Sécurisation de la chasse : chez les associations et les sénateurs écolos, un rapport qui ne passe pas
Les sénateurs écolos ont rejeté mercredi le rapport de la mission de contrôle sur la sécurisation de la chasse, estimant qu’il n’aborde pas assez la question du partage de l’espace public. Du côté du collectif « Un jour un chasseur », à l’origine de ce travail parlementaire, l’incompréhension domine devant une série de préconisations jugées trop favorables aux chasseurs.

Sécurisation de la chasse : chez les associations et les sénateurs écolos, un rapport qui ne passe pas

Les sénateurs écolos ont rejeté mercredi le rapport de la mission de contrôle sur la sécurisation de la chasse, estimant qu’il n’aborde pas assez la question du partage de l’espace public. Du côté du collectif « Un jour un chasseur », à l’origine de ce travail parlementaire, l’incompréhension domine devant une série de préconisations jugées trop favorables aux chasseurs.
Romain David

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Mise à jour à 18h48 avec l’ajout de la réaction de la Fédération nationale des chasseurs

« Ça dépasse l’entendement ». Mila Sanchez a du mal à contenir sa frustration, sa colère aussi. La co-fondatrice du collectif « Un jour un chasseur » a reçu comme une claque le rapport du Sénat sur la sécurisation de la chasse, rendu public ce mercredi 14 septembre, même si elle « n’en attendait pas grand-chose », la Haute Assemblée étant dominée par une majorité de droite et du centre, et traditionnellement réputée favorable à la chasse. « J’ai été choquée par l’indécence de ce texte, qui écarte la totalité des mesures réclamées et qui en profite pour tenter d’accorder de nouveaux privilèges aux chasseurs ! », dénonce-t-elle. Cette militante est à l’origine de la pétition « Morts, violences et abus liés à la chasse : plus jamais ça ! », adressées au Sénat après la mort d’un proche, Morgan Keane, 25 ans, tué par un chasseur alors qu’il coupait du bois dans son jardin pendant le confinement de décembre 2020. Ce texte, qui a recueilli plus de 100 000 signatures en moins deux mois, a conduit les sénateurs à mettre en place une mission d’information sur le sujet.

Délit d’entrave à la chasse

Dans leurs conclusions, les élus saluent la « forte baisse » des accidents ces dernières années mais reconnaissent qu’une part importante des victimes (12 %) restent des non-chasseurs. Ils écartent toutefois l’hypothèse d’une journée d’interdiction hebdomadaire, et formulent 30 propositions, pour l’essentiel un renforcement des dispositifs déjà existants. Quelques mesures plus fortes aussi, comme le durcissement des conditions d’obtention du permis de chasse, la nécessité d’un certificat médical annuel, tel qu’il se pratique déjà dans les sports ayant recours au maniement d’armes à feu, ou encore l’interdiction de la chasse en état d’ébriété ou sous stupéfiants. « L’évidence même », raille Mila Sanchez.

Mais deux préconisations, plus que toutes les autres, ont fait bondir les associations : la création d’un avantage fiscal pour les lieutenants de louveterie – ces chasseurs dont l’activité s’inscrit dans le cadre d’une mission de service public, par exemple sur la régulation de certaines espèces -, mais surtout l’introduction dans le Code pénal d’un délit d’entrave à la chasse. « Cette commission s’est complètement écartée des enjeux de sécurité pour faire des cadeaux aux chasseurs. On a fait appel aux élus supposés nous représenter et l’on se rend compte qu’ils représentent d’abord les lobbies », déplore encore Mila Sanchez.

