Santé : un virage ambulatoire en dessous des attentes

Santé : un virage ambulatoire en dessous des attentes

Alors qu’une dette de 30 milliards d’euros plombe toujours le secteur hospitalier public, une orientation vieille de 20 ans avait pourtant promis des jours meilleurs à l’hôpital : le virage ambulatoire. Aujourd’hui, les économies espérées ne sont pas au rendez-vous.
Public Sénat

Par Clara Robert-Motta

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Ce serait un euphémisme que d’affirmer que l’hôpital public est au plus mal. Dès le début de l’été, on annonçait plus de 120 services d’urgence en situation dégradée dans le secteur public. En cause, une pénurie du personnel soignant, usé jusqu’à l’os par des mois de pandémies et des années d’effritement de l’hôpital public. Aujourd’hui, l’ambulatoire peine à porter ses fruits en raison notamment d’une organisation incomplète des soins de ville.

Véritable leitmotiv des décideurs depuis le début du siècle, le virage ambulatoire avait de grandes ambitions pour réformer la santé en France et redresser la barre de ses finances. L’idée est simple : réduire le temps passé par les patients à l’hôpital et déplacer des actes hors les murs de la structure hospitalière. Moins de lits, moins de personnel et, donc, un bilan supposé moins coûteux.

Confort du patient et resserrage budgétaire escomptés

En 2018, Agnès Buzyn, ministre de la Santé, s’était fixée pour objectif d’augmenter, sur le temps du quinquennat, le taux de recours à la chirurgie à 70 % et celui de la médecine ambulatoire à 55 %. En 2020, elle était de 66,1 % en chirurgie ambulatoire et en 2019 à 20 % pour la médecine ambulatoire.

Dans la théorie, « on ne peut y être opposé » considère la sénatrice écologise, Raymonde Poncet-Monge. « Grâce aux progrès techniques, notamment à l’anesthésie, il est possible de rester moins de temps sur la table d’opération et dans les lits d’hôpitaux. Ce qui permet un confort pour le patient d’être chez lui et, en même temps, de réduire les risques de maladies nosocomiales à l’hôpital. » Dans la pratique, c’est une autre histoire.

Pour la vice-présidente de la commission des Affaires sociales du Sénat, le virage ambulatoire a été mal négocié car ordonné par des logiques économiques. « On impose une marche forcée de l’ambulatoire dans un système qui craque de partout, on n’améliore pas le tissu médico-social en ville et on s’étonne que ça ne marche pas ? » dénonce Raymonde Poncet-Monge.

Pour une majorité des pathologies, la dépense moyenne « ambulatoire » par patient a augmenté

Elle n’est pas la seule à pointer du doigt ces manquements. La Cour des comptes souligne dans son rapport de 2018 sur le virage ambulatoire le grand retard pris sur le volet médecine et la substitution « trop lente » à l’hospitalisation conventionnelle avec nuitée. Alors que l’Ondam 2018 (le dispositif qui fixe les objectifs de dépense de santé en France) prévoyait 250 millions d’euros d’économies supplémentaires grâce à l’ambulatoire, les sages de la rue Cambon notent que « les économies qui pouvaient en être attendues n’ont pas été constatées. »

» Lire aussi : Hôpital public : la Cour des comptes préconise un système plus resserré

Dans ses propositions pour améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses de juin 2022, l’Assurance maladie confirme les limites du virage ambulatoire. Sur 13 groupes de pathologies étudiés, 10 ont vu leurs dépenses d’hospitalisation moyennes par patient diminuer entre 2015 et 2019. En revanche, la dépense moyenne « ambulatoire » par patient a augmenté pour 12 de ces groupes. Autrement dit, si la facture a diminué à l’hôpital, elle a augmenté en ambulatoire. Adieu les importantes économies espérées par l’ambulatoire, la facture risque même d’être plus salée que prévu.

Outre l’aspect budgétaire, d’autres ambitions de l’ambulatoire se sont avérées décevantes juge la sénatrice centriste, Sonia de la Provôté, vice-présidente de la commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France. « Quand on a voulu faire de l’ambulatoire l’alpha et l’oméga, on a mis en avant une amélioration de la qualité de vie des soignants. Mais ce n’est pas du tout ce que les premiers concernés racontent : l’ambulatoire nécessite une plus grande vigilance, implique un turnover de patients très important, et créé une déshumanisation de la prise en charge. »

Pour la sénatrice du Calvados, l’ambulatoire est surcoté tandis que la suite de soins a été mal préparée. « Faire rentrer un patient chez lui après une opération ça se prépare, ça demande du temps et ça a un coût qu’on n’a pas réellement bien anticipé. »

Inégalités de santé et de territoire

D’autant que faire de l’ambulatoire ne réussit pas à tout le monde de la même façon. Le professeur émérite en santé publique, Thierry Lang, met en garde contre les potentiels effets délétères de l’ambulatoire sur les inégalités de santé. « L’ambulatoire fait forcément appel aux ressources des patients. Une personne isolée, dans un logement vétuste avec peu de moyens et une personne plus aisée, mieux lotie et entourée n’auront évidemment pas la même qualité de rétablissement. »

En plus des déterminants socio-économiques, les inégalités se creusent selon le territoire. « Par exemple, c’est en Ardèche que l’on a supprimé le plus de lits d’hospitalisation, explique la sénatrice Raymonde Poncet-Monge. Sauf que dans ce genre de désert médical, l’offre en ville est sous-développée. Les patients ardéchois n’auront pas les mêmes chances qu’un urbain qui a plus d’offres médicales à sa disposition. » La Cour des comptes, elle-même, admet que la réorganisation des soins de ville accuse un retard certain qui « continue à freiner le report d’activités de l’hôpital vers la ville ».

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Le développement de l’ambulatoire aura également profité au privé, tandis que le public peine à trouver sa place dans ce système. Thierry Lang relève la différence entre les patients du public et privé. « Pour un même acte, soigner un patient plus jeune, avec moins de pathologies associées, coûtera moins cher. Pourtant la tarification à l’activité (T2A) indemnisera de la même façon les établissements. Or l’hôpital public accueille le tout-venant quand les populations des groupes privés sont plus sélectionnées. »

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