Le Mans Manifestation des maires de la Sarthe

[Série] Le Sénat mène l’enquête. La Haute assemblée au chevet des élus locaux victimes de violences

Cinquième et dernier épisode de notre série sur les commissions d’enquête et missions d’information qui ont marqué la session parlementaire. L’incendie volontaire du domicile du maire de Saint-Brévin, harcelé pendant des mois par des groupuscules d’extrême droite, va conduire le Sénat à mener une série d’auditions. Elles déboucheront sur une proposition de loi visant à renforcer l’arsenal de protection des maires et aggraver les sanctions pénales en cas de violence.
Simon Barbarit

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Une audition d’un élu local qui se termine par une salve d’applaudissements des sénateurs, l’évènement est rare. Il s’est déroulé le 17 mai dernier, lors de l’audition devant la commission des lois, de Yannick Morez, le maire démissionnaire de Saint-Brévin-les-Pins en Loire-Atlantique.

Une semaine plus tôt, en annonçant son intention de démissionner de son mandat, la situation de Yannick Morez avait provoqué une onde de choc au sein de la classe politique. Mais le soutien de l’exécutif apporté à l’édile est jugé bien trop tardif par les sénateurs. L’affaire avait démarré en octobre 2022, date de la première manifestation organisée par un collectif d’extrême droite contre l’installation, prévu l’Etat, d’un Cada (Centre d’accueil des demandeurs d’asile). Le local prévu pour l’accueillir jouxte une école maternelle et primaire de cette commune touristique de 15 000 habitants.

Très vite, ce collectif dirige ses attaques vers le maire « avec différents articles sur les réseaux sociaux, des menaces, des intimidations et beaucoup d’articles sur le site Riposte laïque. On était mis en pâture, moi, la directrice de l’école, la présidente de l’association des parents d’élèves, avec nos photos mises sur ce site et différentes insultes en dessous. On a alerté la gendarmerie pour savoir ce qu’ils pouvaient faire. La réponse, et on nous l’a répété très souvent, c’était : liberté d’expression […] On allait devoir affronter cette montée en puissance de ce collectif qui ne représentait plus Saint-Brévin mais qui faisait venir tous les groupuscules d’extrême droite. », narre-t-il aux sénateurs.

« J’ai été victime d’un attentat criminel »

Suivront des tracts dans sa boîte aux lettres, des intimidations physiques. L’aboutissement de ce harcèlement sera l’incendie criminel de son domicile le 22 mars dans la nuit. « J’ai été victime d’un attentat criminel », insiste-t-il. L’édile indique surtout aux sénateurs s’être « senti abandonné par les services de l’Etat ». Il accuse même le préfet de Loire-Atlantique d’avoir « menti effrontément » lorsque ce dernier a affirmé devant la presse avoir, à l’époque, organisé des réunions publiques autour du projet de Cada.

Le sujet devenu national est suffisamment grave pour que les sénateurs ne s’arrêtent pas là. Le président de la commission des lois, François-Noël Buffet annonce que les travaux des élus vont se poursuivre par de nouvelles auditions.

Car depuis plusieurs années, les violences à l’égard des élus locaux sont au cœur des préoccupations de la chambre haute. Ce triste épisode renvoie à l’été 2019, et à l’émotion soulevée par la mort tragique du maire de Signes, Jean-Mathieu Michel, renversé par une camionnette après être intervenu pour tenter de mettre fin à un dépôt sauvage de gravats. A cette époque, le Sénat avait lancé alors une grande consultation nationale sous l’égide de la commission des lois, alors présidée par le sénateur LR Philippe Bas.

Elle conduira à une circulaire du garde des Sceaux adressé au parquet en 2020, destinée à renforcer les conséquences pénales et judiciaires de ce type d’agression.

Saint-Brévin : « La justice locale n’a pas été aux abonnés absents », assure Dupond-Moretti

Le Sénat est aussi à l’origine d’une loi définitivement adoptée en début d’année. Elle vise « à permettre aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, une victime d’agression ».

Deux semaines après l’audition du maire de Saint-Brévin, le préfet de Loire-Atlantique, Fabrice Rigoulet-Roze, est à son tour, entendu par les sénateurs. Il veut « lever des malentendus ».

