Soutien à la culture : 2022, « l’année de tous les dangers », alerte un rapport sénatorial

Soutien à la culture : 2022, « l’année de tous les dangers », alerte un rapport sénatorial

Alors que le plan de relance prévoit 400 millions d’euros de soutien à la création culturelle, le Sénat rendait ce matin un rapport sur l’utilisation de ces crédits budgétaires. Si le rapport salue un soutien massif et efficace au secteur en 2021, il s’interroge sur l’oubli de certains acteurs et de certains territoires de la création culturelle. Surtout, en l’absence de reprise, il alerte sur les futurs dangers qu’encoure le secteur en cas d’arrêt des mesures de soutien.
Louis Mollier-Sabet

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« Plus qu’un plan de relance, c’est un plan de reprise », dont aurait besoin le secteur culturel français pour Sylvie Robert, sénatrice socialiste et Sonia de la Provôté, sénatrice centriste. La commission de la Culture salue dans ce rapport les 400 millions d’euros injectés dans la création culturelle par le plan de relance du gouvernement, mais alerte sur la persistance des difficultés dans le secteur. « 2021, ça va passer grâce aux aides de l’Etat et la mobilisation des collectivités », affirme ainsi Sylvie Robert, qui se félicite du peu de fermetures définitives de structures culturelles. Mais après l’intervention rapide de la puissance publique, le rapport alerte sur deux problèmes qui subsistent : une utilisation des crédits du plan de relance qui cible toujours les mêmes acteurs et les mêmes territoires, et une reprise incertaine du secteur qui fait craindre pour l’avenir de la création culturelle dans les prochaines années.

1/3 du plan de relance pour l’Opéra de Paris, la Comédie Française et la grande Halle de la Villette

C’est vrai pour l’ensemble des crédits du plan de relance, et ce rapport le confirme le secteur de la création culturelle : l’argent annoncé est arrivé dans les poches de ceux qui devaient le dépenser, et il est arrivé vite. Cela peut paraître évident, mais c’est un véritable défi : certaines administrations ont parfois du mal à dépenser l’argent qu’on leur accorde, surtout quand on parle de sommes aussi importantes. En ce qui concerne la création culturelle, les 400 millions d’euros injectés par le plan de relance représentent une augmentation de 20 % par rapport au budget habituel, qu’il faut arriver à dépenser. Or, ce n’est pas si évident : il faut déterminer à quel théâtre l’on va accorder des subventions par exemple, si tel spectacle ou tel tiers lieu peut être inclus dans les aides, quelles associations peuvent être soutenues par rapport aux objectifs généraux du plan de relance.

Là-dessus, le gouvernement a réussi son pari, avec environ ¾ des crédits dépensés en septembre. Mais la contrepartie, d’après les sénatrices Robert et de la Provôté, c’est que pour ce faire, l’Etat a demandé à ses différentes administrations de dépenser librement ces subsides, mais de le faire sous deux ans. Les sénatrices identifient alors un « effet pervers » dans cette rapidité d’exécution du plan de relance, qui a du coup ciblé les acteurs labellisés par le ministère de la Culture et les institutions « habituelles » avec lesquelles travaillaient les Directions régionales des affaires culturelles (Drac). « Les dossiers arrivaient le vendredi et il fallait trancher le lundi. Les Drac n’étaient pas suffisamment outillées pour être en capacité de toucher tous les acteurs », détaille ainsi Sylvie Robert.

Laurent Lafon, le président de la commission de la Culture, résume la situation : « Sous la pression de la crise, l’Etat a injecté de l’argent de manière classique, mais n’a pas résolu des difficultés structurelles du secteur. » Parmi lesquelles subsiste une faible territorialisation du soutien à la création culturelle, avec 80 % de l’argent du plan de relance affecté à la région parisienne et presque 1/3 des crédits affectés uniquement à l’Opéra de Paris, la Comédie Française et la grande Halle de la Villette. Seuls 20 % des crédits sont « déconcentrés », c’est-à-dire distribués à un niveau local par l’Etat – et principalement au niveau régional – et bénéficient donc surtout aux « gros » acteurs labellisés et habitués des circuits de subventions publiques.

« La grande inconnue » du retour du public

Si la répartition des crédits peut poser question, c’est bien l’ensemble du secteur qui est aujourd’hui sous perfusion du plan de relance. Or a priori, le plan de relance prendra fin l’année prochaine et la reprise tarde à se faire sentir : « Globalement, l’économie est dans une phase de reprise, avec une croissance de la demande, mais le secteur culturel ne vit pas cela. Les gens ne retournent pas en salle de spectacle, c’est la grande inconnue pour l’avenir du secteur » explique Laurent Lafon. Les remontées des acteurs de terrain confirment l’étude présentée par Roselyne Bachelot le 27 octobre dernier : les salles de spectacle sont très loin d’avoir retrouvé leur niveau de fréquentation « normal ». Dans cette étude, seule la moitié des sondés affirment être retournés dans une salle de spectacle, alors qu’ils étaient 88 % à le faire avant la crise sanitaire. Pour Sylvie Robert et Sonia de la Provôté, cette situation pose la question de la prolongation des dispositifs de soutien au secteur, comme l’année blanche pour les intermittents ou l’échelonnement du remboursement des prêts garantis par l’Etat. Les sénatrices évoquent aussi le fléchage d’une partie du « passe culture » vers le spectacle vivant pour aider à relancer la création culturelle.

Cependant, Sylvie Robert « ne part pas du principe qu’il faut nécessairement rajouter de l’argent sur la table. » En fait, tout dépend d’une reprise éventuelle, « dont on ne connaît pas bien » les tenants et les aboutissants, concède la sénatrice socialiste. Or cette incertitude est en soi nocive pour le secteur culturel : « Ne pas arriver à décoder ce qu’il se passe chez le public crée de l’insécurité » qui détourne des travailleurs, et notamment des techniciens, de l’emploi dans la culture. Au problème de la demande s’ajoute donc un problème de main-d’œuvre et de compétences chez les professionnels de la culture, notamment concernant certains métiers techniques et qualifiés qui viennent à manquer dans les salles de spectacles et les festivals français. Face à ces incertitudes sur la reprise et de la poursuite du soutien au secteur, « 2022 sera l’année de tous les dangers », conclut Sylvie Robert.

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