Sobriété énergétique des grandes surfaces : « Bon sens » ou « mesure cosmétique » ?

Sobriété énergétique des grandes surfaces : « Bon sens » ou « mesure cosmétique » ?

Alors que l’hiver s’annonce difficile, le secteur commercial anticipe sa facture d’électricité. Les grandes surfaces, qui consomment en moyenne 450 kWh par mètre carré de surface en une année, doivent contribuer à l’effort national. Un plan de sobriété énergétique est conclu par les enseignes Leclerc, Carrefour, Auchan, Super U ou encore Monoprix, qui s’engagent à diminuer leur consommation d’énergie à partir du mois d’octobre. Sobriété contrainte, ou sobriété programmée ?
Public Sénat

Par Clara Barge

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À l’heure où les menaces pèsent sur notre énergie, les modes de consommation doivent se réinventer. Présage de pénurie, les distributeurs souhaitent éviter les coupures d’électricité en adoptant une position responsable dans cette nouvelle gestion de crise ; la sobriété énergétique à la clé. Les grandes surfaces se sont engagées à réduire l’éclairage des magasins en journée, à couper leurs enseignes lumineuses après la fermeture et baisser la température en intérieur. Des mesures réclamées par les associations, inscrites dans la loi depuis 2018 ; l’annonce de ce plan le 18 juillet 2022 sonne le temps des concrétisations.

Cette initiative est encadrée par Perifem, une fédération qui regroupe les acteurs de la distribution afin d’agir sur la transition écologique et énergétique. Celle-ci a réuni un casting ambitieux : Auchan, Intermarché, Carrefour, E.Leclerc, Super U, Lidl, Casino, Franprix, Netto, Picard et Monoprix ont répondu à l’appel. Ce protocole acté par les dirigeants de ces grandes distributions répond à une gestion de crise engagée par le gouvernement. C’était du moins au cœur du discours d’Emmanuel Macron lors de la fête nationale, en révélant que « l’État préparait un plan de sobriété énergétique pour faire face au risque de pénurie liée à la guerre en Ukraine ». Le voici arrivé dans le secteur privé, suite à une réunion au Ministère de l’Economie menée par Agnès Pannier-Runacher, Ministre de la transition énergétique et Olivia Grégoire, ministre déléguée au Commerce, où les deux ministres ont encouragé les acteurs commerciaux dans ce sens. Le protocole acte ces engagements : des mesures du quotidien seront appliquées dès le 15 octobre, mais aussi des mesures d’urgence, comme baisser la température à 17°C pendant les heures de pics.

 

Une visée économique ou écologique ?

 

Baisser la consommation d’énergie des supermarchés représente un pari intéressant pour réaliser des économies. Avec la hausse des coûts de l’énergie, « passer de 21°C à 17°C, c’est faire une économie directe de 5 % », explique le président de la Perifem, Thierry Cotillard, sur FranceInfo. Selon Energineo LED, la consommation d’électricité représente 60 % des charges des grandes enseignes, derrière la masse salariale. Tout en réduisant leurs coûts énergétiques, « les entreprises demandent aussi des allègements de taxes » souligne le sénateur PS du Maine-et-Loire, Joël Bigot. Membre de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, le sénateur y voit un paradoxe : « Les entreprises, en s’engageant dans cette forme de sobriété, réduisent leurs coûts de fabrication et demandent des remises de taxes. Mais ces remises devraient s’accompagner de conditionnalités : en contrepartie, les entreprises devraient s’engager à moderniser leur appareil de production et faire en sorte d’être équipées d’outils pour assurer une transition écologique pérenne ».

Pourtant, selon le rapport de la Perifem, une volonté écologiste est à l’origine de ce plan, prônant une initiative « portée par un engagement profond des enseignes. D’abord, parce que les acteurs du commerce et de la distribution œuvrent depuis longtemps à l’amélioration de leurs pratiques ; des milliers d’initiatives ont été recensées ces deux dernières années notamment sur la transition énergétique ou écologique ». Mais de nombreux acteurs considèrent que les mesures ne sont pas à la hauteur des enjeux climatiques. C’est le cas du sénateur écologiste Ronan Dantec, qui y voit par-dessus tout un « objectif de communication, et non de mesures à visée climatique et énergétique ». Le sénateur de Loire-Atlantique regrette ces « mesures cosmétiques, qui concernent finalement une part extrêmement faible de la consommation énergétique des grandes surfaces. On pouvait s’attendre à des propositions plus ambitieuses. Se mettre d’accord pour réduire la climatisation est une chose, mais l’enjeu énergétique des grandes surfaces n’est pas là. Pour un impact beaucoup plus important, il aurait fallu se poser toutes les questions de logistique ; les émissions dans les transports, moins de camions et plus de rails, choisir de mettre à la vente des produits à faible impact climatique ». Une occasion manquée d’engager une véritable sobriété énergétique.

 

Un premier pas vers la sobriété nationale

 

« Enfin ! », s’exclame la sénatrice LR Marta de Cidrac sur la décision des grandes surfaces. « Ces annonces vont dans le bon sens, on a mis beaucoup trop de temps à se rendre compte qu’il pouvait y avoir une source d’économie sur ce volet. Et symboliquement, ces grandes surfaces peuvent avoir un fort effet d’entraînement, ce secteur doit se montrer exemplaire ». La sénatrice, corapporteure du projet de loi Climat et Résilience, attend de pouvoir mesurer les résultats de ces actions, « Ce plan va nous permettre de voir factuellement quel type d’économie l’on peut escompter, et quels sont les inconvénients de telles mesures. Peut-être, dans un second temps, nous pourrons étendre ce type d’action plus largement à chaque échelle. Dès lors, on pourra imaginer une sobriété d’usage… sans tomber dans la décroissance. Le monde économique doit pouvoir continuer de produire, tout en étant le premier vecteur de sobriété ».

Ces mesures de sobriété énergétique, bien que critiquées pour leur insuffisance, demeurent un « premier pas » pour le sénateur Joël Bigot. « Je crois que ce plan participe d’une démarche vertueuse de nos sociétés, Quelles que soient les raisons qui l’amène. Cette idée de sobriété commence à infuser dans différents secteurs, les grandes surfaces veulent faire ce plan avant d’être contraintes par la loi, d’autres secteurs pourraient bien s’en inspirer, il s’agit d’une incitation vertueuse ». Pour lui, « c’est ce type d’élément qui concourra à s’engager vers un plan national de sobriété énergétique. L’effort à fournir est immense mais nous devons continuer dans ce sens, avec une véritable planification, un volontarisme politique. Il faut une loi qui fixe des caps, un cadre à la sobriété, des contrôles et des conditionnalités ».

Poursuivre le travail politique pour progresser en matière de sobriété énergétique sera sûrement une nécessité face à l’augmentation des coûts de l’énergie, qui se fera de plus en plus précieuse, et de plus en plus rare.

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