalement dans les corps en uniforme, et non au sein des associations ».

Conséquence de ce manque de clarté sur les objectifs du SNU, 46 % des jeunes volontaires en 2023 ont des parents militaires, policiers, gendarmes ou pompiers.  Alors que le SNU se donne pour mission de réunir des élèves de tous horizons, notamment lors du fameux « séjour de cohésion », ses objectifs de mixité sociale ne sont donc pour le moment pas atteints. De façon générale, Pierre Moscovici déplore « une surreprésentation de jeunes issus de catégories socio-professionnelles supérieures et d’élèves ayant de bons résultats scolaires ».

« Des risques pour la sécurité des jeunes volontaires » lors des séjours de cohésion

Dans un second temps, le rapport de la Cour des comptes alerte sur les difficultés d’organisation du SNU. D’un point de vue administratif, d’abord, « les parties prenantes sont trop peu associées au dispositif », constate Pierre Moscovici. Sur le terrain, notamment lors de l’organisation des « séjours de cohésion », les associations d’éducation populaire « regrettent d’être considérées comme de simples prestataires », détaille-t-il. « Il n’existe pas non plus de stratégie nationale pour encadrer l’implication des collectivités territoriales », note Pierre Moscovici, alors même qu’elles sont souvent sollicitées pour organiser l’hébergement et les transports des « séjours de cohésion ».

Sans véritable coordination, l’organisation des séjours de cohésion rencontre donc régulièrement des difficultés logistiques qui « démontrent un certain désordre », déplore le premier président de la Cour. Le rapport pointe surtout des « défaillances » au niveau des transports, indispensables puisque les volontaires doivent réaliser leur séjour de cohésion en dehors de leur département, notamment en raison d’un récent changement de prestataire dans des délais très courts. « L’ampleur de la désorganisation a induit des risques pour la sécurité des jeunes volontaires et des surcoûts de transport significatifs », alerte le rapport.

La Cour des comptes pointe aussi du doigt les difficultés de recrutement des encadrants de ces séjours de cohésion. La mission est d’abord peu attractive. « Des retards considérables dans la mise en paiement des rémunérations ou indemnités ont fortement dégradé l’image du SNU auprès des encadrants », déplore le rapport. « Généraliser le dispositif sans stratégie d’emploi et de recrutement représenterait une prise de risque majeure », alerte la Cour, qui recommande donc la création d’une « filière métier » spécifique. La Cour des comptes tire par ailleurs la sonnette d’alarme sur la « dégradation sensible des conditions de travail des personnels », au sein des services régionaux et départementaux chargés de la jeunesse. Malgré la charge de travail supplémentaire conséquente induite par l’organisation du SNU, estimée à 157 équivalents temps plein, « les équipes n’ont que marginalement évolué avec la création de 80 postes ».

Une généralisation qui coûterait autour de 10 milliards d’euros

Enfin, alors que l’examen du projet de loi de finances 2025 débutera à l’Assemblée nationale au mois d’octobre, la Cour des comptes s’intéresse aux coûts du SNU. Le coût du dispositif est d’abord « largement sous-estimé » : dans le cadre du budget 2024 il avait été évalué à 2 000 euros par jeune, pour la Cour des comptes il s’élèverait plutôt à 2 900 euros.

Partant de ce constat, la Cour a également estimé les coûts induits par une généralisation du SNU. Le coût de l’organisation du seul séjour de cohésion, qui devrait donc accueillir autour de 800 000 jeunes par an, s’élèverait ainsi à 2,5 milliards d’euros. En ajoutant à cela les coûts liés à la seconde et à la troisième phase du dispositif, la Cour des comptes estime que l’organisation du SNU dans sa totalité pourrait représenter entre 3,5 et 5 milliards d’euros. À ces coûts de fonctionnement doivent également s’ajouter des investissements, notamment pour construire, rénover ou louer les bâtiments nécessaires à l’accueil des jeunes lors de leur séjour de cohésion, que la Cour des comptes estime à 6 milliards d’euros.

Considérant l’ampleur de ces dépenses liées à la généralisation du SNU, la Cour des comptes recommande donc vivement la tenue d’un « débat parlementaire pour décider de l’avenir du dispositif ». « Le Parlement n’a jamais eu l’occasion de débattre de ce dispositif, aucune loi ordinaire ou de programmation n’a été examinée sur le sujet », précise Pierre Moscovici. Il y a un an, dans un rapport pour le compte de la commission des finances, le sénateur socialiste Éric Jeansannetas réclamait déjà « un véritable débat » au Parlement sur le SNU. Une demande relayée depuis par de nombreux sénateurs de tous bords politiques.

Dans la même thématique

« Risques pour la sécurité des jeunes », « coût largement sous-estimé » : la Cour des comptes étrille le déploiement du SNU
3min

Société

Affaire Bétharram : « Nous avons besoin de briser le silence », demande Sarah El Haïry

Accusé par la gauche d’avoir minimisé sa connaissance des faits de l’affaire Bétharram, François Bayrou sera auditionné le 14 mai à l’Assemblée nationale par la commission d’enquête parlementaire sur « les modalités du contrôle par l’État des violences dans les établissements scolaires ». « Les violences sexuelles, en particulier sous institution, sont encore sous le poids du silence profond », déplore Sarah El Haïry, Haute-commissaire à l’Enfance, invitée sur Public Sénat ce mercredi 30 avril.

Le

Dans le budget 2025, le gouvernement prévoit de réduire les moyens alloués à MaPrimeRénov, une aide de l’Etat destinée aux travaux de rénovation thermique des logements.
3min

Société

Logement : une proposition de loi communiste pour encadrer le prix du foncier

Pour répondre à la crise du logement, le groupe communiste du Sénat propose d’encadrer les prix du foncier, afin de favoriser la construction de logements sociaux et l’accession à la propriété. Le dispositif serait calqué sur l’encadrement des loyers, déjà en vigueur dans une dizaine de métropoles.

Le

« Risques pour la sécurité des jeunes », « coût largement sous-estimé » : la Cour des comptes étrille le déploiement du SNU
3min

Société

Faire payer aux détenus une partie de leurs frais d’incarcération, comme le veut Gérald Darmanin ? « Une idée à la noix », fustige Jérôme Durain

Le ministre de la Justice Gérald Darmanin a annoncé lundi sa volonté de « modifier la loi » pour faire « contribuer » les détenus à une partie de leurs frais d’incarcération. « On est dans la démagogie la plus caricaturale », réagit sur Public Sénat le sénateur socialiste Jérôme Durain, co-rapporteur de la proposition de loi sur le narcotrafic qui devrait être définitivement adoptée par l’Assemblée nationale ce mardi. L’élu dénonce une « surenchère sécuritaire ».

Le

Illustration: justice tibunal,administration penitenciaire.
6min

Société

Qu’est-ce que le « contrôle coercitif », cette notion au cœur des débats sur la proposition de loi contre les violences sexuelles ?

L’intégration dans le Code pénal de cette notion, développée dans les années 1970 pour décrire certains aspects des violences conjugales, a nourri de vifs débats au Sénat jeudi 3 avril. Les élus ont renoncé à la faire entrer strico-sensu dans la loi, mais ils s’en sont inspirés pour revoir la définition pénale du harcèlement sur conjoint.

Le