« Dès le début de la contestation, une attention particulière a été portée par la gendarmerie à tous les aspects de ce dossier : manifestations, confrontations des antagonistes, tractages, tags, sécurité des sites et, évidemment, protection des personnes », relate Fabrice Rigoulet-Roze avant d’assurer avoir « donné personnellement des consignes pour ne pas laisser isoler le maire et la commune lors de deux manifestations anti-Cadas ». « À chaque étape de ce dossier et depuis que la situation s’est fortement durcie fin 2022, les services de l’Etat ont été constamment présents, ont consacré énormément de temps et d’énergie à la gestion de cette affaire », ajoute-t-il.

Du côté de la Chancellerie, Éric Dupond-Moretti nuance, lui aussi, le récit du maire agressé et assure aux sénateurs que la « justice locale n’a pas été aux abonnés absents ». Il indique notamment que la procureure de la République de Saint-Nazaire avait adressé un courrier au maire de Saint-Brévin en début d’année 2023 l’informant de la « décision d’ouvrir une enquête confiée à la brigade de recherche de Pornic. »

Après l’incendie de son domicile, la procureure de Saint-Nazaire avait « personnellement » eu Yannick Morez au téléphone et lui avait même transmis son numéro personnel. « Les parquets locaux ont toujours été en contact avec ce maire menacé, et ont toujours pris très au sérieux ces faits, en ouvrant immédiatement des enquêtes », avait-il précisé.

« L’objectif, c’est vraiment que les élus aient une forme d’arsenal protecteur »

Au terme des auditions, la majorité sénatoriale va déposer une proposition de loi visant à « renforcer la sécurité des élus locaux et la protection des maires ». « Il y a eu des déclarations du gouvernement qui nous semblent intéressantes mais pas suffisantes […] L’objectif, c’est vraiment que les élus aient une forme d’arsenal protecteur », résume alors François-Noël Buffet (LR).

Le texte propose en premier lieu de renforcer les sanctions pénales pour ces faits de violence. Celles-ci seraient alignées sur les peines encourues en cas de violences sur une personne dépositaire de l’autorité publique : soit 5 ans de prison 75 000 euros d’amende (en cas d’incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours), voire sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros, pour les cas les plus graves (incapacité de travail supérieure à huit jours).

Pour mémoire, cette mesure avait déjà été introduite par la droite sénatoriale dans le projet de loi de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI) en 2022, et conservée dans le texte définitivement adopté avant d’être censurée par le Conseil constitutionnel. Au motif qu’il s’agissait d’un amendement sans lien avec le périmètre du texte.

Soucieux de rien laisser passer, les sénateurs veulent aussi sanctionner dans le même esprit les violences verbales en ligne par une peine de travail d’intérêt général une injure publique commise à l’encontre d’une personne dépositaire de l’autorité publique. Le texte prévoit en outre une circonstance aggravante en cas de harcèlement contre un élu local, « notamment en ligne ». Selon la dernière étude de l’Observatoire de démocratie de proximité, mesurée par l’Association des maires de France (AMF) et Sciences Po, 37,3 % des maires affirment avoir été confrontés à ce type d’attaque en ligne.

Elargissement de la protection fonctionnelle

Enfin, les sénateurs souhaitent améliorer la « mise en œuvre effective » de la protection fonctionnelle des élus. A ne pas confondre avec la protection policière dont certains parlementaires et ministres ont bénéficié lors de l’examen de la réforme des retraites. Comme tout agent public, les élus peuvent bénéficier de ce dispositif, en cas d’accident, d’agression, ou de poursuites civiles ou pénales, dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, à la condition de ne pas avoir commis de faute personnelle. Ce dispositif consiste en une assistance financière pour les frais de justice ou médicaux. L’élu peut également demander une indemnisation du dommage subi à sa collectivité. Cette dernière pourra alors se retourner contre l’auteur du dommage et lui demander une indemnisation.

En 2019, la loi Engagement et proximité avait créé l’obligation pour les communes de souscrire un contrat d’assurance pour couvrir les coûts qui résultent de cette protection fonctionnelle. Pour les communes de moins de 3 500 habitants, pour lesquelles le coût est important, l’État prend à sa charge le financement. Les sénateurs veulent aller plus loin en élargissant cette compensation de l’État à toutes les communes de moins de 10 000 habitants. La proposition de loi prévoit au passage de combler en vide juridique en s’assurant que la protection fonctionnelle s’appliquera bien aux élus des communautés de communes et aux candidats pendant toute la durée d’une campagne électorale.

Cette proposition de loi devrait être examinée lors de la prochaine session parlementaire.

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