« Nous avons proposé un dispositif équilibré, qui protège à la fois les usagers et les chasseurs »

Interrogé par Public Sénat, le sénateur Patrick Chaize, l’un des deux rapporteurs de la mission de contrôle, se justifie en reliant ce délit d’entrave à une autre proposition formulée par le rapport : « Il nous paraissait intéressant de contraindre les chasseurs à communiquer, sur une plateforme en open-data, les zones où ils vont chasser. Mais lorsqu’on a évoqué le sujet avec les fédérations, elles nous ont expliqué qu’il y avait déjà eu des expérimentations en la matière et qu’elles avaient permis aux militants anti-chasse de multiplier les actions sur le terrain », explique-t-il. « Nous avons donc proposé un dispositif équilibré, qui protège à la fois les usagers et les chasseurs : une déclaration préalable obligatoire des zones de battue d’un côté et un délit d’entrave de l’autre, pour éviter que les pratiquants ne soient empêchés », fait valoir l’élu. Il concède néanmoins que « le terme d’entrave est peut-être mal choisi, un peu exagéré… »

» Lire notre article - Le Sénat préconise un délit d’entrave à la chasse

L’argumentaire peine à convaincre du côté des élus écologistes du Sénat, qui ont refusé d’adopter le rapport ce mercredi matin. Dans un communiqué publié sur Twitter, le groupe déplore : « Alors que l’introduction du rapport précise que l’objectif de la mission n’était pas d’entrer dans un débat pour ou contre la chasse, cette disposition dangereuse pour nos libertés, qui vise clairement les associations dites anti-chasse dévoie l’objectif fixé initialement. » Le sénateur Daniel Salomon estime que la mesure « ne semble pas aller dans une volonté de consensus ou d’apaisement ». « C’est carrément une entrave au droit de manifestation ! », abonde Guillaume Gontard, le président du groupe écologiste, solidarité et territoires au Sénat.

« Si les chasseurs ne font pas d’effort pour répondre à la demande de la société, ils vont finir par se marginaliser »

Ce dernier déplore également l’évacuation du jour sans chasse, « une mesure susceptible de faire consensus », selon lui. « Si le terme d’interdiction pose problème, nous aurions pu nous caler sur l’exemple de certains voisins européens qui parlent de ‘jours de chasse autorisés’.  Il faut trouver un moyen de faire le lien avec les demandes des uns et des autres. Si les chasseurs ne font pas d’efforts pour répondre à la demande de la société, ils vont finir par se marginaliser », avertit cet élu. De son côté, Patrick Chaize justifie la position de la commission en invoquant le risque d’effets de bord : « Au début, nous y étions plutôt favorables. Il y a eu un moment de bascule lorsque nous avons auditionné les fédérations des sports de nature. Elles se sont opposées à cette interdiction à la quasi-unanimité. Pourquoi ? Parce que si l’on commence à fractionner l’utilisation de l’espace forestier, sur la base d’une logique d’interdiction plutôt que de partage, vous ouvrez la voie à des journées sans VTT, sans équitation, etc. », argue-t-il.

Patrick Chaize réfute toute influence du lobby de la chasse sur les travaux de la mission de contrôle. « Nous avons recherché l’efficacité plutôt que le signal politique », assure-t-il. Les pistes du rapport devraient faire l’objet à moyen terme d’une proposition de loi, précise-t-il. Elles pourront donc évoluer en fonction de la discussion parlementaire.

La Fédération nationale des chasseurs est elle aussi loin d’être satisfaite et pointe le rôle des associations. Elle estime que le rapport est un « mille-feuille de contraintes inadaptées et irréalistes ». Par voie de communiqué son Président, Willy Schraen affirme : « Les opposants à la chasse en rêvaient, les sénateurs de la mission parlementaire l’ont fait ! Ce rapport sur la sécurité à la chasse avec ses 30 propositions liberticides a oublié d’en mentionner une 31ème : interdire tout bonnement la chasse ! Ce qui reviendrait au même et serait plus sincère de la part de ces sénateurs, sous influence des anti-chasse »

De son côté, le collectif « Un jour un chasseur » envisage désormais de se tourner vers le gouvernement en interpellant directement Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur. « On peut envisager la mise en place d’un référendum sur la chasse. Nous pouvons également avoir recours à des instances supra étatiques, comme la Cour européenne des droits de l’homme », conclut Mila Sanchez.

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